Extraits de « Ernst et Falk Causeries pour francs-maçons » de Lessing, Gotthold Ephraim – Edition DERVY
A travers les conversations entre Ernst, le profane et Falk, le franc-maçon, cet ouvrage esquisse une histoire de la franc-maçonnerie et contient en filigrane une critique à peine voilée de la mouvance des néo-templiers, en vogue en Allemagne.
[dropcaps]
« FALK : C’est un fait : quand aujourd’hui un Allemand rencontre un Français ou un Français un Anglais, ce n’est pas seulement un homme qui rencontre un autre homme vers lequel le pousse la similitude de leurs natures, c’est un homme déterminé qui rencontre un autre homme déterminé, tous deux conscients de la différence de leurs orientations, qui les rend l’un pour l’autre froids, réticents et méfiants, sans même qu’ils aient jamais eu affaire personnellement l’un à l’autre.
ERNST : Ceci est malheureusement vrai.
FALK : Il est donc vrai que le moyen qui rassemble les hommes, pour que cette réunion assure leur bonheur, a pour conséquence immédiate de les diviser.
FALK : Souhaitons ardemment qu’il y ait dans chaque nation des hommes capables de s’élever au-dessus des préjugés de leur groupe et de déterminer exactement le moment où le patriotisme cesse d’être une vertu.
Et souhaitons ardemment aussi qu’il y ait des hommes qui échappent aux préjugés de la religion dans laquelle ils sont nés et qui ne croient pas que le bon et le vrai sont obligatoirement ce qu’ils tiennent pour tel. Que dirais-tu si les francs-maçons se donnaient aussi pour tâche de rapprocher dans toute la mesure du possible les hommes que leurs divisions rendent si étrangers les uns aux autres ? Mais te voilà de nouveau méfiant. J’espère que ta méfiance disparaîtra quand je t’aurai révélé un principe fondamental des francs-maçons.
ERNST : Lequel ?
FALK : Celui dont ils n’ont jamais fait un secret, qu’ils ont toujours affiché aux yeux du monde entier.
ERNST : Mais encore ?
FALK : Eh bien, celui qui consiste à admettre dans leur ordre n’importe quel homme capable d’être franc-maçon à quelque nation, quelque religion, quelque classe sociale qu’il appartienne. À vrai dire, des hommes qui veulent dépasser toutes ces divisions. »
[/dropcaps]
« Ernst et Falk Causeries pour francs-maçons » de Lessing, Gotthold Ephraim – Edition DERVY–
Il s’agit de la première édition complète en français de ce texte paru en 1780.
Résumé :
Première causerie : Ernst, le profane, et Falk, le franc-maçon, discutent de l’appartenance de ce dernier à la franc-maçonnerie.
C’est le moment du dévoilement personnel et de la mise en question, par Ernst, des actions d’éclat menées par l’Ordre maçonnique allemand. Deuxième causerie : Falk émet une réserve quant à la nature du secret maçonnique, qui n’est pas de la même nature que les actions de la franc-maçonnerie. Il distingue d’ailleurs bien le franc-maçon de la franc-maçonnerie. Troisième causerie : la discussion porte sur les intentions de la franc-maçonnerie et se termine sur un petit épilogue nous apprenant que Ernst se fera maçon.
Les deux causeries suivantes, totalement inédites en français, développent après une rapide histoire de la franc-maçonnerie, une critique assez acerbe de la part de Ernst, désormais jeune apprenti : l’étonnement puis l’agacement de voir que dans la franc-maçonnerie la superstition y est aussi présente que les Lumières. Le choix de Lessing de destiner son livre aux seuls initiés, s’explique par la nature des propos, pas toujours très tendres, qui y sont défendus.
Comme l’expose le traducteur dans sa présentation, la première mouvance visée dans les critiques communes de Ernst et Falk, est celle, alors fortement en vogue en Allemagne, pour ne pas dire officielle, des néo-templiers. On pressent naturellement là tout ce que Lessing a pu provoquer chez les tenants du templarisme, et quelle main forte il a su prêter à son protecteur, le Duc Ferdinand de Brunswick, futur Grand Maître de l’Obédience et introducteur, en Allemagne, du rite écossais rectifié (Convent de Wilhelmsbad, 1782) par le truchement du système de Willermoz.