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UN PHILOSOPHE TEUTONIQUE, JACOB BÖHME


Jacob Böhme, le philosophe teutonique, cordonnier à Görlitz

Auteur de L ’Aurore Naissante, ainsi que de plusieurs ouvrages théosophiques, Jacob Böhme est né en 1575, dans une petite ville de la Haute Luzace, aux environs de Görlitz. Ses parents l’occupèrent pendant ses premières années à garder les bestiaux. Puis, ils l’envoyèrent à l’école, où il apprit à lire et à écrire. Ensuite, il fut placé en apprentissage chez un maître cordonnier à Görlitz. Il se maria à 19 ans, et eût quatre garçons, à l’un d’eux il enseigna son métier de cordonnier. Il mourut à Görlitz en 1624 à l’âge de 49 ans. En apparence, une vie bien ordinaire, qui ne dura que 49 ans, âge où il était banal de mourir à cette époque. Sous cette vie ordinaire se cache un grand mystique. Voici comment il opéra sa métamorphose :

Alors qu’il était en apprentissage, son maître étant absent, un étranger entra dans la boutique. Il examina une paire de souliers et demanda à l’acheter. Le jeune homme, se croyant inapte à évaluer le prix des chaussures, refusa de les vendre. L’étranger insista. Jacob lui proposa un prix excessif, afin d’éviter tout reproche de la part de son maître et surtout pour décourager l’acheteur. Celui-ci donna le prix demandé, prit les souliers. Au moment de franchir le seuil de l’échoppe, il s’arrêta et d’une voix ferme, cria : Jacob, Jacob, viens ici. Surpris et effrayé, le jeune homme s’approcha. L’étranger le fixant avec un regard étincelant, le prit par la main droite et lui dit : Jacob, tu es peu de chose ; mais tu seras grand, et tu deviendras un autre homme, tellement que tu seras pour le monde un objet d’étonnement. Sois pieux, crains Dieu et révère sa parole ; surtout lis soigneusement les écritures saintes, dans lesquelles tu trouveras des consolations et des instructions, car tu auras beaucoup à souffrir ; tu auras à supporter la pauvreté, la misère, et des persécutions ; mais sois courageux et persévérant, car Dieu t’aime et t’est propice. Sur ce l’étranger s’en alla. À dater de cette époque, Jacob Böhme rencontra diverses circonstances, qui lui ouvrirent des champs de conscience inexplorés.

L’aurore Naissante n’est que le premier bourgeon de la branche. L’arbre de Jacob Böhme est recouvert d’une écorce peu attrayante difficile à lire. En plusieurs endroits, il affirme être obligé de publier ses connaissances, de peur d’être condamné lors du jugement, pour avoir enfoui son talent. Il est possible que, des amis instruits aient fait quelques corrections et qu’ils aient inséré quelques passages à L’Aurore Naissante.

Au XVIe siècle, la science n’occupait pas la position dominante qu’elle a aujourd’hui et n’était pas en conflit avec les sciences dites divines, morales et religieuses. Il trouva dans la conscience des hommes de son époque, déjà bien établie, l’existence de Dieu, celle de l’âme humaine, spirituelle et immortelle, celle d’une dégradation et aussi des secours que la main suprême transmet depuis la chute à l’espèce humaine dégénérée. Jacob Böhme pouvait donc librement élever son édifice.

Sa notoriété se diffusa dans toutes les contrées de l’Allemagne. Il eût même des partisans en Angleterre. On cite le roi Charles Ier, qui avait pris des dispositions pour encourager la publication de ses ouvrages en anglais, particulièrement le Mysterium magnum, le Grand Mystère. On rapporte que lorsqu’il lut en 1646 Les Quarante Questions sur l’Âme, il témoigna son admiration et s’écria : que Dieu soit loué ! puisqu’il se trouve encore des hommes qui ont pu donner de sa parole un témoignage vivant tiré de leurs expériences.

Cet ouvrage décida le monarque à envoyer Jean Sparrow, avocat à Londres, à Görlitz, pour étudier la langue allemande ; afin de lire Böhme en version originale et de traduire ses œuvres en anglais. Il devint le traducteur et l’éditeur de la totalité de ses ouvrages.

Pendant sa vie et après sa mort, Jacob Böhme fut considéré par ses émules comme le prince des philosophes divins. Souvent, il est obscur. Pour lever le voile, pour lire et entendre son livre, il faut être « régénéré ». Sa doctrine pénètre dans des régions où nous manquons de mots pour nous exprimer. Enfin, elle gênait les opinions reçues. Elle ne pouvait être accueillie que dans le cercle restreint de partisans, qui ne pesait pas lourd face à ses adversaires.

L’Aurore Naissante est l’ouvrage d’un homme du peuple, sans maître et sans lettres. Il convient de s’attacher à l’ampleur de ses principes aussi vastes que l’infini et de ses vérités répandues dans cet écrit et dans tous ceux du même auteur. Je vous livre une partie du buisson fleurissant de ses visions :

« Lorsque l’arbre devient vieux, que ses branches se dessèchent, et que le suc ne peut plus s’élever en haut, alors plusieurs rejetons verts croissent autour du tronc, et même enfin sur la racine, et montrent comment a vieilli cet arbre qui avait été autrefois un jeune arbrisseau couvert de superbes rameaux. Car la nature, ou le suc, se conserve jusqu’à ce que le tronc soit devenu entièrement sec ; alors on le coupe et on le met au feu.

Le jardin où est cet arbre signifie le monde ; le terrain, la nature ; le tronc de l’arbre, les étoiles ; les branches, les éléments ; les fruits qui croissent de cet arbre, les hommes ; le suc dans l’arbre, la pure divinité ; or, les hommes sont formés de la nature, des étoiles et des éléments. Mais Dieu le créateur domine dans toutes ces choses, comme le suc dans la totalité de l’arbre.

La nature a en soi deux qualités ! la qualité bonne opère et travaille continuellement avec une grande activité, à porter de bons fruits, dans lesquels l’esprit saint domine, et elle donne pour cela son suc et sa vie ; la qualité mauvaise pousse et s’évertue aussi de tout son pouvoir à porter toujours de mauvais fruits et le démon lui fournit pour cela son suc et sa flamme infernale.

De même que quand la gelée, la chaleur, ou le brouillard frappent les fruits d’un arbre, ils deviennent véreux, dépérissent promptement et se corrompent ; de même en est-il ainsi de l’homme. Le mal et le bien existent, fermentent et dominent dans l’homme, ainsi qu’ils le font dans la nature. Mais l’homme est l’enfant de Dieu, qui l’a formé de la base la plus parfaite de la nature, afin qu’il dominât sur le bien, et qu’il soumît le mal. Le mal est suspendu au bien dans la nature ; il est également suspendu à l’homme, cependant l’homme peut le soumettre. S’il élève son esprit vers Dieu, dès lors l’esprit saint s’approche de lui, et l’aide à remporter la victoire…

Dans la nature la qualité mauvaise a combattu dès le commencement et combat encore avec la qualité bonne ; elle s’est élancée et a corrompu plusieurs excellents fruits dans leur source, comme cela se voit clairement dans Caïn et Abel, qui étaient frères. Caïn fut dès le sein de sa mère un homme hautain et méprisant Dieu ; Abel, au contraire, fut un homme craignant Dieu et humble. On le voit également aux trois fils de Noé, aussi bien que sous Abraham, entre Isaac et Ismaël, et particulièrement sous Isaac, entre Esaü et Jacob, qui se sont battus dans le sein de leur mère…

Dieu dit : je me repens d’avoir créé l’homme (Genèse, 6), et il agita la nature jusqu’à faire périr toute chaire vivante sur la terre, excepté les racines et les plantes qui demeurèrent. Il a, par ce moyen, émondé et taillé l’arbre sauvage, afin qu’il pût porter de meilleurs fruits. Mais lorsque cet arbre a repoussé, il a produit de nouveau des fruits bons et mauvais dans les enfants de Noé, parmi lesquels il se trouva encore des profanateurs et des détracteurs de Dieu, et à peine poussa-t-il dans l’arbre une bonne branche qui portât des fruits bons et célestes ; les autres branches ne produisirent que des fruits sauvages, c’est-à-dire les païens.

Néanmoins, lorsque l’arbre de la nature eut atteint le milieu de son âge, il s’éleva et produisit quelques fruits doux et agréables, pour montrer qu’il n’en voulait porter désormais que de délicieux ; car c’est alors que d’une branche douce de l’arbre furent engendrés les saints prophètes, qui, dans leurs instructions, annoncèrent la venue de la lumière, laquelle, par la suite, devait surmonter la colère de la nature.

Il s’éleva aussi parmi les païens une lumière dans la nature, par laquelle ils reconnurent la nature et ses œuvres, quoique ce ne fût cependant qu’une lumière dans la nature sauvage, et non point encore la lumière sainte. Car la nature sauvage n’était point encore surmontée, et la lumière et les ténèbres combattirent ensemble jusqu’à ce que parût le soleil, qui, par sa chaleur, devait faire porter à cet arbre de doux et excellents fruits…

Mais lorsque le prince des ténèbres vit que les païens se disputaient au sujet des branches et oubliaient l’arbre, et qu’il aperçut l’énorme préjudice et tout le tort qu’ils se faisaient, il suspendit ses tempêtes vers l’Orient et le Midi, et établit au pied de l’arbre un commerçant qui ramassait les branches tombées de ce précieux arbre. Et quand les païens se présentaient et demandaient de ces branches virtuelles et succulentes, alors ce commerçant offrait de les vendre pour de l’argent, faisant ainsi de ce précieux arbre une spéculation d’usurier.

La cause pour laquelle l’arbre sauvage devint si grand, est que les peuples qui étaient sous le bon arbre coururent tous après les facteurs qui vendaient des marchandises falsifiées ; ils mangèrent de ce fruit corrompu qui était à-la-fois bon et mauvais, ils croyaient se guérir par-là, et ils abandonnèrent tout à fait l’excellent arbre qui était rempli d’une vertu céleste.

Or, le marchand qui se tenait sous le bon arbre dissimula avec les peuples du Midi, de l’Occident et du Nord ; il vanta grandement sa marchandise ; il trompa les simples par ses séductions ; et de ceux qui avoient de la perspicacité, il en fit ses courtiers et ses facteurs, afin de s’approprier aussi leurs profits ; il poussa les choses au point que personne ne vit ni ne reconnut plus l’arbre saint, et ainsi il se trouva possesseur de tout le pays.

Alors il fit cette proclamation : je suis le tronc du bon arbre ; je repose sur sa racine ; je suis greffé sur l’arbre de vie. Achetez de la marchandise que j’ai à vous vendre. Elle vous affranchira de votre origine sauvage, et vous vivrez éternellement…

Mais au soir, la miséricorde divine fut touchée des souffrances et de l’aveuglement des hommes ; elle réactionna une seconde fois l’arbre bon, puissant et divin, pour qu’il produisît du fruit de la vie ; alors cet excellent arbre poussa près de sa racine une branche à laquelle furent donnés le suc et l’esprit de l’arbre. Elle parla la langue des hommes, elle montra à chacun le précieux arbre, et sa voix retentit au loin chez plusieurs nations.

Aussitôt les hommes accoururent pour voir et entendre ce qui se passait. Alors on leur montra l’excellent et virtuel arbre de la vie, dont les hommes avaient mangé au commencement, et qui les avait affranchis de leur origine sauvage.

Ils furent très-satisfaits et ils mangèrent de l’arbre de la vie avec bien de la joie et un grand soulagement ; cet arbre de vie leur fit prendre de nouvelles forces, et ils chantèrent un nouveau cantique en l’honneur du véritable arbre de vie ; ils furent affranchis de leur origine sauvage, et prirent de la haine pour le marchand, pour ses facteurs, et sa marchandise falsifiée. Et il arriva que tous ceux qui avaient eu faim et soif de l’arbre de vie, et ceux qui étaient assis dans la poussière, qui avaient mangé de l’arbre saint, et avaient été affranchis de leur origine sauvage et de la colère de la nature dans laquelle ils vivaient…

Mais quand le prince des ténèbres vit que son commerçant était renversé, et que sa fourberie était connue, il fit naître de l’arbre sauvage, vers le Nord, des tempêtes contre le saint peuple, contre lequel le commerçant en éleva aussi vers le Sud. Le saint peuple ne fit que s’accroître d’autant plus dans ces torrents de sang ; et il devint alors ce qu’il avait été au commencement, lorsque le céleste et précieux arbre poussa, et subjugua la colère dans la nature.

Mais il ne fut bientôt plus question pour eux ni de la racine, ni de l’arbre, car le prince des ténèbres avait un autre dessein Lorsqu’il vit qu’ils ne voulaient plus manger du bon arbre, mais qu’ils disputaient sur sa racine, il comprit bien qu’ils étaient déchus, qu’ils avoient perdu leurs forces, et que la sauvage nature avait étendu sur eux sa domination…

Mais pourquoi les hommes, vers la fin, furent-ils attirés si fortement vers la racine de l’arbre ? Ceci est un mystère qui, jusqu’à présent, est demeuré caché aux sages et aux savants, et qui ne se découvrira point sur les endroits élevés, mais dans les humbles profondeurs d’une grande simplicité.

Depuis le commencement jusqu’à ce jour, ce précieux arbre n’a cessé de travailler avec la plus grande activité pour tâcher de se faire connaître à tous les peuples et à toutes les langues. Au contraire, le démon s’est débattu comme un lion furieux, et a tempêté de toutes ses forces dans la sauvage nature ; mais plus les fruits de ce précieux arbre étaient lents à venir, plus ils étaient doux. Plus ils tardèrent à se manifester, plus ils se montrèrent avec abondance contre toutes ces tentatives et toutes ces fureurs du démon, et cela jusqu’à la fin, qui était le temps de la lumière. Car de la racine de ce précieux arbre il poussa une branche verte, qui contenait le suc et la vie de la racine. L’esprit de l’arbre lui fut donné, et elle porta la clarté sur la puissance et la souveraine vertu de ce précieux arbre, ainsi que sur la nature, où il avait pris sa croissance…

Si le critique vient à lire L’Aurore Naissante, il dira que je monte trop haut dans la divinité, et que cela ne me convient pas. Que je me vante d’avoir l’esprit saint ; qu’il me faudrait opérer en conséquence et confirmer ce que j’avance par des prodiges. Que j’agis ainsi par un désir d’acquérir de la réputation. Que je ne suis point assez instruit pour cela.

Cependant, je suis un homme simple et un pauvre pécheur, qui doit chaque jour adresser à Dieu cette prière : Seigneur, pardonnez-nous nos offenses ; et dire avec les apôtres : ô Seigneur, vous nous avez délivrés par votre sang. Je ne suis pas non plus monté au ciel, et je n’ai pas vu toutes les œuvres et toutes les créations de Dieu. Mais ce même ciel s’est manifesté dans mon esprit, afin que je reconnusse en esprit les œuvres et les créations de Dieu. La volonté qui m’y a poussé n’a point été une volonté naturelle. Cela s’est fait par l’impulsion de l’esprit.

Une goutte d’eau, dans la vaste mer, ne peut pas opérer un grand mouvement ; mais il en est autrement si un grand fleuve s’y précipite. Toutefois le passé, le présent et l’avenir, aussi bien que ce qui est étendu, profond, haut, proche, éloigné, tout cela dans la divinité n’est qu’une même chose et qu’un seul aperçu ; et l’âme sainte de l’homme jouit aussi du même avantage ; mais seulement par portions, tant qu’elle est dans ce monde.

Il ajoute encore : Ce que vous ne trouverez pas suffisamment clair dans ce livre, le sera davantage dans le second et le troisième. Car, par suite de notre corruption, nos connaissances ne viennent que peu à peu, et n’obtiennent pas sur le champ leur complément. Il n’en est pas moins vrai que ce livre est une merveille du monde et l’âme sainte le comprendra aisément.

Ainsi parlait Jacob Böhme…

Source : GRANDE LOGE TRADITIONNELLE INITIATIQUE

A.S.: