Les animaux devant la porte
Un couple de paysans habitait dans une petite ferme isolée au milieu des montagnes. L’époux était un brave homme et sa femme l’aimait tendrement.
Un jour, un violent orage abîma la toiture de leur petite ferme. Pour pouvoir la réparer, ils décidèrent d’un commun accord de vendre leur unique âne. Dès le lendemain matin, le paysan se mit en route avec sa bête. À mi-chemin, il fut rejoint par un homme qui se rendait, tout comme lui, au marché pour y vendre son cheval. L’étranger lui proposa d’échanger sa monture contre l’âne.
— Pourquoi pas ? se dit le paysan. Un cheval rend de grands services. Je pourrai grâce à lui labourer mon champ et gagner de quoi réparer le toit de la ferme.
Sur cette réflexion, il troqua son âne contre le cheval et reprit le chemin de sa maison. Au bout d’un moment, ayant vu l’animal trébucher à plusieurs reprises, il se rendit compte que le cheval était aveugle.
— Pauvre bête, dit-il en la caressant doucement, comme il doit être pénible d’avancer ainsi sur cette route rocailleuse sans y voir.
Il dirigea le cheval sur le bord du chemin pour qu’il puisse brouter et s’assit pour réfléchir à ce qu’il convenait de faire.
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Bientôt, un homme s’approcha, traînant une vache derrière lui :
— Voilà une bien belle bête, dit-il au paysan, en regardant le cheval.
— Oui, lui répondit celui-ci, mais l’animal est aveugle.
— J’ai justement besoin d’un cheval pour des travaux faciles, continua l’homme, celui-ci fera bien l’affaire, même aveugle. Je vous l’échangerais volontiers contre ma vache.
L’affaire fut conclue et le paysan reprit sa route. Mais un peu plus loin, trouvant que la vache avançait bien lentement, il l’examina attentivement. Il se rendit compte que la bête avait une patte arrière plus courte que les autres. Un homme s’approcha tenant une chèvre dans ses bras. Il demanda au paysan pourquoi il avait l’air soucieux.
— Tout à l’heure, lui raconta celui-ci, j’ai acquis cette vache et je découvre maintenant qu’elle est boiteuse. Le chemin pour rentrer chez moi est encore long ; la pauvre bête souffrira à tant marcher.
— J’ai depuis longtemps besoin d’une vache, lui dit l’inconnu, prenez ma chèvre à la place. Voici les premières maisons de mon village, je ne l’emmène pas loin.
Le paysan accepta et reprit sa route, la petite chèvre dans les bras.
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Ayant marché un moment, le paysan fatigué posa la chèvre sur le chemin. Mais celle-ci, frissonnante, avait à peine la force de se tenir debout.
— Pauvre petite chèvre, s’exclama le paysan, mais tu es malade !
Apercevant une ferme au loin, il s’y rendit pour chercher de l’aide. La fermière examina l’animal.
— Je sais de quelle maladie elle souffre, lui dit-elle, je peux la guérir, mais il faut me la laisser quelques jours.
— Ma maison est encore loin, lui répondit le paysan, je ne pourrai pas attendre, ni revenir.
— Dans ce cas, lui dit la fermière, prenez ce coq à la place. Je garderai la chèvre.
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C’était maintenant l’après-midi. Le soleil brillait haut dans le ciel. Le paysan sentait la faim le tenailler, mais il n’avait pas d’argent sur lui. Au village suivant, il vendit le coq pour une pièce d’argent et s’offrit un copieux repas. Savourant à l’avance le festin qu’il allait faire, le paysan s’installa à l’ombre d’un arbre. Alors qu’il s’apprêtait à manger la première bouchée, il sursauta en entendant une voix derrière lui :
— Pitié, brave homme. Je n’ai presque rien mangé depuis plusieurs jours, et je ne sais même pas si je mangerai demain.
Le paysan se retourna et vit un vieux mendiant appuyé contre l’arbre. Sans hésiter un instant, il fit asseoir le vieil homme et posa l’assiette pleine devant lui. Il regarda avec bonheur l’homme se rassasier puis reprit, le cœur léger, le chemin de sa maison.
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Sa femme l’attendait sur le pas de la porte. Après l’avoir embrassée tendrement, il lui fit le récit de sa journée :
— Voilà, commença l’homme, je n’ai jamais vendu l’âne, je l’ai échangé contre un cheval.
— Contre un cheval ? Quelle excellente idée, lui répondit sa femme. Il sera très utile pour labourer notre champ.
— Attends, reprit le paysan, chemin faisant j’ai troqué le cheval contre une vache.
— Vois-tu, répondit sa femme, j’aurais fait exactement pareil à ta place. Une bonne vache nous donnera du lait frais tous les matins.
— Oui, continua le paysan, mais je n’ai plus la vache, je l’ai échangée contre une chèvre.
— Tu as très bien fait, répondit la femme. Le lait de chèvre est encore plus nourrissant ; je pourrai faire toutes sortes de fromages.
— Mais je n’ai plus la chèvre, j’ai pris un coq à la place, dit alors son mari.
— Bravo, c’est encore mieux, lui répondit sa femme. Un coq chantera tous les matins pour nous lever avec le soleil.
— Écoute, lui dit l’homme, je n’ai plus le coq. J’avais très faim, je l’ai vendu pour une pièce d’argent et je me suis acheté un peu de nourriture.
— Comme tu as eu raison, lui répondit sa femme. J’étais très inquiète que tu restes sans manger toute la journée. La route est longue, tu devais être fatigué.
— Attends, ajouta le paysan, j’allais commencer mon repas lorsqu’un mendiant affamé est apparu. Je lui ai donné toute la nourriture, puis je suis rentré à la maison.
— Tu n’aurais pas pu mieux faire, lui répondit sa femme en l’embrassant. Je suis si heureuse d’avoir épousé un homme tel que toi ! Viens maintenant, que je te serve quelque chose à manger. Tu dois avoir très faim.
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Le lendemain matin, l’homme se leva tôt pour se mettre à l’ouvrage. En ouvrant la porte de sa maison, quelle ne fut pas sa surprise en voyant un bel âne, un cheval qui n’était pas aveugle, une vache qui n’était pas infirme, une petite chèvre en bonne santé et un coq magnifique ! Au milieu de la cour, les rayons du soleil levant faisaient miroiter une pièce d’argent.
Il appela sa femme qui sourit en voyant ce spectacle. Elle demanda en se blottissant contre lui :
— Mais dis-moi, qui était donc ce mendiant à qui tu as donné ton repas ?
Johanna Coles ; Lydia Ross – L’Alphabet de la Sagesse – Paris, Albin Michel Jeunesse, 2003