« Si tu rencontres le Bouddha, tue le Bouddha ! » Cette réplique du maître chinois Lin-Tsi est certainement l’exhortation la plus déroutante du bouddhisme zen. Que signifie-t-elle ?
« Si tu rencontres le Bouddha, tue-le » est une planche maçonnique qui nous est offerte par Jean Van Win.
Jean Van Win est un auteur belge francophone qui, après une carrière internationale, se consacre à la musicologie et à l’étude des sociétés de pensée de la fin du XVIIIème siècle et du début du XIXème. Il réside près de Bruxelles.
Si tu rencontres le Bouddha, tue-le
Tel est l’enseignement du maître Zen à son disciple.
Enseignement qui contredit
notre conception occidentale
du maître,
ce maître qui, chez nous, guide avec amour et patience les efforts
de l’apprenti et du compagnon
et leur enseigne progressivement le mouvement juste et le geste précis.
Car sa méthode enseigne l’imitation.
Car son but est la ressemblance.
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Tuer le Bouddha, c’est, à l’inverse, supprimer l’enseignement.
C’est supprimer la similitude avec le maître,
C’est nier la conformité au modèle,
C’est renoncer, une fois pour toutes,
à l’identification au père, ce fantôme castrateur.
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Tuer le Bouddha, c’est prendre en mains sa destinée
C’est juguler l’angoisse
C’est dompter la bête domestique
avec ses velléités de dépendance
sa soif de récompenses
son besoin d’approbation.
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Tuer le Bouddha, c’est tuer les influences,
les soumissions, les tutelles, les obéissances,
dès lors que ce quarteron de tyranneaux médiocres
nous a suffisamment nourris
jusqu’à l’écoeurement et la satiété
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N’attends pas de moi, Frère Gabaon, que je t’explique
quoi que ce soit du rite millénaire
que tu as vécu ce midi avec nous
dans le secret partagé en silence
par des hommes voués à un même destin tragique.
N’attends pas de moi l’enseignement du maître
si ce n’est qu’il n’y a pas d’enseignement.
Tout est là.
La seule règle dont le maître fasse usage,
est celle qui conduit de la souffrance à l’expérience,
de l’expérience à la méditation,
de la méditation à la lucidité,
de la lucidité au détachement.
Voilà le seul héritage que nous te transmettons.
Pour le reste, pénètre-toi de l’insignifiance des choses,
hume les fleurs et les femmes si elles sont jolies,
et bois le vin à fortes lampées, ce pourpre fils des dieux.
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Un de nos frères que j’aime a écrit ceci :
«La tradition enseigne que l’initié n’est parvenu au terme de sa quête
que s’il a tué le maître. Celui-là parvient au terme de l’initiation
qui est en fait et en droit le meurtrier du maître ».
La mort du maître n’est pas une opération sacrificielle.
C’est la mort du fils qui en est une.
La mort du maître est essentiellement la loi du renouvellement.
C’est à dire la loi de l’oubli,
la loi du dépassement, la loi de la reconnaissance de soi.
On n’est vraiment soi-même que si on s’est substitué aux autres
dans leurs rapports avec le monde.
On est soi-même que si on s’est identifié avec le tout .
Dans notre langage d’initiés, ceci s’appelle compassion.
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Si tu rencontres Hiram, tue-le.
Tue-le et prends sa place, mon Frère, comme un autre un jour prendra la tienne.
Et que ceci ne trouble en rien ta sérénité.
Ce qui compte, c’est qu’Hiram vive en toi
Et pour qu’il vive en toi, il a fallu qu’il meure au monde.
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Ce qui compte, c’est qu’il éclaire désormais ta nouvelle existence
Car il est revenu de cette Jérusalem-là où tout n’est plus que lumière.
Ce qui compte, c’est la transmission de la lumière
Car la lumière vient des ténèbres comme la vie naît de la mort.
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Si tu rencontres Hiram, tue-le, et deviens Hiram.
Deviens ce que tu es.
Toute la voie initiatique, depuis ton entrée dans la chambre de préparation,
mène vers cela et rien que cela.
Il faut que le grain meure, dit-on chez nous, pour qu’il pourrisse
et devienne ainsi germe
avant son prodigieux jaillissement d’aveugle vers la lumière.
Il n’y a pas d’autre façon de perpétuer la vie.
Il n’y a pas d’autre façon d’accéder à cette orgueilleuse royauté
Qu’est l’indépendance de l’homme seul
Accomplissant sa destinée sans autre lumière que celle
de sa lucidité bienveillante dans un univers sans objet.
C’est là ta deuxième et dernière naissance, mon Frère,
celle qui te voit surgir, non de la vie de ta mère, mais de la mort de ton père.
Indépendance ou solitude ? Ce n’est du reste plus un choix qui t’est donné.
Ce n’est plus toi qui décides.
Fais donc en sorte que cette solitude et cette indépendance
soient par-dessus tout et avant tout
compassion, lumière
et paix.