Ce sont deux figures de référence de la Franc-Maçonnerie qui vont donner une conférence publique le 29 mars prochain à Dijon. Entretien avec l’une d’entre elles, Pierre-Marie Adam, Passé Grand Maître de la Grande Loge de France.
Source : Propos recueillis par Jean-Louis Pierre – Pierre-Marie Adam : « C’est en se questionnant qu’on est à même de progresser » – Site Dijon L’Hebdo
En quoi peut-il être important d’être franc maçon aujourd’hui ?
« Je vous proposerais volontiers de jeter un œil sur le monde qui nous entoure. Un monde dont on considère qu’il est fait de bruit et de fureur et où on s’y comporte en concurrent voire en ennemi. Un monde qui privilégie l’ère de l’immédiateté et du court terme, la course à l’audimat au détriment du fond… Voilà ce qu’est notre quotidien aujourd’hui. Et, en même temps, quand on regarde les institutions, on a le sentiment qu’on a perdu nos références religieuses, qu’on n’a plus de colonne vertébrale en matière politique et surtout qu’on est très sceptique de voir qu’on pratique la démocratie dans la rue parce qu’on n’a plus confiance dans les institutions. Je dirais la même chose pour le vivre ensemble où là on peut s’interroger sur le communautarisme et le repli sur soi. Dans un monde comme celui-là, on a besoin de références, d’un corpus qui donnent des clés pour avancer. Et là, la réponse pourrait être la franc-maçonnerie dans la mesure où c’est une institution qui a une tradition, qui propose un cadre et des règles, une méthode qui s’appuie sur l’écoute et le partage et qui, de ce fait, ne laisse pas l’individualisme forcené fonctionner. Nous proposons de réfléchir, avec conviction et partage, au sens à donner à son existence et à faire en sorte qu’on retrouve des règles, des modes de fonctionnement de vie en société et pas simplement de voir passer les jours les uns après les autres ».
Comment le devient-on ?
« Si ce que je viens de vous dire est de nature à intéresser quelqu’un, trois solutions se présentent. La plus ancienne, c’est la cooptation. Par exemple, dans l’environnement professionnel, amical, associatif, dans lequel on se trouve, il peut y avoir une personne qui sera en mesure de dire que vous correspondez aux « standards » qui pourraient faire de vous un franc-maçon. C’est une façon d’être approché.
La deuxième solution, c’est, si on est soi-même curieux et intéressé, c’est d’aller sur le site gldf.org et de cliquer sur l’onglet « Nous rejoindre ». On fait une demande de contact.
La troisième solution, c’est celle qui se présente le 29 mars prochain avec la conférence publique que je donnerai avec Jean-François Demuliez, Grand Maître Honoris Causa, à Dijon. Chacun peut y venir et, le cas échéant, discuter avec des francs-maçons présents. On peut aussi remplir, sur place, un document pour être contacté et le laisser au terme de la conférence ».
Le franc-maçon doit-il croire, ou ne pas croire, en Dieu ?
« Tout dépend de l’obédience dans laquelle on envisage d’entrer. Il y a une obédience théiste, c’est à dire qu’il faut croire en Dieu si on veut pouvoir être admis à la Grande Loge nationale française. A la Grande Loge de France, on peut croire ou ne pas croire. C’est « open » si je puis dire. En revanche, ce qu’il faut accepter comme idée, c’est qu’on n’est pas dans une vie, dans un comportement terre à terre. Il faut avoir la conviction d’une certaine transcendance, voire d’immanence supérieure, de l’existence de quelque chose qui nous dépasse. Qu’au delà du fini, il y a quelque chose d’infini ».
Qu’est-ce qui distingue le Grande Loge de France des autres obédiences ?
« Sur la question de la croyance, c’est, à la Grande Loge de France, liberté absolue de conscience, c’est à dire de croire ou ne pas croire. Ce qui n’est pas le cas à la GLNF. Quant au Grand Orient, ce n’est pas une question qui le taraude dans la mesure où le Grand Architecte de l’Univers n’est pas une référence aussi incontournable que chez nous.
La Grande Loge de France n’est pas une sorte de lobby social. Elle n’est pas, non plus, renfermée en elle-même comme la GLNF. Nous avons comme conviction qu’il nous faut agir dans le monde mais à titre individuel. C’est parce que nous deviendrons meilleur que nous permettrons au monde de se construire meilleur. Mais ce n’est pas la Grande Loge de France, mais les maçons de la Grande Loge de France ».
A la différence d’autres obédiences, la Grande Loge Loge de France ne s’est jamais ouverte à la mixité. Pourquoi ?
« Historiquement, il n’y a jamais eu, à ma connaissance, d’initiation mixte. Nous avons la conviction que l’initiation féminine n’est pas, toute chose égale d’ailleurs, de même constitution que l’initiation masculine. Ont été créées des institutions pour les hommes -les frères- et d’autres pour les femmes les soeurs-. Et, en troisième lieu, des institutions mixtes. Pour ceux qui connaissent l’histoire, le Droit Humain, la Grande Loge Féminine sont nés de la Grande Loge de France.
Aujourd’hui, un(e) profane qui veut devenir franc-maçon, a le choix entre déiste, théiste ou sociétal. Mais aussi le choix entre masculin, féminin ou mixte. C’est la loi des associations de se définir dans leurs statuts pour définir qui peut faire partie des membres. C’est ce qu’on appelle l’affectio societatis. Vous noterez que bon nombre d’obédiences ne sont pas mixtes : la GLNF, la GLFF, la GLTSO… ».
Qu’est-ce qui confère à la Franc-Maçonnerie une place de premier plan -qu’elle revendique- pour envisager les enjeux philosophiques et citoyens de demain ? Quelles voies doit-elle emprunter pour répondre aux questions du moment ?
« Tout dépend des questions du moment. Certes, être citoyen, c’est s’intéresser à la question des retraites. Chacun des Frères que cela concerne est bien évidemment libre de réagir ou pas à titre individuel. En revanche, en terme d’enjeux philosophiques et citoyens, il y a des questions qui touchent à l’éthique. Et parmi elles, la fin de vie. Et sur ces questions-là, la Grande Loge de France peut s’exprimer dès lors qu’on ne s’appuie pas sur le factuel mais bien sur le fond des choses. La fin de vie est une question d’actualité pour les francs-maçons de la Grande Loge de France parce qu’ils ont cette spécificité de travailler sur l’humanisme et le spirituel ».
La notion de secret qui entoure aujourd’hui la franc maçonnerie n’est-elle pas désuète ?
« Qu’est-ce qui pose problème dans cette question du secret ? Le fait que nous sommes entre nous pour pratiquer nos activités ? Le fait que ceux qui le sont ne se dévoilent pas ? Je ne pense pas que le conseil d’administration de LVMH soit ouvert au public… Il y a des réunions, mais aussi des procès, qui se tiennent à huis clos. Lorsqu’on veut travailler et être totalement libre de sa pensée, s’exprimer sans réticence, on a besoin d’être entre soi si je puis dire. Que nos réunions ne soient pas ouvertes au public, c’est justement pour permettre à chacun de s’exprimer en toute franchise et en toute liberté. Le secret de nos travaux n’a pas à être divulgué.
Sur le secret qui touche à l’initiation, je dirais simplement que c’est quelque chose que l’on doit vivre. Dès lors, ça ne se raconte pas car il est impossible de la faire ressentir. La seule vérité de ce secret de l’initiation, c’est qu’il n’est pas explicable.
Il y a aussi le secret de l’appartenance. Nous ne sommes ni Américains ni Anglais qui ont plutôt tendance à s’en glorifier. En France, ce n’est pas le cas. Pour autant, chacun fait comme il veut ».
Comment interprétez-vous cette phrase de Condorcet : « La vérité appartient à ceux qui la cherchent et non point à ceux qui prétendent la détenir » ?
Il faudrait pour que nous détenions la vérité, savoir ce qu’elle est. Or la vérité a ceci de particulier qu’elle est changeante, évolutive et toujours relative. Il n’y a qu’à regarder en matière scientifique l’évolution qu’il y a pu avoir entre ce que disait Descartes de l’atome, et ce qu’on dit aujourd’hui en passant par Einstein… Il n’y a pas de vérité absolue. Et celui qui affirme détenir la vérité, outre le fait qu’il peut empêcher les autres de continuer à chercher, il devient dogmatique. Et la franc-maçonnerie, c’est le contraire même du dogmatisme. C’est l’idée de poursuivre inlassablement le questionnement, à la fois sur soi-même, sur les autres, sur le monde, de façon à avancer. Et c’est en se questionnant qu’on est à même de progresser. En se nourrissant également des interrogations et des questionnements collectifs, mutuels. C’est d’ailleurs l’objet même de nos tenues ».
C’est simplement et sereinement dit.Cela devrait suffire à ceux qui cherchent même s’ils ne savent pas précisément quoi.