Voici une nouvelle réflexion de la part de la GLIF (Grande Loge Indépendante de France)
Regard sur la notion de liberté du maçon
Il est bon de rappeler à tout candidat que l’entrée en Franc-maçonnerie relève d’une démarche libre ; et cela ne cesse d’être répété tout au long des cérémonies de réception et d’avancement qui constituent la construction initiatique du Maçon. Mais l’initiation maçonnique confère-t-elle-même une forme de liberté différente de celle conférée par le droit ?
Quand on pense « liberté », il vient à l’esprit immédiatement l’ensemble des libertés qui donne à chacun, selon les cas, la possibilité de penser, de vouloir, de s’exprimer d’agir et de se déplacer sans contrainte. Or pour les Maçons, la liberté a davantage à voir avec la possibilité de vivre autrement. Pour cerner de plus près la notion de liberté des Maçons, on peut partir de deux approches distinctes en nature, l’une spirituelle, l’autre philosophique.
La vision spirituelle de Saint-Augustin. Du point de vue spirituel, ce qui entrave la liberté de l’homme, c’est le « péché », c’est- à-dire un comportement hors de la voie droite. Le péché est soumission aux passions qui donnent l’illusion de la jouissance, mais ne sont guère qu’une forme d’ivresse qui trouble et aveugle l’esprit humain, assujettissant ainsi l’homme à l’esclavage de ses émotions, et donc à la perte de toute liberté (et dignité) personnelle. Saint-Augustin affirme que la liberté nous est donnée (la vraie liberté) quand nous avons librement choisi le plan de salut et de délivrance révélé par Dieu. Car Dieu a créé l’homme libre, au moins doté de libre-arbitre. Il a été écarté de cette « liberté des enfants de Dieu » par la faute originelle. Toute sa vie, l’homme est en lutte contre les entraves du mal, contre l’esclavage du péché, pour retrouver cette liberté qu’il ne peut trouver qu’en Dieu.
En d’autres termes, l’homme naît doté d’une certaine marge de libre-arbitre, mais il en fait volontairement un fort mauvais usage, et il se retrouve, volontairement ou sans trop s’en rendre compte, esclave de lui-même. De plus Saint-Augustin, poussant la notion de liberté à l’extrême, va jusqu’à affirmer dans son livre La Cité de Dieu, que le prisonnier dans sa cellule est néanmoins libre s’il ne cède pas aux douleurs de la torture ou au sentiment d’être abandonné, dénué de tout secours. De même, à la suite du sac de Rome, il affirme également qu’une femme contrainte ou forcée, n’est nullement atteinte dans la liberté et l’intégrité de sa personne, si elle ne s’y prête pas ; car c’est équivalent à une blessure infligée à la guerre par un ennemi. Ainsi exonère-t-il de tout sentiment de culpabilité les femmes victimes de ces violences, ce qui libère leur conscience par le seul exercice de leur liberté personnelle. En résumé : La liberté est un état d’esprit à construire spirituellement : « il n’y a pas d’amour dans la contrainte, nous ne sommes pas libres pour nous soumettre librement à nos passions et à celles des autres, mais pour aimer (). » « C’est l’amour qui rend libre. »
La vision philosophique de Spinoza. Pour Spinoza, le libre arbitre n’existe pas. Les hommes se croient libres, car ils n’ont aucune conscience des causes qui motivent leurs actions. Toutes nos actions, nos choix, toutes nos pensées, nos mouvements, sont des relations de causes à effets.
On pourrait donc penser que, pour Spinoza, l’homme ne dispose d’aucune marge de liberté, étant à la fois ignorant des causes qui le poussent à penser ce qu’il pense, à vouloir ce qu’il veut, et à agir comme il agit. Cependant pour le philosophe, l’être humain pour être libre, doit, par l’usage de la raison et de la connaissance, identifier ses passions (affects négatifs) pour les transformer en actions (affects positifs). Libéré de l’influence des causes externes, chacun peut augmenter sa puissance de liberté, donc de perfectionnement de soi, et se rapprocher un peu plus de sa véritable essence : « Connais-toi toi-même ». En résumé : La liberté chez Spinoza, s’acquiert par une meilleure connaissance de soi-même et du monde qui nous entoure. En mettant de côté, nos préjugés et idées reçues et en n’étanchant jamais notre soif de savoir, peut-être qu’un jour nous arriverons à la liberté absolue. De tout ce cheminement découle une des maximes les plus belles attribuées à Spinoza : « Ne pas se moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester, mais comprendre. »
Conclusion. La liberté pour un Maçon est essentiellement un état d’esprit, mieux un état de conscience, mieux encore, un état d’être, corps, âme et esprit : corps, pour rester inébranlable devant les souffrances physiques, âme, pour compenser par la résistance morale les émotions de renoncement face à la violence et au malheur, esprit, pour repousser les pensées qui feraient de soi un être en déchéance, réduit en esclavage, alors qu’il est destiné à être heureux et à communiquer le bonheur. La liberté de l’homme est son véritable titre de noblesse. Rien ne peut l’en aliéner. L’initié le sait, il le cultive, il le protège. Vivre sans vraie liberté c’est, à l’instar des animaux et des êtres matériels, tâtonner dans les ténèbres. Pour le Maçon, la liberté, spirituelle ou philosophique, c’est la vraie lumière qui éclaire toute vie, quelles qu’en soient les vicissitudes.
Pour finir, voici un extrait d’un texte maçonnique, qui traite de la liberté. Il partage les deux positions ci-dessus affichées par Saint-Augustin et Spinoza, et en fait remarquablement la synthèse :
« Homme ! Roi du monde ! Chef-d’œuvre de la création lorsque Dieu l’anima de son souffle ! Médite ta sublime destination. Tout ce qui végète autour de toi, et n’a qu’une vie animale, périt avec le temps, et est soumis à son empire : ton âme [au sens d’être] immortelle seule, émanée du sein de la Divinité, survit aux choses matérielles et ne périra point. Voilà ton vrai titre de noblesse ; sens vivement ton bonheur, mais sans orgueil : il perdit ta race et te replongerait dans l’abîme. […] C’est ainsi que tu seras libre au milieu des fers, heureux au sein même du malheur, inébranlable au plus fort des orages et que tu mourras sans frayeur. »
(1) D’après Traité sur l’évangile de Saint-Jean par Saint-Augustin (41,8).