Dans un bois sombre, à l’abri de la chaleur ambiante, un jeune homme passait le temps en dessinant. Il s’était installé aux abords d’une large clairière et avait pris pour modèle l’arbre tortueux qui se trouvait en son centre.
Cet arbre impressionnant avait un tronc large et massif en plus d’être très grand. Ses racines emmêlées donnaient l’impression de s’enfoncer très loin dans la terre tandis qu’il fallait presque consentir à un torticolis pour apercevoir sa cime de près.
Ses feuilles, d’un vert profond, étaient étonnamment petites au regard de la taille de l’arbre, elles étaient si nombreuses et touffues néanmoins qu’il était impossible d’apercevoir une seule branche sans s’approcher.
Le jeune homme aimait cette clairière et cet arbre, depuis l’enfance. Il avait grandi en tentant d’escalader ce tronc qui s’était toujours refusé à lui. Quel que puisse être l’angle sous lequel il abordait son ascension, il n’était jamais parvenu à atteindre la première branche.
Combien de fois avait-il eu le sentiment en retombant que l’arbre se moquait de lui ! Il lui semblait que ce petit vent qui chatouillait les branches toujours juste à l’instant où il tombait, n’était là que pour marquer davantage son échec.
Cela l’énervait et le motivait à la fois, il ne pouvait accepter que cet arbre, cet Être, qui le fascinait tant puisse lui rester inaccessible.
Aussi un jour décida-t-il de modifier son approche. S’il n’était pas capable de grimper, il le conquerrait autrement. C’est ainsi qu’il entreprit de réaliser le portrait de celui qu’il voyait désormais comme son ami.
Un rival devenu ami auquel il désirait prouver qu’il était bien digne de lui. Un jour, deux jours, une semaine puis deux passèrent avant que le jeune homme ne parvienne à esquisser quelque chose de valable selon lui.
Ses talents, bien réels pourtant, étaient mis à rude épreuve. Il éprouvait toutes les peines du monde à reproduire ce qu’il percevait en regardant son ami.
Etait-ce la prestance de l’Arbre ? Sa noblesse évidente, sa présence mise en valeur par la clairière ? Il y avait une chose qu’il ne parvenait pas à rendre et il ne parvenait pas à comprendre ce dont il s’agissait.
Ce jour-là dans la clairière, ce jour où finalement il était parvenu à un résultat à peu près approchant, il se demanda ce qu’il manquait. Il levait la tête, revenait sur son dessin, relevait la tête, revenait sur son dessin, jusqu’au moment où il laissa tomber papier et crayon.
Il s’assit à même le sol et se jura qu’il n’avalerait plus une goutte d’eau jusqu’à ce qu’il ait atteint son but. Il s’endormit peu après.
Le lendemain matin à son réveil, les feuilles de l’arbre étaient toutes gorgées de rosée. C’était la première fois que le jeune homme contemplait ce spectacle. La beauté de cet Etre brillant sous les rayons du soleil matinal lui coupa le souffle et il remarqua à peine qu’autour de l’arbre, sur l’herbe à ses pieds, tout était absolument sec, il n’y avait de rosée que sur les feuilles. Il reprit carnet et crayon et se remit au travail, en fermant les yeux cette fois.
Il savait ce qui lui avait jusque là échappé et il savait aussi où le trouver. Il se remit à dessiner, les yeux clos. Il passa des heures qui parurent cinq minutes à caresser de son crayon une feuille d’où l’Être qu’il admirait prenait enfin vie.
Lorsqu’il rouvrit enfin les yeux, il esquissa enfin, un magnifique sourire. Il avait réussi.
Il s’approcha de l’arbre et ouvrit la bouche, de l’eau coula doucement jusque dans sa gorge et il put boire jusqu’à être totalement désaltéré.
Il rentra chez lui en sachant qu’il reviendrait le lendemain, puis le jour d’après, résolu à attendre le jour où il pourrait finalement s’installer dans la clairière.
Le lendemain pourtant, son ami n’était plus qu’un amas de cendres, la foudre s’étant abattu sur lui.
Le jeune homme en eut un énorme choc. Les bois autour étaient intacts, l’herbe était intact, seul l’arbre n’existait plus.
Toutefois, avant qu’il n’ait eu le temps d’exprimer colère ou tristesse, il sentit une main dans la sienne. Il ferma les yeux et les rouvrit chez lui.
Le sourire aux lèvres il regardait son ami, allongé à ses côtés puis plongea doucement dans le sommeil en repensant au jour où il avait laissé tomber papier et crayon à terre.
En repensant au moment où il avait accepté de révéler qui il était afin que l’Arbre se donne à lui.
Dix ans maintenant que cette histoire durait, dix ans que l’Homme partageait sa vie. Dix ans qu’il luttaient chaque jour à leur manière pour que les restes de l’Arbre fertilisent la terre et que la clairière reste accueillante. Dix ans d’une paix due à la Connaissance autant qu’à la Reconnaissance.
Source : NI OMBRE NI LUMIÈRE
JE SUIS UN ARBRE
Je prends racine dans la terre
C’est toi qui me nourris mère
Mon tronc grossit
Grandit, grandit, grandit
Mes branches s’écartent à fond
Pour ne par tourner en rond
Pour moi la pluie
N’est pas l’ennui
L’oiseau sur ma branche
Trouve repos et jamais ne dérange
J’abrite les petits êtres dans mes branchages
Mais je crains la foudre et l’orage
Je donne de l’ombre, je donne la vie
Toi aussi prends soin de moi l’ami(e)
Sur le même sol nous tous sommes la forêt
Comme vous cohabitez dans la société
FRATERNITE