Souvent, au Grand Orient de France, l’on s’inquiète avec gravité : trop riches, trop vieux, trop pâles, trop mâles seraient ses membres. Pas assez d’ouvriers et d’employés déplore la vieille gauche ; pas assez de jeunes, de femmes et de minorités visibles s’indigne la post-gauche ; l’énergie innovante des entrepreneurs fait défaut, ajoute la droite moderne. Faudra-t-il donc inviter les loges à recruter selon la méthode des quotas, établir la parité sexuelle, subir la tyrannie de la catégorisation ?
- Réfléchir
- Samuël Tomei
- Dans Humanisme 2015/3 (N° 308)
En somme, la question est de savoir si, pour remplir sa mission d’améliorer l’homme et la société, le Grand Orient a vocation à ressembler à la société. Si oui, nous tomberions dans un travers qui mine la sphère politique, ignorant le sage avertissement du philosophe Alain : « Je n’ai pas l’espoir de voir le paysan au pouvoir, ou bien le terrassier ; dès qu’il aurait le pouvoir, il ne serait plus paysan ni terrassier. »
Est-il utile de rappeler que la nuit du 4 Août fut le fait de futurs ci-devant et non de sans-culottes ? Le représentant du peuple n’a pas à refléter le peuple pour servir son intérêt ; une efficace représentation politique ne dépend pas d’une fidèle représentation sociologique. Le politique s’annule à mimer la fragmentation sociale. Pour Jean-Claude Milner, l’obsession de tout dispositif de gouvernementalité de refléter la société conduit à l’extinction de la vie intellectuelle. Appliquer cet axiome à une obédience revient à considérer qu’à force de la vouloir spéculaire, on ruine la maçonnerie spéculative.
3Si, bien sûr, l’entre-soi, facteur de sclérose, est à proscrire en loge, s’il importe que le montant de la capitation ne soit pas un obstacle à l’initiation, le Grand Orient n’a pas à réfléchir la société pour réfléchir sur elle. Il n’y parviendra précisément qu’en s’en séparant – séparation temporaire et partielle matérialisée par le rituel et le port du tablier et des gants, les frères laissant leurs appartenances et spécificités diverses, visibles ou non, à la porte du temple où l’on ne vient pas en tant que femme, employé ou sénateur. Ce n’est que par ce travail de suspension qu’on s’affranchira des distinctions sociales, ethniques ou autres et qu’on fera grandir l’humanité en soi et donc hors les murs.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/02/2021 – https://doi.org/10.3917/huma.308.0001
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