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QUI SUIS-JE ?

La question ‘Qui suis-je?’ admet elle une réponse exacte

Introduction

Sans doute un enfant peut-il, à partir d’un certain âge répondre spontanément à la question « Qui suis-je? » (en fait suscitée par un « Qui es tu? ») : il énumère ses nom et prénom, ceux de ses parents, la liste de ses frères et sœurs, il peut même mentionner son adresse, ou décrire rapidement l’habitation familiale… Mais il est innocent: il ne perçoit pas encore la complexité de son « je », et se contente d’un repérage en quelque sorte extérieur, par des indices objectifs. Pour un adulte, et plus encore un philosophe, la réponse à cette question est autrement complexe – d’autant plus si l’on attend qu’elle soit « exacte

A. Une question tardive

Lorsque Socrate recommande de se connaître soi-même, il n’a pas encore en vue de répondre à la question « Qui suis-je? ». Se connaître au début de la tradition philosophique, c’est d’abord se repérer comme homme: savoir de quoi l’on est capable, jusqu’où on peut aller, quelles sont les valeurs que l’on doit défendre. En d’autres termes: n’être (et se savoir) ni animal ni divin, prendre la mesure de l’humanité moyenne en fuyant l’ubris (démesure ou violence). Le « je » subjectif n’est pas en cause, parce que la conscience socratique est d’abord à portée morale.

B. Du « Que? » au « Qui? »

Se définir comme homme – et quel que soit le sens que l’on donne à ce terme-, c’est davantage répondre à un « Que suis-je? » qu’à un « Qui suis-je? ». Saisir la spécificité du « qui » implique la conscience d’une singularité , d’une unicité peut-être. L’analyse de ce « je », lorsqu’elle est instaurée dans les Confessions de Saint Augustin, apparaît aussitôt comme longue, sinon interminable. Qu’il s’agisse des Essais de Montaigne ou des Confessions de Rousseau, les textes sont copieux, parce qu’il faut tenir compte de l’évolution du « je ». De surcroît, ce « je » paraît éminemment mobile: c’est le va-et-vient de Montaigne de l’épicurisme au stoïcisme, c’est la façon dont Rousseau essaie de débusquer, derrière chacun de ses sentiments, des causes éventuellement lointaines et des retentissements d’abord inaperçus.

C. Le journal interminable

La durée de l’exploration se confirme dans tous les journaux intimes: plus un sujet tente de se cerner pour se définir avec quelque précision, plus il s’engage dans des voies tortueuses, relativement auxquelles tout évènement nouvellement vécu introduit sans cesse de nouvelles perspectives (tant que dure l’existence de celui qui s’analyse, en sorte qu’on peut demander si la démarche n’est pas par nature condamnée à l’échec).

II) Le cogito

A. Un enseignement modeste

Plus radicale paraît l’attitude cartésienne, mais peut être est-elle, en dépit de la certitude qu’elle procure, moins riche en enseignements. En effet, le cogito me révèle bien ma nature fondamentale de « substance pensante », mais il n’explore en rien, par lui-même, ma subjectivité. Au point qu’on peut considérer qu’il m’enseigne davantage que, ou ce que je suis, que, plus précisément, qui je suis. Sans doute peut on considérer qu’ être substance pensante est commun à tous les « je » différents, puisque la démarche initiée par Descartes s’accompagne de l’invitation faîte à chacun de la répéter, mais c’est précisément cette différence qui intrigue et qui demande à être précisée, parce que c’est elle qui fonde la singularité du « je », alors que le cogito la considère comme accessoire.

B. Les sciences humaines

Puisqu’il s’agit d’obtenir une réponse « exacte », pourquoi ne pas s’appuyer sur les apports qu’offriraient certaines disciplines scientifiques? La psychologie décrit comportements et fonctions mentales. Mais des descriptions, si elles sont scientifiques, sont universelles: je pourrais dons savoir de quoi ou comment je suis fait, mais certainement pas ce qui me revient singulièrement dans les fonctionnements qu’elle décrit: mon « je » est en fait noyé dans une moyenne qui le dissimule. La sociologie invite au même constat : je sais que je vis dans une société, que j’appartiens à tel milieu social ou professionnel, quels sont mes loisirs préférés, etc. Le sociologue analyse mon groupe, décrit ses manières d’être, ses revenus, ses loisirs, ses goûts, et je me trouve à nouveau perdu dans des données qui me parraissent trop communes pour me concerner ou me permettre une description de ce que je ressens en moi comme unique.

C. L’histoire familiale

L’exactitude, au sens scientifique, semble ainsi de peu de secours pour savoir qui je suis. Si je me tourne vers mon histoire familiale, sous prétexte d’hérédité partielle ou d’héritage culturel, je risque là aussi un bel échec : comment arriverais-je à savoir qui je suis en prenant appui sur d’autres personnes, dont je ne peux guère savoir avec certitude qui elles furent? La psychanalyse peut proposer ici la situation la plus symptomatique, non parce l’hypothèse de l’inconscient me condamnerait à ignorer définitivement qui je suis, car je peux considérer que connaître les déterminations de mon inconscient est le meilleur moyen de m’en libérer et recourir pour ce faire à une cure. mais c’est que cette cure m’apprendra comment mon histoire résulte des relations avec d’autres personnes, parents ou étrangers: et me revoici face à des inconnues.

III) Psychologie et métaphysique.

A. La question est rare

Puisqu’il paraît décidément difficile de répondre avec exactitude à la question du « Qui suis-je? », on objecterait volontiers qu’elle est peu fréquente: elle apparaît rarement dans la vie quotidienne. Le sujet se contente d’agir, de répondre aux sollicitations et aux problèmes qu’il rencontre, et il suppose globalement que son « je » est ou a bien une réalité, dont la connaissance n’est après tout pas de première nécessité. Qui je suis peut alors être traduit en : voici ce que je fais, ce que j’aime, ce que j’ai – où certaines formes d’avoir se substituent aisément à l’être subjectif.

B. Une portée métaphysique

Savoir qui l »on est peut d’ailleurs n’être pas de tout repos, si l’on en croit Pascal et si l’on a l’esprit un peu porté vers la métaphysique. Lorsque Pascal constate que les hommes se dispersent en quantité d’occupations mondaines et que, s’il leur reste du temps, ils l’occupent en « divertissements », c’est pour ajouter que, s’ils se trouvaient brutalement face à leur être réel, cela ferait leur malheur. Si pour savoir qui je suis, je dois me dépouiller de tout ce qui me rattache au monde, je risque fort de me retrouver face à un néant, ou à une existence inquiète, vouée à la crainte, car la conscience de sa petitesse et de sa vanité profonde. Le « je » est cette fois situé dans une confrontation métaphysique avec deux infinis qui l’effraient également. Ce « cogito existentiel » saisit l’individu par sa condition, et cela annule toute prétention à cerner sa subjectivité, dont la réalité ne peur que paraître dérisoire si on la compare aux abîmes qu’elle recouvre.

C. Dynamique du pour-soi

C’est en comprenant autrement l’être de la subjectivité qu’une solution peut apparaître. Il ne suffit pas de reconnaître l’existence d’un héritage socio-familial et de relations, conscientes ou non, avec les autres; il faut aussi considérer que le « je » se déploie dans la temporalité, et transposer ainsi en termes philosophiques le constat d’abord psychologique des diaristes. Si je « je » n’en finit pas de changer, c’est parce qu’il est dans sa nature d’être toujours en cours de constitution, par une interminable série de projets, d’ajustements, d’erreurs et de recompositions. En termes sartiens, le pour-soi qui cherche une réponse à la question « Qui suis-je? » ne peut que s’ojectiver en un en-soi trompeur: il adopte dès lors le point de vue d’un autre sur lui-même, et prétend fallacieusement interrompre sa propre aventure sous prétexte de se connaître. Ce qu’il peut alors repérer comme constituant son « je » n’est en fait qu’un moment mort de son histoire, et d’adhérer à se moment en le prenant pour un « je » consistant ou définitif ne peut mener qu’à méconnaitre le dynamisme ouvert de l’existence et de la liberté.

Conclusion

Si l’on admet de la sorte que le « je » évolue jusqu’à sa dispersion, on est obligé de reconnaître que toute connaissance de ce qu’il peut être reste d’autant plus approximative qu’il n’est rien à proprement parler, mais devient. Seul autrui pourra dire qui j’aurai été, d’un point de vue très extérieur, et uniquement rétrospectif.

SOURCE : https://www.superprof.fr/ressources/scolaire/philosophie/dissertation-philo/terminale-l-philo3/nature-de-l-etre-philo.html#chapitre_i-apports-de-auto-analyse

A.S.: