Ce type de dictionnaire régional répond en fait à une demande de plus en plus pressante de certains de savoir si l’un de leurs ancêtres étaient ou non francs-maçons. C’est aussi l’opportunité de plonger dans l’Histoire de la Franc-Maçonnerie…
Eric Gédaud est également l’auteur de « Histoire des francs-maçons ariégeois » paru en 2004.
Après Histoire des francs-maçons ariégeois paru en 2004, peut-on dire que ce Dictionnaire des francs-maçons ariégeois est le tome II de cette histoire ?
Eric Géraud : Cet ouvrage est une réponse à de nombreux lecteurs de l’histoire des francs-maçons ariégeois qui m’ont souvent demandé si l’un de leurs ancêtres avait été franc-maçon. Quelques étudiants et chercheurs en histoire m’interrogeaient aussi régulièrement sur l’appartenance de tel ou tel. Enfin, quelques documents précieux n’ont été découverts qu’après la parution du premier volume et ils méritaient d’être portés à la connaissance du grand public. On peut donc, en effet, considérer ce dictionnaire comme le tome II de l’Histoire des francs-maçons ariégeois, même s’il peut être lu séparément.
Quelles étaient les motivations des hommes politiques ariégeois (et ils étaient nombreux et souvent de premier plan) à devenir franc-maçon ?
A la fin du XIXe siècle, les républicains cherchent des structures – laïques – capables de les accueillir et de rivaliser en efficacité avec les nombreuses organisations, essentiellement catholiques, qui quadrillent le pays et qui servent d’agents électoraux à une droite réactionnaire (confréries de pénitents, conseils de fabriques, comités paroissiaux,…).
Les loges maçonniques se révèlent idéales pour véhiculer le message de progrès démocratique et social des républicains. Les hommes politiques ariégeois s’y retrouvent souvent car elles sont à la fois un lieu de sociabilité, un laboratoire d’idées et « un endroit à part » où l’on peut travailler, à l’abri des indiscrétions, à l’avènement d’un homme libéré dans un monde plus solidaire sans crainte d’être pris pour un illuminé où un dangereux collectiviste. De nombreux maires, conseillers généraux, parlementaires et même le ministre des Affaires étrangères, Théophile Delcassé, ont, par exemple, appartenu à la loge du Grand Orient de France à Foix : La Fraternité latine.
La classe politique actuelle, en Ariège, s’investit-elle autant en franc-maçonnerie que dans les années 1900 ?
La reconnaissance institutionnelle des partis politiques au travers de la création de la loi sur les Associations en 1901 (création du Parti radical en 1901, du Parti socialiste en 1905) a certainement permis aux loges de se recentrer sur leur « cœur de métier » en abandonnant le combat électoral direct au profit de la réflexion philosophique.
Nos hommes politiques actuels ont donc certainement moins besoin de la Franc-Maçonnerie en tant que force militante. Mais pourquoi se priveraient-ils de l’apport d’une force pensante qui n’a jamais plaint son action démocratique contre toutes les dictatures, son action laïque contre tous les cléricalismes, son action sociale contre toutes les misères ?
La Franc-Maçonnerie en Ariège était-elle plus vivace aux 19e et XXe siècles qu’aujourd’hui ?
Il y a des faits objectifs : je n’ai recensé l’existence que de six loges principales au XIXe siècle. Une douzaine d’autres loges ont été créées à la fin du XXe siècle et, pour ce que j’ai pu en apprendre, fonctionnent toujours. Quatre loges supplémentaires auraient vu le jour en ce début de XXIe siècle. Il y a donc fort à parier que le véritable âge d’or de la franc-maçonnerie, ce soit aujourd’hui ; il n’est pas à rechercher dans un passé mythique.
Quelles sont vos conclusions sur une répartition « socio-professionnelle » des francs-maçons ariégeois depuis l’implantation des premières loges en Ariège ?
La répartition socioprofessionnelle dans les loges varie selon les lieux et les époques. Y siègent de petits propriétaires ou employés, quelques notables, des instituteurs, des fonctionnaires, des artisans et des commerçants… Qui encore ? Je crois plus simple de dire que n’y ont jamais siégé les gros possédants, les amis de l’Eglise et des anciens féodaux, qu’au début les paysans ne les fréquentaient pas et que, par la suite, les ouvriers les ont abandonnées.
Quelles ont été vos sources pour ce travail ? Avez-vous eu accès à toutes les archives disponibles ?
La Bibliothèque Nationale de France, les Archives Départementales de l’Ariège, les archives du Grand Orient de France recèlent des trésors accessibles à tous les chercheurs. Les archives diocésaines de l’Ariège conservent aussi quelques dossiers riches d’enseignement. Les responsables de la loge du Grand Orient, La Fraternité Latine à Foix (la plus ancienne et la plus impressionnante des loges maçonniques ariégeoises en activité depuis 1884), ont également accepté de m’ouvrir leurs fonds anciens. Enfin des descendants de francs-maçons m’ont confié papiers, anecdotes et souvenirs. Pour autant je suis persuadé que d’autres fonds dorment encore dans le secret des bibliothèques ou des greniers. Que leurs propriétaires n’hésitent pas à me contacter s’ils souhaitent faire connaître – et donc sauver – ce patrimoine.
Avez-vous supprimé certains noms en raison du refus de certains descendants actuels ?
Aucun nom n’a été supprimé : en histoire ou ailleurs, je n’ai jamais été partisan de la censure et des autodafés. Quand j’affirme que tel ou tel a été franc-maçon, c’est que je dispose de documents d’origine maçonnique qui le prouvent. Quand j’ai des doutes sur certains je le signale aussi. Etre franc-maçon n’est pas honteux, c’est même plutôt honorable quand on défend l’idéal républicain et laïque. C’est certainement pour cela qu’aucun de leurs descendants ne m’a jamais adressé le moindre reproche. Au contraire…
« Dictionnaire des francs-maçons ariégeois » d’Eric Géraud (éditions Christian-Lacour)