La question qui revient souvent sur les lèvres est celle de la réalité de l’amour personnel :
« Qu’est-ce qu’aimer quelqu’un ? »
Nous avons pris l’habitude de regarder ce qui nous anime sous un angle arrangeant afin de légitimer nos penchants.
Ainsi, quand nous parlons du couple ou même de l’amour maternel, nous sommes enclins à y trouver (ou en attendre) la pureté, l’altruisme.
Si nous demandons à deux individus attachés l’un à l’autre s’ils s’aiment, ils répondront généralement oui, sans hésiter, mais sans pour autant être capable de commenter spontanément ce sentiment. Et si nous insistons, nous entendons souvent l’effort personnel à donner une apparence « propre » à nos relations. Pourtant, un regard un peu plus franc nous permet d’éclaircir avantageusement la notion d’amour, non pour la salir comme nous pourrions le penser, mais pour permettre au discernement de grandir et cela afin de reconnaître le Vrai qui se cache souvent derrière d’autres vérités plus pratiques et confortables.
Le couple est une construction de l’ego. La vision de l’ego conduit à la quête pour combler le sentiment de séparation, le manque d’unité. Deux individus s’associent dans l’espoir de combler un vide. Les besoins sexuels s’ajoutent à cela – quand ils ne sont pas en fait la raison principale de cette association – parce qu’ils trouvent dans le couple officiel une opportunité de se satisfaire.
Ainsi, personne n’aime personne. On s’associe à quelqu’un pour soi, même si une certaine idée de la morale nous amène à dire ou penser que cela est bon pour l’autre. La réalité est que le besoin personnel est le moteur unique de l’affection comme de l’acte sexuel et le fait que cela puisse satisfaire l’autre est tout à fait accessoire dans cette vision, même si cette réalité est récupérée pour se donner bonne conscience. Le couple est un arrangement personnel auquel nous avons tenté de donner une image plus spirituellement ou socialement correcte.
Personne n’aime jamais personne est la réalité de l’ego. Mais cette réalité est insupportable et il est possible que vous ressentiez cela à la lecture de ces mots si vous n’avez jamais osé regarder les choses ainsi. L’amour que nous disons éprouver pour quelqu’un d’autre est un intérêt personnel, un besoin qui, s’il n’est plus satisfait, peut rapidement se transformer en hostilité. Il nous faut voir cela afin de pouvoir reconnaître ce qu’est véritablement l’Amour, au-delà de tout arrangement personnel et autres ego-centrismes spiritualisés. Nous avons le droit de « chercher » l’amour mais nous gagnons à ne pas se donner des réponses trop rapides et arrangeantes, des raccourcis populaires, qui nous en éloignent finalement.
L’Amour n’est pas une émotion. L’Amour n’est pas lié à une personne et il ne lie à personne. L’Amour est la substance même de la Vie. On reconnaît « l’expérience » de l’Amour au fait qu’elle nous révèle la Nature essentielle de la Vie. L’Amour est une Communion. Il ne s’agit même pas d’un sentiment, même si nous pouvons traduire la communion par ce terme. L’objet, la situation ou l’être humain que nous croisons est le support ou la destination de l’Amour, c’est le moment où l’existence personnel se reconnaît Unique et Infinie. Il n’y a alors plus personne pour aimer une autre personne.
Dans ce que nous appelons communément « amour », nous trouvons ce que j’appellerais plus précisément l’affection. Le support d’affection est physique, il demande un contact, il se nourrit du besoin de « câlins » ou de « bises ». L’affection est frustrée quand le contact est réduit ou inexistant. L’affection est une sensation qui ne peut être rapprochée que de loin de l’Amour. Il n’y a pas de jugement à porter sur cette affection, elle est la réalité du couple, la réalité de la « petite personne » en quête.
La Communion ne demande pas de contact, même s’ils peuvent se produire. Quelqu’un passe dans le champ de notre vision, dans un moment de notre vie et il y a reconnaissance de l’Unité, ouverture du coeur, accueil de la Présence sous une forme nouvelle, jusqu’alors inconnue et que nous célébrons intérieurement dans cette rencontre. Il n’y a pas d’intérêt personnel ou d’avenir à cette rencontre, elle est éphémère. Mais la reconnaissance, elle, est éternelle. Ce qui s’est reconnu dans cette rencontre éphémère n’est pas lié à cette rencontre. Et le prochain objet, être ou situation nous révèle, sous de nouveaux atours, une autre opportunité de reconnaître la nature essentielle de la Vie, qui est Amour.
Cet Amour sans intérêt, « inconditionnel », est le seul qui conduise à l’action juste à l’égard de l’autre. La quête d’affection voile ce qui peut être transmis ou reçu de l’un à l’autre parce qu’il y a un manque à combler, une attente. Sans cela, le flot est libre, ininterrompu. Dans l’attente, même spirituelle, ll y a l’intervention du besoin et la perpétuation de la séparation.
Il ne s’agit pas de cesser toute relation mais de les éclairer du regard juste. Nous ne reconnaîtrons pas l’Amour si nous nous évertuons, par peur, à vouloir le trouver là où il n’est pas. Nous ne rencontrons pas la vérité en la travestissant du mensonge.
Nous acceptons de voir que le couple est un arrangement personnel, que le fait de recevoir ce que nous en attendons est la garantie de sa survie et que l’Amour en est généralement absent, à moins que cesse l’empire de l’ego dans cette forteresse quasi impénétrable. Nos rêves d’âme-soeur sont les résurgences de l’Appel de l’Unité qui est nié par l’acte séparateur de l’ego, par son attente, son exclusivité.
L’intensité d’une relation n’est pas la « preuve » de l’Amour. Une passion peut nous emporter dans des extases et parfois mêmes des ouvertures passagères mais, hors de ces moments privilégiés pour la petite personne, l’attente reprend ses droits et le potentiel de Communion est le plus souvent altéré par la pression de l’attente. C’est aussi la raison pour laquelle, les « débuts » d’une relation d’affection sont souvent plus ouverts, parce que l’attente ne s’est pas encore imposée tout à fait. C’est aussi pourquoi l’ego qui ne se tempère pas, par raison, aime instinctivement changer de partenaires parce qu’il connaît le poids qui s’installe dans l’attente (qu’il crée lui-même).
Là où est l’ego n’est pas l’Amour. Là où il y a « quelqu’un », il y a un « autre », et là où il y a « un autre », il y a une attente à combler, et là où il y a une attente à combler, il y a un ennemi potentiel et l’Amour est déjà bien loin.
Nous pouvons donc reconnaître simplement que nous nous nourrissons de l’autre dans la relation personnelle, l’affection, (cela est également vrai d’une mère avec son enfant) mais que cette nourriture est éphémère. La Communion, l’Amour, tolère la distance physique parce qu’il a été Vu que la substance de l’Amour n’est pas contenue dans le « contact » dans « l’autre » mais qu’il peut être indifféremment reconnu à tout moment, en toute personne, quelle que soit la distance, quel que soient les intérêts ou manque d’intérêts que l’ego peut y trouver.
L’Amour n’est pas une relation, Il est la Vie dans l’Unité.
C’est, bien sûr, tout dire et ne rien dire.
Source: Thierry Vissac
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Quand vous parlez de petite personne, d'ego... est-ce d'amour de soi dont il s'agit ?
Si oui, pourquoi nier, rejeter l'amour de soi... D'autant qu'on nous apprend à s'aimer soi-même constamment.
C'est une protection.
L'amour de soi n'est pas à mon sens incompatible avec l'Amour de tout ce qui m'entoure car j'en fais partie.