MISCELLANÉES MAÇONNIQUES par Guy Chassagnard
En franc-maçon de tradition, attaché à l’histoire de ce qui fut jadis le Métier de la Maçonnerie avant que de devenir la Maçonnerie spéculative des Maçons libres et acceptés, notre frère Guy Chassagnard met en chroniques ce qu’il a appris dans le temple et… dans les textes ; en quarante et quelques années de pratique maçonnique. Ceci selon un principe qui lui est cher : Apprendre en apprenti, comprendre en compagnon, partager en maître.
Chronique 83
1723 – Que retenir des Constitutions d’Anderson ?
L’ouvrage de James Anderson s’ouvre par une partie historique, qui consiste en une histoire légendaire de la Franc-Maçonnerie opérative depuis Adam – premier homme mais aussi… premier maçon.
Suit une partie disciplinaire comprenant deux sections : la première expose les obligations ou devoirs du franc-maçon, la seconde énonce les règlements généraux de l’Ordre maçonnique.
Des chants d’apprenti, de compagnon et de maître, complètent l’ouvrage, qui est supposé constituer une synthèse des anciennes archives des loges opératives d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande.
On extrait souvent des Constitutions d’Anderson ces quelques lignes, dont le sens véritable ne cesse d’être recherché, et commenté :
« Un Maçon s’oblige, de par sa tenure, d’obéir à la Loi morale ; et s’il comprend bien l’Art, jamais il ne sera un athée stupide, ni un libertin irréligieux. »
Qu’est-ce qu’un Athée stupide, ou un Libertin irréligieux ?
Depuis près de trois siècles, les francs-maçons n’ont cessé de se poser la question et d’y apporter des réponses plus ou moins satisfaisantes. À moins de disserter sur le fait que l’on pourrait être un Athée intelligent ou un Libertin religieux.
On ne peut s’empêcher de relever par ailleurs dans les Constitutions d’Anderson de multiples erreurs, volontaires ou involontaires, de genres, de lieux et de dates.
Mais sans elles, que connaîtrions-nous des premiers temps de la Franc-Maçonnerie spéculative ?…
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© Guy Chassagnard – Auteur de La France-Maçonnerie en question (Éditions Dervy – 2017) & du Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie (Éditions Segnat, 2016).
Mon cher Guy
D’abord encore une fois « Constitutions d’Anderson » est un titre inapproprié. L’ouvrage ne porte pas de nom d’auteur. On sait que la partie historique a été écrite par lui, car une note de bas de page le désigne comme tel. Et il l’a fait sous le contrôle de Desaguliers, car certains passages sont contraires à sa foi calviniste. Les règlements proprement dit ont été compulsés par Payne (de nombreux documents y renvoient) et écrits par lui et Desaguliers. Mais l’article 1er a été écrit par Desaguliers, car on y retrouve la démarche en 4 points prônée par la Royal Society: Enoncé, axiome, discussion, conclusion.
Il m’a semblé également nécessaire de revenir sur « l’Athée stupide et le libertin irréligieux » de son premier paragraphe qui gênent certains d’entre nous et qu’il faut expliciter.
En ce qui concerne les fameux « athée stupide et libertin irréligieux », je rappelle que le texte exact (dans sa traduction française officielle) énonce : « Et s’il comprend bien l’Art, il ne sera jamais athée stupide ou libertin irréligieux ». Il y a donc un conditionnel à l’affirmation.
Il faut s’entendre d’abord sur le mot Art. Il est mentionné précisément dans la partie historique des Constitutions qui débute ainsi : « Adam notre premier père créé à l’image de Dieu, le grand Architecte de l’Univers, dut avoir les sciences libérales et particulièrement la Géométrie gravées dans son cœur … et cette noble science… est le principe de tous les arts (en particulier la Maçonnerie et l’Architecture) en même temps que la règle suivant laquelle on les applique et les pratique. »
L’Art c’est donc la connaissance et pratique de la méthode expérimentale ou scientifique issue de la Géométrie et dont le Grand Architecte a gratifié l’humanité à travers Adam. Le reste de la phrase s’éclaire alors. L’Athée, qui a cette connaissance, ne peut plus l’être ou alors s’il le reste c’est par stupidité c’est-à-dire par ignorance de la grandeur de la création et du créateur. Newton pensait d’ailleurs que le catholicisme était un facteur de propagation de l’Athéisme parce que les gens ne pouvaient croire aux fariboles qu’il imposait et se détournait de Dieu à cause d’elles. Il faut lire aussi pour comprendre ce raisonnement l’article « Athée » de Voltaire dans son dictionnaire philosophique.
Il faut donc relativiser cette appellation dans le contexte de la fin du 17ème, début du 18ème où on se libère du joug des religions révélées mais où on reste attaché à la croyance en Dieu.
Quant au libertin irréligieux, il s’agit de celui qui s’affranchit des contraintes de la vie sociale en ignorant le respect dû à autrui. Le terme irréligieux renvoie non à la religion officielle mais à la religion naturelle, celle dont Newton parle ainsi dans don court schéma de la vraie religion et qu’il appelle la religion première : « La première religion était celle d’Adam, Hénoc, Noé, Abraham, Moïse, le Christ et tous les saints, & se compose de deux parties, notre devoir envers Dieu et notre devoir envers l’homme ou la piété & la justice, piété que j’appellerai ici la piété de l’humanité. »
John Locke, qui a considérablement influencé Newton, dans sa lettre sur la tolérance de 1689, excluait les athées de la tolérance, car disait-il : « Ceux qui nient l’existence d’un Dieu ne doivent pas être tolérés, parce que, les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi qui sont les principaux liens de la société civile ne sauraient engager un athée à tenir sa parole et que si on bannit du monde la croyance en une divinité on ne peut qu’introduite le désordre et la confusion générale. » Et pourtant John Locke est le précurseur de la Laïcité puisqu’il prônait la séparation de l’état (le magistrat civil) et des églises dans sa lettre sur la tolérance de 1689 (page 6) : « Je crois qu’il est d’une nécessité absolue de distinguer ici, avec toute l’exactitude possible, ce qui regarde le gouvernement civil, de ce qui appartient à la religion, et de marquer les justes bornes qui séparent les droits de l’un et ceux de l’autre. Sans cela, il n’y aura jamais de fin aux disputes qui s’élèveront entre ceux qui s’intéressent, ou qui prétendent s’intéresser, d’un côté au salut des âmes, et de l’autre au bien de l’état. »
Cette expression vise donc à faire reconnaître à travers la nouvelle Franc-Maçonnerie, ce qu’on appelle en philosophie le théisme expérimental ou déisme newtonien. Dans ses Philosophiae naturalis principia mathémathica de 1713, Newton avait défendu la thèse d’après laquelle la création du monde, tout comme sa structure et son devenir, peuvent s’expliquer par des causes mécaniques. Il partait du constat de l’ordre naturel et de la régularité des lois des phénomènes naturels (comme plus tard Einstein) et introduisait une similitude entre l’ordre du monde et celui de la pensée : L’homme entre en contact avec Dieu par la raison et non par l’émotion, c’est un thème récurrent encore à notre époque.