La pensée rend libre
R. J. – Tolérance et Fraternité, Genève (Revue maçonnique suisse: février 2008)
«Pourquoi vous êtes-vous fait recevoir franc-maçon?» – «Parce que j’étais dans les ténèbres, et que je cherchais la lumière!» La question et sa réponse, rituelles, nous sont familières.
En nous initiant à ses mystères, la franc-maçonnerie nous convie à devenir des penseurs, nous dégageant de la masse des êtres qui ne pensent pas. Ne pas penser, c’est consentir à être dominé, conduit, dirigé. C’est par ses facultés intellectuelles que l’homme se distingue de la brute. La pensée le rend libre. Au vrai, le penseur a toujours été un être d’exception. Autrefois, l’homme a eu le loisir de se livrer au recueillement, mais il se perdait souvent dans le rêve. Aujourd’hui, gavé par les différents médias d’information, il tombe dans l’excès contraire.
La franc-maçonnerie nous invite à l’art de penser, cet art que l’on nommait jadis Royal. Le penseur, donc le maçon, n’est pas un homme qui sait beaucoup. Il n’a pas la mémoire surchargée de notions inutiles et encombrantes. C’est un esprit libre qui ne se laisse pas endoctriner.
Les trois questions
La maçonnerie ne prétend pas détenir la vérité. Elle se borne à mettre en garde contre l’erreur; elle incite à la recherche de la sagesse, de la force et de la beauté présentes dans nos temples.
Quand un maçon visiteur se présente pour prendre part aux travaux d’une loge, il est tuilé. Deux questions primordiales lui sont posées: «Mon Frère, d’où venez-vous», et «Que venez-vous faire ici?».
La première doit être prise dans le sens le plus élevé, et conduire au problème de l’origine des choses. L’apprenti doit chercher «d’où nous venons», le compagnon «ce que nous sommes», et le maître «où nous allons». Ce sont les trois questions qui formulent l’éternelle énigme que la science, la religion et la philosophie cherchent sans cesse à résoudre.
On a dit que la souffrance humaine a quatre sources, à savoir: la perte, le changement, le conflit et la solitude. Les changements, les hommes les craignent toujours: un autre métier, un autre cadre de vie, de nouveaux interlocuteurs, de nouveaux défis. Les départs nous font perdre l’environnement familier. L’émigration, l’exil, la diaspora, voilà des changements que les hommes cherchent parfois tout en les craignant. Souvent, le sort nous les fait subir, sollicitant notre volonté d’adaptation, notre ouverture d’esprit, la patience et un effort soutenu.
Les premières fois
Qui vit au bord de l’eau sait, obscurément ou clairement, que l’existence n’est pas seulement ce «long fleuve tranquille» du poète. C’est aussi comme un bateau. Il y faut des instruments de navigation, des repères, une boussole, comme les anciens navigateurs regardaient à l’orient, pour se diriger. Nos instruments, nos repères, nous les avons dans la maçonnerie, dans ses rituels. Les rituels! Confusément, un rappel de notre enfance, puis de notre adolescence. Le moment où nous avons dû apprendre à lacer nos chaussures. Pas facile! Et plus tard le premier baiser en dehors de la famille! Et la première fois où notre petite amie, passant sa main sur notre joue, nous a dit: «Tu as besoin de te raser, chéri!». Et le jour où nous avons passé notre permis de conduire! Faut-il allonger la liste de ces rituels de base? L’amalgame est vite fait
Il faut bien parler de la maçonnerie et des affaires. Nos détracteurs voient dans les postulants à notre ordre des êtres simplement motivés par une ambition personnelle axée sur la réussite matérielle. C’est un peu court. Au moment où un candidat est approché, il est bien rare qu’il ne pense pas, fugitivement ou non, que cela pourra le faciliter dans sa vie professionnelle. Qui dit confrérie dit copinage, qui dit copinage dit «mafia» et surtout association d’intérêts. L’amalgame est vite fait.
En d’autres temps, de telles pratiques étaient effectivement habituelles dans certains milieux. On peut considérer de nos jours qu’elles sont devenues rares. Car ces pratiques – favoriser, à prestations égales – un ami qui, le moment venu, pourra vous renvoyer l’ascenseur, n’ont en soi rien de maçonniques, même si elles sont plus fréquentes dans certains milieux que dans d’autres. En Suisse, le nombre relativement faible de maçons et de maçonnes – moins d’un pour mille de la population – vient contredire nos détracteurs. Il est vrai que la Suisse moderne, par la Constitution fédérale de 1848, a dû beaucoup aux francs-maçons, dont le premier président de la Confédération helvétique, Jonas Furer.
De fâcheux résultats
Ces temps paraissent bien révolus, tant la société a évolué depuis. Et c’est tant mieux, car les échanges de faveurs profanes – laissons les métaux à la porte du temple – peuvent tourner mal. Les répercussions sur les relations maçonniques sont alors désastreuses, et donnent bien souvent lieu à des situations délicates à l’intérieur des ateliers, entraînant démissions et essaimages.
Ainsi donc, même si parfois, en cherchant la lumière, certains peuvent se brûler les doigts, ils ne sont pas nombreux. Au demeurant, les sentiments d’estime et de confiance réciproques qui peuvent naître avec la durée dans une loge ne sont pas différents de ceux mis à l’épreuve dans d’autres associations, professionnelles, culturelles ou sportives. Au vrai, parmi les raisons qu’a un profane d’adhérer à la franc-maçonnerie il y a souvent, plus ou moins bien exprimée, la recherche d’un véritable idéal de fraternité humaine, permettant de dépasser le stade des préoccupations mesquines, et de se retrouver en compagnie de personnes qui peu ou prou partagent des idées similaires.
Un changement radical
Ce que l’intéressé souhaite, c’est opérer un changement radical dans sa vie et un désir de se perfectionner, puis, plus tard, ayant bien dégrossi sa pierre, de transmettre.
Se nommer franc-maçon, c’est, au plan spirituel, avoir sa représentation personnelle de l’Etre suprême, laissée à sa propre initiative, sous le terme de Grand Architecte de l’Univers, créateur et organisateur des mondes.
Et c’est ainsi que, tout naturellement, répondant à la question posée par le présent thème d’étude, nous nous appelons francs-maçons pour rejoindre, comme nos Principes généraux nous y invitent, les Constitutions de 1723: «Ainsi, la Maçonnerie deviendra le centre d’union et le moyen d’établir une sincère amitié entre personnes qui, en dehors d’elle, fussent constamment demeurées séparées les unes des autres».