Depuis toujours, la Franc-Maçonnerie intrigue autant qu’elle dérange par sa discrétion. Laurence Taillade, qui fut parmi les premières femmes affiliées au Grand Orient de France, nous fait part de sa déception de devoir quitter la Franc-Maçonnerie, faute d’avoir pu trouver sa place dans sa propre obédience.
Plutôt qu’une interview, cette essayiste et éditorialiste nous fait l’amitié de publier son témoignage en exclusivité dans Scarlette. Bienvenue dans les coulisses de cet univers, visiblement masculin, dans lequel la « génétique » peut encore poser problème… Franc-Maçonnerie française : Les Sœurs sont-elles des Frères comme les autres ?
Source : Scarlette Magazine
Les femmes et la Franc-Maçonnerie :
Société initiatique, on peut dater la fondation de la première obédience maçonnique en Angleterre en 1717. Elle se veut purement masculine et s’interdit toute réception de femme, sauf à de rares et anecdotiques exceptions, jusqu’à l’initiation en France de Maria Deraismes, une féministe, le 14 janvier 1882 au sein de la loge « Les Libres-Penseurs » au Pecq. Cette initiation provoque la suspension de cet atelier. Elle fondera, en réaction, la première obédience maçonnique mixte au monde, le 4 avril 1893, qui prend le nom de « Grande Loge Symbolique Ecossaise le Droit humain » (GLSE-DH).
Le monde maçonnique aujourd’hui a quelque peu changé. Il existe, d’une part, des obédiences strictement unisexes, telles que la Grande Loge Nationale de France, la Grande Loge de France, côté hommes ; la Grande Loge Féminine de France, côté femmes. D’autre part, coexistent des obédiences mixtes dont le Droit Humain, évoqué précédemment, la Grande Loge mixte Universelle et la Grande Loge Mixte de France, pour les plus importantes. Ces obédiences codifient leurs réunions, les « tenues », par des rituels, deux principalement : le Rite Ecossais et le Rite Français. Le Grand Orient de France, qui revendique le plus grand nombre d’affiliés, s’est récemment ouvert à la mixité, en 2010, après des batailles qui ont tendu les relations au sein même des loges, allant parfois jusqu’à les faire imploser. Aujourd’hui, les Sœurs représentent près de 10% des 50.000 membres du GODF. C’est une faible proportion. Mais, avec le temps, les tensions connues autrefois se sont lissées en zone urbaine. L’initiation et l’affiliation de Sœurs est devenue la norme.
Mais il semble que l’on ne puisse pas en dire autant dans les territoires ruraux, notamment dans le Cantal, plus précisément à Aurillac, où la mixité reste une question sensible.
Le témoignage de Laurence Taillade
J’ai reçu l’initiation le 19 octobre 2008 dans une loge parisienne de la Grande Loge Mixte Universelle. Cette loge, dans son intégralité, a migré au Grand Orient de France, lors de son ouverture à la mixité.
C’est ainsi que je me suis retrouvée, avec joie, parmi les pionnières à entrer au GODF.
J’ai œuvré pour que cette mixité s’étende en Ile-de-France et ai été l’une des premières affiliée de ma loge actuelle, à Conflans-Sainte-Honorine.
Le travail maçonnique m’a forgée. J’y ai appris la patience, la tolérance, l’écoute, le doute. J’ai fait de ses valeurs, les miennes. J’ai tenté de les porter. De la création de l’observatoire de la laïcité du Val d’Oise à chacun de mes écris : tribunes, livres. Mon essence est maçonnique, universaliste, républicaine, laïque. Recevoir le prix nationale de la laïcité des mains de Philippe GUGLIELMI et Philippe FOUSSIER a été l’un des instants les plus forts de ces quinze dernières années. J’étais reconnue comme telle par mes Sœurs et mes Frères, formule consacrée : On ne peut se prétendre Franc-Maçon, on ne l’est que par le regard des autres.
Mais cette consécration de mon travail s’est aussi accompagnée des noirceurs de l’âme humaine, dont la maçonnerie n’est pas exempte. Ses loges sont le reflet de la société, même si le travail lui-même est celui de combattre ses passions individuelles. J’y ai croisé la jalousie, la mesquinerie, l’hypocrisie, les calculs personnels pour accéder à des fonctions. Tout cela m’a toujours semblé ridicule, tant les enjeux ne pouvaient se placer là : dans des postes en chocolat pour gamins trop peu gâtés à leur goût dans leur vie profane. Je suis passée outre. Mes priorités allaient bien au-delà de ma simple personne. Mon attention était tournée vers le devoir maçonnique : accorder une importance fondamentale à la promotion et la défense de la laïcité, malmenée dans notre pays, externaliser les travaux de loge dont la promesse commune réside dans le triptyque « Liberté, Egalité, Fraternité ».
J’ai donc consacré ces quinze dernières années à cet objectif. J’y ai sacrifié beaucoup de choses et en ai payé le prix fort : professionnellement, personnellement. Ceux qui n’ont rien compris ont jalousé mon exposition médiatique. Comme si cela pouvait être une fin en soi. Ce n’était qu’un moyen.
D’autres ont remis en cause ma capacité à produire moi-même mes écrits. C’est vrai, une femme ne peut qu’être au second plan… Car oui, c’est bien là que le bât blesse. Je suis une femme et je me suis durement confrontée à une réalité, une amère réalité : « être une femme en 2020 », c’est encore subir le sexisme, même en franc-maçonnerie qui se prétend universaliste.
En mars 2020, nous avons, avec mon époux, quitté Paris pour notre résidence secondaire, dans le Cantal. Et puis, nous avons décidé d’y rester. Je me suis mise en quête d’une loge du GODF pour m’y affilier, heureuse de créer de nouveaux liens fraternels. Malheureusement, le Cantal n’est pas la région parisienne. La seule loge travaillant au rite français à proximité de mon domicile, Aurillac, n’est pas mixte. Elle accepte la visite des femmes, contrainte par le règlement général du GODF, mais pas leur affiliation. Pas d’autre loge à moins de 75 kilomètres. En montagne, on ne parcourt pas cette distance de nuit, deux fois par mois, sans se mettre sérieusement en danger, ou mettre en danger son budget eu égard au prix du carburant. J’ai donc décidé de visiter avec assiduité cette loge, en espérant que les frères d’Aurillac finiraient par se faire à une présence féminine au point de m’offrir leur hospitalité…
J’ai vite déchanté. Des regards gênés et autres messes basses, les relations ont glissé vers de l’agressivité lors des agapes, de certains individus, des oublis d’envoi de programme, omission d’invitation aux banquets d’ordre et autres festivités liées à la vie de la loge ou de l’obédience.
Les arguments employés étaient du pire des ridicules : de la peur de nuire à la seule loge mixte du Droit Humain au souhait d’échanger avec d’autres hommes, tout y est passé. Sans qu’à aucun moment ces hommes ne réfléchissent au bien-fondé de leur point de vue. A aucun moment ils n’ont ouvert les yeux sur le fait qu’ils ferment aussi la porte aux femmes qui veulent travailler à ce rite précis, les cantonnant au rite écossais, davantage orienté vers la symbolique.
Leur solution : aller maçonner à Saint-Flour, Tulle ou fonder une nouvelle loge du GODF ! Tout ce qu’ils n’auraient jamais fait eux-mêmes.
C’est ainsi que j’ai découvert, de la manière la plus violente qu’il soit, que ma génétique est un problème, dans le temple autoproclamé de l’universalisme !
Dans mon parcours, j’ai croisé des Francs-Maçons de grande qualité, plus que des Frères, des Sœurs, je les considère aujourd’hui comme des amis. Ils ont été là dans les moments les plus difficiles de ma vie. Je veux dire à ceux-là que je ne tiens en rien rigueur ni au Grand-Orient, ni à la Franc-Maçonnerie de cet état de fait : Aucun groupe humain ne peut contenir une réelle homogénéité morale. Il semble que le travail sur l’amélioration de l’Homme et de la société soit loin d’être achevé dans nos contrées cantaliennes. Ceux-ci restent encore très ancrés dans leurs passions et ont du mal à s’extraire de la matière de leur corps physique. C’est pourtant l’élément central du travail maçonnique.
Cela fait 3 ans que je n’ai pas côtoyé ma loge d’appartenance. J’ai reçu, fait marquant, le jour de mon anniversaire profane, des nouvelles, par le biais de son Vénérable, une sœur sur j’ai accompagnée sur la colonne des compagnons. La forme comme le fond du courrier reçu m’ont profondément déçue. Une missive, froide, foisonnant de rappels du règlement intérieur, pour m’informer de mon obligation de paiement de cotisation, pour laquelle je n’avais aucun retard alarmant. Un appel aurait pu suffire, mais j’ai compris que c’était aussi le signal que mon adhésion sans présence assidue, une obligation maçonnique, avait assez durée.
Aussi, je quitte la maçonnerie parce-que j’en accepte les règles et ne souhaite pas changer de « crèmerie ». J’ai choisi le Grand Orient de France et le rite français pour ses valeurs et son orientation sociétale. Ailleurs, je n’y trouverai pas mon compte. C’est ma famille. C’est aussi à elle que je dois ma plus douloureuse blessure : me renvoyer à ce que je suis, ma condition de femme, une sous-espèce, une intouchable, un être à bannir. Je n’avais jamais ressenti à ce point la violence du sexisme. C’est une plaie béante, brûlante et étouffante à la fois qui ne trouve aucun remède : On m’y reproche ce que je suis.
L’autonomie des loges quant à l’initiation des femmes est le cancer qui ronge le Grand Orient de France de l’intérieur.
Je prends cette décision contrainte, sans gaité de cœur, avec une profonde tristesse, une pointe de colère. J’aurais aimé avoir le choix. Mais je ne peux changer ce que je suis… Je resterai, au plus profond de mon être, profondément marquée par ces 15 années de ma vie. J’en garde les valeurs, mes valeurs.
Je préfère oublier les hommes qui ne sont… que des hommes, poussières qui redeviendront poussière.
A quelques dizaine de kilomètres de ce lieu de perdition et de rétrogradation mentale se trouve Figeac-en-Quercy, une charmante cité où les Frères du GODF ont depuis longtemps ouvert leurs portes aux soeurs. Celles-ci y ont apporté leurs valeurs, leurs réflexions, leur fraternité. La Loge s’en trouve grandie et plus riche en pensée maçonnique…
Dommage que Soeur Laurence se sente battue par cette adversité. Segnat.
Il y a partout des problèmes d’égo surdimentionné.
Il y a des clans ,des chapelles ,des a-priori politiques ,même dans les Loges qui acceptent nos soeurs.
C’est pourquoi j’ai moi-même quitté l’an dernier une loge du Lot.
Liberté : elle est limitée quand au choix des sujets des planches
Egalité :inexistante , c’est un petit cercle qui décide de tout
Fraternité : Aucune .
Dommage, à St Flour tu aurais été la bienvenue ! Mais peut-être n’est-il pas trop tard…
Frat
On a perdu un excellent maillon à cause du machisme de certaines « lumières »qui n’ont rien compris aux valeurs de cette communauté qui sont restés dans la caverne et l’obscurité crasse.Dommage que la hiérarchie de la rue Cadet cautionne cette discrimination scandaleuse