« Pourquoi devenir Franc-Maçon ? » est une question fondamentale dont peut être la réponse est déjà contenu dans la formulation.
« Pourquoi devenir Franc-Maçon ? » est une planche de frères de la loge « La Bonne Harmonie » à l’Orient de Neuchatel- GLSA.
C’est une réflexion de plus dans les multiples raisons qui nous ont amené à devenir franc-maçon…Je dirais plutôt à tenter de devenir franc-maçon…
Pourquoi devenir Franc-Maçon ?
Plutôt qu’un inventaire fastidieux des oeuvres de bienfaisance lancées ou soutenues par notre Ordre ou une liste des grands hommes que notre fraternité a pu compter et compte encore dans ses rangs, nous allons tenter ici de voir quelles sont les raisons qui pourraient pousser un homme du XXème siècle à devenir, lui aussi, Franc-Maçon.
De tout temps et c’est aussi naturel que juste, les hommes, indépendamment de leurs conditions, formations ou cultures ont toujours été, quoiqu’ils aient fait, à la recherche du bonheur, ou, exprimé différemment, ont cherché à donner un sens à leur vie. Dans cette quête ils ont tout tenté, tout essayé, en empruntant les voies les plus diverses et les plus étranges, et ce dans tous les sens et dans toutes les directions.
Comme le dit très justement Mr Jan Marejko, « tout homme sans exception cherche le bonheur et même ceux qui vont se pendre le cherchent encore ». Aujourd’hui, en raison du progrès de la technique, cette quête du bonheur prend faussement la forme de la recherche d’un espace protégé, loin des fumées du monde et de la sueur des hommes. Espace protégé d’une voiture qui permet d’échapper aux transports en commun; espace protégé d’une villa qui permet d’échapper à la ville; espace protégé d’une île déserte qui permet d’échapper à la civilisation et enfin comme fuite ultime, espace protégé de la mort qui par le suicide permet d’échapper au monde. Si la vie n’a pas de sens et donc que la mort est le meilleur des espaces protégés possible, autant y aller tout de suite si cette protection reste l’ultime recherche.
Chacun se dit qu’une fois cet espace protégé atteint, il pourra enfin être lui-même. Son moi pourra s’y dilater autant qu’il est possible, comme un gaz soudainement libéré. Chacun prévoit d’être heureux le jour où la pression (ou la répression) se relâchera pour permettre l’expansion du moi. Telle est aujourd’hui la pauvre forme du bonheur en Occident: l’idéal d’un relâchement accom-pagné d’une dilatation.
Telle est aussi la forme du paradis chez de nombreux croyants dont la foi consiste à s’accrocher à la promesse d’une dilatation future du moi, loin du monde et de ses miasmes. Ils ont peur d’un monde où ils se sentent méprisés, ignorés ou bafoués, mais se consolent en se disant que Dieu, Lui, saura reconnaître leur valeur et qu’il montrera un jour à toute l’humanité qui ils sont.
Devant un tel affadissement de la foi, le marxisme a pu paraître bien plus profond. Il proposait de la sueur, des larmes et du sang. Etre communiste, c’était se rapprocher des hommes pour partager leur souffrance et construire avec eux un monde meilleur. Le malheur était que le communisme proposait lui aussi un espace protégé: celui de la société future où chacun pourrait enfin se dilater à son aise. La foi marxiste, apparemment supérieure à la foi d’un christianisme bourgeois en ce qu’elle proposait un partage dans la lutte et non seulement dans la souffrance, s’est finalement révélé plus limitée encore.
Entre « l’espace de dilatation » de la future société sans classe et « l’espace de dilatation » du paradis bourgeois dénoncé par Nietzsche, il n’y avait pas de différence significative: l’un et l’autre aiguisaient dans le moi un égoïsme qui conduisait au mépris d’autrui et au mépris de la création.
Même processus dans une certaine idéologie libérale qui, par l’accroissement continu de la produc-tivité, propose aujourd’hui à l’humanité d’accéder à un « espace de dilatation » où les biens et les services couleront à flots.
L’âge moderne abonde en programmes qui, malgré leurs différences, promettent le bonheur sous la forme d’une dilatation du moi. Chacun rêve ainsi du jour où il pourra s’installer au centre d’un Jardin, que ce dernier soit libéral, marxiste ou paradisiaque, si bien que la vieille promesse du Serpent (vous pourrez vous installer au centre du Jardin) a retrouvé, sous les atours du progrès technique, la plus grande actualité. Les hommes s’activent pour rejoindre l’espace enchanté que fait miroiter cette promesse: plus il y aura de machines, de commerce, d’industrie, de progrès, de science et de gadgets, plus proches serons nous du Milieu du Jardin et plus vite pourrons nous goûter à la dilatation illimitée de notre moi.
Dans l’idée qu’au jour de notre plus grande dilatation, nous goûterons à la vraie vie et aux plus beaux fruits du Jardin, nous passons ainsi notre vie à éloigner les obstacles matériels de ce que nous pensons être notre propre épanouissement et perdons ainsi un temps précieux à attendre de nos illusoires gadgets, dont ça n’a jamais été la finalité, qu’ils nous conduisent à notre vraie place et à notre raison d’être.
Or ce jour n’arrive jamais. La promesse du Serpent est un mensonge et c’est ce qu’enseigne depuis trois mille ans la Tradition, qu’elle soit juive, chrétienne, musulmane ou encore essénienne, alchi-mique ou pythagoricienne.
Dans ces conditions, est-il concrètement possible de chercher et de trouver le bonheur, ou, exprimé plus simplement, peut-on donner un sens à sa vie? Cette question a occupé des multitudes de chercheurs et de philosophes et semble si complexe qu’une réponse est en fait aussi difficile à concevoir qu’à exprimer. Pourtant, à défaut d’avoir une définition du bonheur, chacun ressent son état de satisfaction ou de frustration intérieure, chacun sait s’il est heureux ou malheureux et est donc en mesure de reconnaître ou du moins de ressentir son état d’être, par le sentiment qu’il a d’être bien ou mal dans sa peau.
Qu’est-ce que le bonheur? Il n’y a bien évidemment aucune définition univoque et définitive et en réalité le fait que ses causes soient aussi nombreuses qu’il y a d’humains sur notre terre n’a aucune importance. La seule question est: « Bien qu’indéfinissable et de perception exclusivement person-nelle, ce bonheur qui pourtant existe, comment peut-on le chercher, où trouver cet Idéal et y a-t-il une voie à suivre pour y parvenir? »
Il peut sembler hasardeux et même présomptueux de vouloir aborder ce sujet et pourtant, cette recherche du bonheur, même exprimée de manières très différentes, est l’une des rares vrais raisons de vivre qui soit offerte aux humains. Cette préoccupation est éternelle et reste bien enten-du toujours aussi actuelle. Nous vivons cependant aujourd’hui dans un monde matériel qui a per-du une part de sa dimension spirituelle et dans lequel le sens même de telles notions s’est estom-pé, de sorte que la plupart des gens s’agitent en tous sens et ne font ainsi que perdre leur temps, notamment en cherchant dans l’unique jouissance de biens ou de privilèges à atteindre un insaisissable bonheur. Cette fuite en avant ne résout rien et surtout pas le sentiment si répandu d’un mal de vivre général et du sentiment de l’inutilité objective de sa vie et de sa raison d’être ici-bas.
Or, le bonheur est à la portée de tous, car potentiellement il est en chacun de nous et tout le monde pourrait être en mesure d’en concrétiser sa part.
C’est ainsi que, sans vouloir définir ni causes ni raisons, on peut tenter le pari du bonheur en essayant d’être bien dans sa peau, par la recherche de l’harmonie avec le monde et ses habitants et atteindre ainsi, selon la définition de Larousse, la plénitude de sa satisfaction intérieure. Pour cela, il faut être en mesure d’accepter la réalité telle qu’elle est réellement et non pas telle que l’on voudrait qu’elle soit. C’est à cette recherche que tend principalement l’enseignement maçonnique.
Il est évident que la vie est synonyme de lutte, de travail, d’efforts et de confrontations, pourtant cette constante, loin d’être une limitation, peut au contraire et doit être à la base du développement de l’être.
Dans cet esprit, l’enseignement maçonnique consiste à permettre à chacun, en fonction de ce qu’il est vraiment, de trouver sa vraie place dans le monde et pour cela, cet enseignement commence par inciter le néophyte à rechercher en lui-même à savoir qui il est. Cette introspection que chacun doit faire individuellement, se déroule en fait avec l’aide naturelle des autres maçons. Cette première démarche est la base de la (re)construction de la personnalité propre du cherchant.
Comme le dit Jabès, on ne peut ni s’épanouir, ni évoluer, si l’on n’accepte pas sa condition, quelle qu’elle soit, comme un fait accompli. Lorsqu’il est devenu clair que la fuite dans n’importe quelles promesses de dilatation future n’est qu’une échappatoire inutile, il est temps de commencer à bâtir sa vie sur des bases stables, concrètes et solides.
La Franc-Maçonnerie n’est ni une religion ni même une forme religieuse et ne définit donc aucun dogme et ne préconise aucune « Vérité absolue » et cela afin de donner à chacun la chance de découvrir qu’il est réellement au fond de lui même et lui donner ensuite la possibilité de vouloir et de pouvoir évoluer.
La Maçonnerie essaie simplement d’apprendre à ses membres à être des hommes libres et conscients, capables d’être eux-mêmes et, de ce fait, le maçon doit commencer par admettre qu’il est un homme et qu’il n’est qu’un homme. Si la deuxième de ces propositions est facilement assimilée tant elle permet d’excuses faciles, la première est plus complexe, car elle présuppose que l’on soit en mesure de connaître ses droits et de reconnaître ses devoirs, ses devoirs face à soi-même, face aux autres et face à la Vie que chacun porte en lui. Elle exige aussi de celui qui veut devenir ce que potentiellement il peut être, qu’il applique sa volonté, qu’il consacre son temps et qu’il accepte de ne plus tricher avec lui-même.
La Franc-Maçonnerie est un art, c’est l’art de vivre et comme tous les arts, il exige de la persévé-rance, de la patience et de la discipline. Notre Ordre ne formule aucune promesse, mais croit à la perfectibilité de l’homme. Son action, concrète, ne fixe aucune voie, ne postule aucun dogme, afin de laisser à chacun la possibilité, la chance et la responsabilité de trouver par lui-même qui il veut être et quel chemin il va parcourir, parce qu’il aura reconnu cette voie comme étant faite pour lui.
Comme le dit Guillaume de Nassau, Prince d’Orange: « Il n’est point nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer » (Guillaume, dit « Le Taciturne »); la mission du cherchant est donc de se mettre en route pour trouver en lui et avec l’aide de ses semblables, le sens qu’il veut donner à son existence.
La Franc-Maçonnerie propose ainsi non pas un bonheur utopique ou artificiel pour tous les hommes, mais le bonheur de chacun, de chaque être qui veut tenter d’y parvenir. Pour cela et bien que son but soit le développement de l’individualité et de la personnalité de chacun, elle tente de briser les égoïsmes par la reconnaissance de l’Autre, en l’acceptant pour et par ses différences et en sachant que l’échange vrai et sincère est l’un des plus puissants moyens sur la voie de l’évolution et du progrès.
La Maçonnerie, société fraternelle, est donc surtout une discipline personnelle, qui propose un regard neuf sur les choses et les gens et qui permet une prise de conscience de la valeur réelle, mais relative du monde et des gens qui nous entourent.
Elle exige détermination mais avec humilité, ouverture mais avec retenue et surtout amitié et respect pour tout et chacun. Avant d’affirmer, le Maçon apprend à écouter pour être en mesure de se forger une opinion complète, non dogmatique, non idéologique, non bornée à des visions ou des intérêts à court terme. Il peut ainsi s’intégrer sciemment au macrocosme et faire librement partie du monde, à sa place et à son niveau.
La Franc-Maçonnerie correspond ainsi à une quête, à une soif, à la recherche de quelque chose qu’il n’est aujourd’hui presque plus possible de trouver ailleurs. Elle donne le moyen d’utiliser son temps et de penser à soi, en travaillant sur soi-même, non pas égoïstement dans un nouvel espace protégé, mais à la rencontre de l’Autre, par échange avec d’autres hommes, différents de soi-même par essence et que l’on a pas obligatoirement choisis, mais qui, professant une ouverture semblable, permettent d’avoir des échanges intenses, des débats calmes, profonds et sans sectarisme.
Ces échanges permettent, par leur qualité et leur élévation, de (re)trouver une certaine dimension spirituelle et de vivre d’intenses moments de convivialité. Ils aident à porter sur la vie un regard conscient, susceptible de diriger la (re)construction de son existence conformément à ses vrais besoins, désirs et aptitudes.
La démarche de la Franc-Maçonnerie est originale, bien que basée sur la grande Tradition de toutes les écoles de pensée occidentales. Elle n’est pas transmissible au premier degré, car chacun doit d’abord la vivre pour y trouver la voie qui lui est propre, mais elle est d’une richesse inesti-mable pour ceux qui pensent que la Vie vaut l’effort de tenter d’y donner un sens, un sens qui privilégie l’ETRE sur l’AVOIR.
Les Maçons ne sont bien entendu guère différents des autres hommes, mais ils ont, s’ils le veulent et le peuvent, le moyen de savoir pourquoi ils sont sur terre. A eux de faire l’effort de le découvrir, pour leur plus grand bien et pour celui de tous les hommes.