L’Équerre, un jour, dit au Compas:
« Je suis le droit chemin sans déplacer la ligne
Qui relie gauche et droit dans l’angle rectiligne,
Ordonnant pas à pas, le chaos d’ici-bas!
Qui me suis sans façon/ ne se trompera pas.
Je souligne d’un trait, je supprime, j’aligne,
Plus de rêves tordus ni fantasias malignes
Affolant les esprits de leur sot charabia,
Matière, coeur, raison : tout doit marcher au pas!
Le parfait ou le Beau se taille au tire-ligne.
Hors de mon trait, le sort n’envoie que triste guigne.
Illusions et folies, obsessions et faux pas. »
Le Compas coupa court à ce galimatias: « Tu ne vois pas plus loin que le bout de la ligne.
Ton nez sur le droit fil de la règle égratigne Le vrai, sans jamais dominer ni le haut ni le bas.
Tout est ronde, ici-bas: Mondes en branle-bas,
Soleil, Lune, saisons, blé ou fruit de la vigne,
Et le Faux mensonger qui dans le Vrai s’esbigne
Fait tourner, tout pareil, la tête à l’apostat.
Pour moi, je sais cerner sans aucun embarras De courbes en points, l’Idée que je consigne,
Matée, dictée dans le grand livre que je signe, Ouvert et fraternel aux hommes d’ici-bas. »
L’Équerre convaincue répondit au Compas;
« Marchons de compagnie! Partons! Je me résigne
À parcourir les mondes ronds dans l’interligne
Remuant et dansant de tes deux échalas. »
Depuis, les deux amis, liés en entrelacs,
Guident le compagnon qui jamais ne rechigne,
Quêtant le Vrai, le Beau dans les sentiers insignes
Qui mène par-delà l’Alpha et l’Oméga.
Louis DUMORTIER Grand Prix – Ex aequo 1995