Voici une planche d’un lecteur de GADLU.INFO
Merci à notre Frère Christian
LE SOUFFLE
Mon nom. J’ai bien entendu mon nom. Je rêve ? Et la liste des films ! C’est la fin ? Le GADLU ? Non. Des femmes. « Monsieur Chaudet… » Oui, c’est moi. Je suis réveillé. Il faut que je leur dise : (Borborygmes) Non, impossible. Calme-toi. Respire. Lentement. Respiration abdominale. Inspiration-expiration. Contraction-détente. Vent du nord, vent du sud. Marée haute, marée basse. Flux et reflux. Du soleil à la lune. Beethoven déjà : « Pom-pom-pom-pom » – antécédent. « Pom-pom-pom-pom » – conséquent (bis : inspiration/expiration). C’est ça à quoi je pense. Décidément, tout respire. Même moi à-travers ce tube en plastic qui me prend toute la gorge. Si au moins ils pouvaient me le retirer. Quelques rires au loin. Cette lumière parme très douce. Celle d’un soir de Mai. La même que celle du matin quand ils m’ont amené sous le grand scialytique. « Pensez à quelque chose de beau. Quelque chose de reposant qui vous a marqué. Vous y êtes ? « . Le cliquetis des pinces à clamper dans les bacs en inox. Non. Le Grand-Bornand. Oui. Je suis avec Paul. Allongés dans l’herbe sous la voûte étoilée comme à la fin de chaque été. » Détendez-vous. Je vous endors ». Orion. Son baudrier avec ses trois étoiles alignées… Et…
Non mais, tous ces fils, ces tuyaux, ces capteurs qui me scrutent, me scannent. ! Mon pouls, mon rythme, ma tension, mon sang, mon souffle… Moi. Ma vie qui bat sur des oscilloscopes. Bip-bip-bip-bip. Voyant rouge. Voyant vert. Mais qu’est-ce qu’ils attendent pour me l’enlever, ce tube ? Pourtant, je suis bien. Je respire. Des pas. Des trucs qui roulent dans un silence de caoutchouc. Des voix. L’équipe de nuit sans doute. Le relais. Les portes pneumatiques. Aspiration. Un lit qui part, un autre revient. Expiration. Les portes. Inspiration du matin, expiration du soir. L’hôpital respire. C’est un immense poumon où chaque service est un organe, chaque couloir, une trachée, une veine nourricière au bout de laquelle, une chambre, un lit, un fauteuil est une alvéole que vient irriguer le souffle régulier des infirmières. « On va vous retirer votre tube. L’opération s’est bien passée – votre fils a appelé ». Mon fils ? Ah oui. Le pontage. La valve. Mon cœur qui de battre s’est arrêté en même temps qu’ils ont arrêté mon souffle. Un souffle brisé, outragé, martyrisé, mais libéré enfin dans un moment de trêve où flotte désormais dans cette salle de réanimation comme un air de liberté, d’égalité, de fraternité.
C’est comme ça que j’ai imaginé écrire quelque chose sur le Souffle. Un souffle qui s’échapperait de ce tube ridicule pour aller retrouver d’autres souffles libres, sans tube et sans masques et fraterniser d’égal à égal. Quelque chose comme un appel d’air, une bouffée d’oxygène de choses bien faites, de jeux de mots, de jeux d’images, légers et malicieux, graves et profonds faisant comme un joli courant d’air ; avec des échanges, des allers, des retours, des emballements, des passions, des questions et des remises en question à perdre haleine et quelques accalmies à couper le souffle, histoire de souffler un peu, de se regonfler. La quête d’un souffle ami en somme, maraud ou fripon à en chatouiller les moustaches de notre Georges national, forgé, sculpté, ciselé au fil des ans et libéré enfin d’un tube en plastic en écho à la tape originelle sur les fesses, les poumons qui se gonflent d’un coup comme la grand-voile et le cri ! Ah, ce cri du premier souffle qui nous fait cingler pour la grande aventure : la vie. Pour la vie. Car je savais où le trouver, ce souffle providentiel, ce Souffle parmi les souffles. Mais pas de ces souffles-courants d’air qui vous échappent : ces souffles qui prétendent respirer mais qui ne sont que du vent : Zéphyr ou mistral, siroco ou aquilon, soufflant le chaud comme le froid, qui vous suffoquent, qui vous glacent, vous dessèchent, vous assèchent, vous saoulent, vous gonflent, vous dispersent, vous sulfatent et parfois même vous ventilent. Ceux-là, souffles d’opportunisme, souffles d’à-propos, souffles d’aubaines et de combines. Souffles suiveurs de souffles leaders, souffles de Panurge, souffles girouettes, caméléons, parasites, souffles de misère ou de pitié qui ne savent tirer leur inspiration que de l’haleine des autres. Des qui respirent comme ils mentent, des qui ne manquent pas d’air quand d’autres nous le pompent en douce. Et puis les filtrés, les conditionnés, les climatisés, les confinés, ceux-là qui ne se mélangent pas à n’importe quelle odeur : ceux des clims et des classes : souffles d’en haut, souffles d’en bas qui tiennent la trachée haute à tout bout de souffle du dernier des étages jusqu’au tout à l’égo. Des souffles d’expirations en somme, suffoquant d’un lourd bilan carbone.