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PLANCHE : CAPITALISME ET HUMANISME : LES FAUX FRÈRES

Capitalisme et Humanisme: les faux frères

“Il est 08h30, et c’est l’heure de votre nouveau flash d’actualité”.

Stéphane vient d’arrêter son véhicule en bordure de la départementale, juste avant ce pont qu’il franchit tous les jours depuis un peu plus de vingt ans. La radio débite le bulletin de cette matinée de décembre 2010 : le chômage est encore en progression, le carburant poursuit son ascension sournoise à la pompe, le marché immobilier repart de plus belle à la hausse. Accessoirement, dans la rubrique économique, on annonce des bénéfices records pour les banques stars du CAC40, un invité politique de circonstance se croyant autorisé à préciser que la reprise est là, le plus noir de la crise derrière nous, et qu’il suffit de croire en des jours meilleurs qui, c’est certain, finiront bien par arriver, pour peu que l’on prolonge ses fonctions aux prochaines élections… Stéphane n’écoute déjà plus. Ce monde qu’on lui décrit à moindre frais tous les jours dans les médias ne correspond définitivement pas à celui dans lequel il essaie de survivre depuis plusieurs mois.

Pourtant, le décor est respecté : l’entreprise dans laquelle il travaille gagne beaucoup d’argent et se félicite de surperformer ses objectifs à chaque présentation de ses résultats aux actionnaires. Stéphane y contribue quotidiennement, presque tous les soirs et certains de ses week-­‐ends. Mais étrangement, il a le sentiment d’exister de moins en moins dans cette entreprise à laquelle il a pourtant tant donné : il a changé de poste ou de métier tous les 30 mois en moyenne, 4 fois de région, son conjoint perdant son emploi à chaque déménagement et n’ayant pu en retrouver un lors du dernier. La situation financière du ménage s’étant de fait précarisée, Stéphane a redoublé encore d’efforts, espérant de la reconnaissance, une promotion, un juste retour à la hauteur de son investissement. Mais non, rien…

Jusqu’à cet entretien hier après-midi avec cette hiérarchie qui le méprise, et  lors duquel on lui a fait remarquer qu’il manquait de dynamisme, et qu’il  était un frein à l’atteinte des objectifs collectifs de son service. Pire, il  comprendrait les situations moins rapidement que ses collègues, ce qui
poserait question quant à son employabilité. Stéphane avait à ce moment  précis failli se sentir mal et s’était réfugié dans les toilettes de son étage, le  temps de reprendre ses esprits.

En rentrant chez lui, il s’était efforcé de
donner le change en ne laissant rien paraître à son épouse et à ses enfants,  mais quelque chose s’était brisé au plus profond de lui-même. Stéphane dépose sur le siège avant droit de sa voiture la lettre qu’il a  rédigée pendant la nuit. Au moins, on ne racontera pas n’importe quoi à  posteriori sur les raisons de son départ : il a connu cela précédemment,  lorsque d’autres collègues ont fait le choix de partir, refusant de souffrir  davantage à leur travail. L’entreprise avait mis au point une stratégie de  communication visant à expliquer la multi-causalité de leur souffrance, avec  l’incontournable point commun : les raisons de leur suicide relevaient  exclusivement du domaine de leur vie privée, la hiérarchie recherchant le  dédouanement immédiat. Avec cette lettre, le stratagème ne pourra pas  fonctionner et Stéphane aura le sentiment d’avoir œuvré une dernière fois  dans l’intérêt collectif.

La brise fraîche du matin glisse sur son visage. Une étrange sérénité  l’envahit, il n’éprouve aucune crainte, mais une formidable délivrance, alors  qu’il bascule vers sa destinée…

A.S.:

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