Cet interview a été mis en ligne sur le site « catholique.org » . Il en ressort que conformément à la déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi la réponse est clairement « non ».
Au cours des dernières décennies, la Congrégation pour la doctrine de la foi a rappelé aux catholiques que l’appartenance à un mouvement maçonnique était contraire à la foi chrétienne. J’aimerais savoir pourquoi toutes ces réserves face à la Franc-maçonnerie. ?
Votre question est courageuse. Avant d’y répondre, je voudrais faire, en guise de préliminaire, les remarques suivantes :
1) Il arrive que les hommes soient bien meilleurs que les doctrines auxquelles ils adhèrent. Il faut s’en souvenir lorsque nous rencontrons des francs-maçons. En revanche, c’est toujours le contraire qui se produit lorsqu’il s’agit de l’Evangile. L’Evangile est plus grand que celui qui le professe. Nous comprenons dès lors pourquoi la première vertu chrétienne est celle de l’humilité.
2) Au cours d’un dialogue, il convient de rejoindre le cœur profond de son interlocuteur. Dans ce cœur, en effet, il y a des aspirations qu’une fausse doctrine ignorera. C’est encore le cas des francs-maçons.
3) Les origines historiques de la franc-maçonnerie sont obscures. Dans le cadre de notre émission, je ne puis m’attarder sur elles. Pour éclairer mon propos, il suffit de dire que la franc-maçonnerie, telle qu’elle apparaît au début du 18ème siècle, ne peut revendiquer sérieusement une filiation avec certaines corporations médiévales, par exemple, avec celle des tailleurs de pierres. De telles corporations, en effet, étaient d’inspiration chrétienne. Or les constitutions d’Anderson de 1723, texte de référence pour tous les francs-maçons, ne comportent plus la moindre référence au Dieu révélé en Jésus Christ, révélation reçue, gardée et transmise par l’Eglise fondée sur les apôtres envoyés par le Ressuscité prêcher au monde l’Evangile du Salut. Un orfèvre en la matière, Jacques Mitterrand – qu’il ne faut pas confondre avec son homonyme célèbre, François Mitterrand, l’affirme nettement dans un livre où il explique les principes fondamentaux de la franc-maçonnerie.
Et maintenant, j’en viens à la question souvent posée : « Peut-on être catholique et franc-maçon ? » Je réponds clairement : non ! La déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi, déclaration engageant fortement l’autorité de l’Eglise, est sans ambiguïtés sur ce point. Elle est du 26 novembre 1983, signée par le cardinal Ratzinger, préfet de cette Congrégation et dit ceci : « On a demandé si le jugement de l’Eglise sur les associations maçonniques était changé étant donné que dans le nouveau code canonique, il n’en est pas fait mention expresse comme dans le Code antérieur. Cette Congrégation est en mesure de répondre qu’une telle circonstance est due aux critères adoptés dans la rédaction qui a été suivie aussi pour d’autres associations également passées sous silence parce qu’elles sont incluses dans des catégories plus larges.
Le jugement négatif de l’Eglise sur les associations maçonniques demeure inchangé parce que leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l’Eglise et l’inscription à ces associations reste interdite par l’Eglise. Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion. Les autorités ecclésiastiques locales n’ont pas compétence pour se prononcer sur la nature de ces associations maçonniques par un jugement qui impliquerait une dérogation à ce qui a été affirmé ci-dessus.
Le Souverain Pontife Jean-Paul II, dans l’audience accordée au cardinal Préfet a approuvé cette déclaration ». Cette déclaration a été précédée par une autre, non moins claire, cette fois de la conférence épiscopale allemande. Faite en 1981, elle est cependant peu connue. C’est pourquoi j’invite mes auditeurs à la lire dans » la Documentation catholique » (n°18O7). On y développe longuement l’incompatibilité fondamentale entre la doctrine de la maçonnerie et les enseignements de l’Evangile.
Et qu’en disent les francs-maçons ?
La franc-maçonnerie reconnaît elle-même cette incompatibilité. J’en veux pour preuve ce que dit à ce sujet Paul Gourdeau, ancien grand maître du Grand Orient de France. Ecoutons son message : « Ce qu’il est aujourd’hui important de comprendre c’est que le combat qui se livre actuellement conditionne l’avenir, plus encore le devenir de la société.
Il repose sur l’équilibre de deux cultures : l’une fondée sur l’Evangile et l’autre sur la tradition historique d’un humanisme républicain. Et ces deux cultures sont fondamentalement opposées : ou la vérité est révélée et intangible d’un Dieu à l’origine de toute chose ou elle trouve son fondement dans les constructions de l’Homme toujours remises en question parce que perfectibles à l’infini. De cette bataille perpétuelle recommencée avec vigueur depuis quelques temps, Malraux disait hier que le 21ème siècle serait religieux ou ne serait pas. C’est à cette affirmation, c’est à ce défi qu’il nous appartient de répondre. » ( » Humanisme » n°193, octobre 1990).
Faire dire à la franc-maçonnerie ce qu’elle n’a jamais pensé, c’est à l’évidence faire preuve d’une naïveté nourrie d’ignorance, c’est confondre sentimentalisme et générosité. Mais Gustave Le Bon ne disait-il pas déjà : » Beaucoup d’hommes sont doués de raison, très peu de bon sens. »
Sur quels points s’opposent l’Eglise catholique et la Franc-maçonnerie ?
J’en vois trois principaux :
A) La franc-maçonnerie prône le relativisme doctrinal. Autrement dit les vérités profondes concernant l’homme et sa destinée ne peuvent être connues avec certitude. A ce sujet, il n’y a donc ni vérité définitive ni vérité universelle. Le croyant, au contraire, affirme : » Jésus Christ est le Chemin, la Vérité et la Vie. » Mais le croyant authentique ajoutera aussitôt : » Si en Jésus Christ, j’atteins la vérité, cette vérité, je la reçois ; ensuite je suis appelé à la connaître toujours plus ; enfin, ce que j’en connais, je ne le mets pas suffisamment en pratique. C’est pourquoi connaître la Vérité ne signifie pas la posséder, c’est bien plutôt Elle qui me possède ! »
Voici quelques conséquences de ce relativisme doctrinal :
a) La connaissance de l’Etre suprême est une connaissance si générale que tout homme peut se faire un dieu selon son idée. » Le grand architecte de l’univers » – comme on appelle Dieu dans la tradition maçonnique – est quelque chose d’indéfini, ouvert à toute compréhension. Autrement dit, chacun peut y introduire sa représentation de Dieu, le chrétien comme le musulman, le confucianiste comme l’animiste ou le fidèle de n’importe quelle religion. Pour le franc-maçon, » le grand architecte de l’univers » n’est pas un être au sens d’un Dieu personnel. C’est pourquoi, il suffit d’une » vive sensibilité religieuse » pour reconnaître son existence. Cette conception d’un Etre suprême, trônant dans un éloignement déiste, veut, bien entendu, saper à la base la foi catholique en Dieu et rendre vaine toute réponse de l’homme à Celui qui se révèle comme un Père plein d’amour et de miséricorde.
b) La franc-maçonnerie, d’une manière générale, refuse jusqu’à la possibilité d’une révélation divine. Certaines obédiences soutiennent que l’intelligence humaine peut affirmer l’existence de l’Etre suprême. Mais aucun franc-maçon n’acceptera jamais que Dieu ait parlé aux hommes, leur donnant une lumière venant des profondeurs de son Amour, une lumière confiée à l’Eglise pour être transmise fidèlement à tous les hommes.
Ajoutons que lorsque une révélation divine est considérée comme acceptable, une telle révélation ne passe en aucun cas par un magistère ecclésial. Elle est livrée à l’appréciation subjective de chacun. Il faut surtout souligner que la franc-maçonnerie verse dans un rationalisme typique du » Siècle des Lumières. » Un tel rationalisme est une infirmité intellectuelle. En effet, quiconque cherche la vérité, l’aime pour elle-même, sans jamais prétendre qu’elle provient de la seule raison humaine. Si la vérité attire seulement en tant que mesurée par l’homme, cette attraction ne cache-t-elle pas un grand orgueil ?
c) La franc-maçonnerie n’admet aucune morale objective et donc universelle. Selon un franc-maçon que je cite : « La morale est essentiellement contingente. Elle évolue ». Nous saisissons mieux aujourd’hui les conséquences funestes d’un tel scepticisme.
B) La franc-maçonnerie refuse toute idée de salut. L’homme se construit par lui-même. Il n’a pas besoin de Dieu pour changer son cœur et trouver le bonheur. Il en va autrement pour le croyant. La foi lui découvre qu’en Jésus Christ, Dieu est venu parmi les hommes pour les sauver. » Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a envoyé son Fils ». Ce salut consiste en une délivrance. C’est un salut de tout l’homme, proposé à tout homme. Jésus Christ sauve en particulier la liberté humaine, abîmée par le péché. Mais en Jésus Christ, la vie divine est aussi communiquée : c’est une vie de lumière et d’amour que « l’œil n’a pas vue et que l’oreille n’a pas entendu ». L’homme est appelé à entrer en communion avec la Trinité divine. Autrement dit Jésus comble et même dépasse les aspirations les plus profondes du cœur humain.
L’opposition farouche de la maçonnerie au salut apporté en Jésus Christ, me fait penser à cette réflexion d’un grand écrivain de notre temps : « Le plus impressionnant aujourd’hui n’est pas que l’homme fasse le mal, c’est-à-dire se détruise et détruise les autres. Le plus effrayant est que l’homme veuille se passer de Dieu pour faire le bien ». Pierre Simon, ancien Grand Maître de la Grande loge, le dit à sa manière : » L’homme est le point de départ de tout chose et de toute connaissance, il est sa propre référence. Seul aujourd’hui, il peut dire ce qui est bon pour l’homme. »
C) Le secret maçonnique est quelque chose que l’Eglise n’a jamais accepté.
Sur ce point, il n’est pas nécessaire d’affabuler : l’existence de ce secret, reconnue par les francs-maçons eux-mêmes, porte gravement atteinte à la dignité de la personne humaine. Le secret maçonnique, en effet, empêche l’homme de s’engager consciemment et librement.
Evoquons brièvement quelques aspects de ce secret : un maçon n’a pas le droit de révéler à un » profane » l’identité de ses frères ; tout au plus peut-t-il – s’il le juge utile – déclarer son appartenance à la franc-maçonnerie.
Il ne peut pas non plus divulguer le contenu de certains travaux auxquels il a pris part au sein de son atelier ni faire connaître aux frères de grades inférieurs les mots de passe, signes ou symboles propres à son grade. Enfin, il existe un secret spécial, fruit d’une initiation aux formes douteuses. L’initiation est censée conduire à une révélation intérieure illuminant celui qui en est l’objet au fur et à mesure qu’il avance sur la voie de la connaissance.
A sa manière la franc-maçonnerie est donc une gnose » au nom menteur » (saint Irénée) avec une dimension occultiste très inquiétante. Ajoutons que les hauts gradés de la franc-maçonnerie présents dans une loge de la base ne révèleront jamais aux membres de cette loge leur » dignité ». On a pu dire à juste titre que la franc-maçonnerie est une » superposition de loges secrètes « .
Pourtant, certains se revendiquent d’une double appartenance : à l’Eglise et à la Franc-maçonnerie ?
Je suis bien conscient que ce que je viens de dire ne plait pas à tout le monde. Je n’ignore pas non plus qu’un illustre jésuite, le père Riquet – pour ne pas le nommer – a défendu une position différente de celle de l’Eglise. Il l’a même fait connaître dans un livre publié peu de temps avant son décès. A titre personnel, j’ai de l’estime pour le père Riquet.
Je rends hommage à son courage pendant la deuxième guerre mondiale. C’est sans doute, un religieux exemplaire sous beaucoup de rapports. Mais à propos de la franc-maçonnerie, il s’est gravement trompé, probablement abusé par des amitiés nouées en des circonstances difficiles et par une bonne dose de naïveté. A ce propos, il est salutaire de se souvenir que si instruits que nous soyons, nous demeurons fragiles, exposés à de nombreuses erreurs. Un lecteur attentif découvre sans peine que le père Riquet fait preuve de beaucoup de crédulité, par exemple, lorsqu’il affirme que le symbolisme de la franc-maçonnerie peut conduire à la découverte de Jésus Christ !
En revenant à votre question initiale, je tiens à ajouter que les évêques, et moi le premier, nous sommes la voix de l’Eglise dans la mesure où nous agissons en communion les uns avec les autres autour du » serviteur des serviteurs » qu’est le pape. La déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi est une déclaration qui doit éclairer notre action pastorale.
Après tout ce que vous venez de nous dire, Père évêque, quelle attitude avoir à l’égard des francs-maçons ?
Ma réponse est celle-ci : la franc-maçonnerie constitue un défi qu’il faut relever sereinement et courageusement. Certes, il ne faut pas exagérer l’influence de la franc-maçonnerie ; il ne faut pas, non plus, la sous-estimer. L’attitude d’un catholique agissant en cohérence avec sa foi, doit, me semble-t-il, être la suivante : d’abord la clairvoyance. Cela signifie connaître avec exactitude les véritables objectifs que poursuit la franc-maçonnerie. Ensuite, le désir d’approfondir sans cesse la foi chrétienne. L’ignorance est le grand ennemi de la foi. Enfin, la résolution de suivre de plus en plus fidèlement Jésus Christ. L’exemple est plus convaincant que la seule parole.
Et voici le mot de la fin : notre vraie force est de prendre appui sur Jésus Christ. Lui seul peut changer les cœurs. C’est pourquoi, autant il faut combattre la franc-maçonnerie en rappelant qu’elle est une forme particulièrement nocive de » gnose « , autant il faut poser sur les francs-maçons un regard d’espérance, regard né d’une authentique charité, car » rien n’est impossible à Dieu » !