Jérôme Touzalin est un dramaturge , responsable de la communication et membre du Conseil de l’Ordre, de la Grande Loge Traditionnelle et Moderne de France.
Il nous offre aujourd’hui un texte sur le langage des symboles
Parlez-vous le « symbole » ?
La Maçonnerie n’est pas que le retour au confort douillet d’un lieu protégé de toutes parts, où font assaut de savoirs des hommes et des femmes qui jouent à une société idéale qui s’évanouit dès que retentit le douzième coup de Minuit.
La Maçonnerie est aussi une école. Mais des écoles ce n’est pas ce qui manque, à commencer par la première d’entre toutes, celle qui nous a appris à lire, écrire et compter ; celle qui nous a fait découvrir les grandes figures humaines qui nous ont précédés dans l’histoire du temps, et puis il y a eu toutes ces écoles qui nous ont formés à un métier.
Alors, que vient faire l’école maçonnique ? Que proposons-nous donc de si différent sur le chemin qui conduit « au progrès intellectuel et moral de l’humanité ? »
C’est que pour atteindre ce but, nous avons notre pratique spécifique, nous enseignons un langage qui est notre exclusivité : celui des symboles : car c’est lui, qui après notre langue maternelle – chacun la sienne – devient la langue fraternelle : la même pour tous, et qui trace notre chemin. Symbole à travers les objets, les matériaux, les gestes, les mots, les cérémonies.
Prenons, quelques instants, comme illustration, le temps de regarder ce qui nous entoure dans le temple :
Si nous ne voyons, là, devant nous, sur la petite table, devant le Vénérable, qu’une équerre posée sur un compas, le tout surmontant un livre, si nous ne voyons que cela, si nous n’éprouvons rien d’autre que la fixité pesante d’objets inanimés, chacun empêtré dans sa fonction exclusivement pratique, alors nous sommes loin de cette légèreté qui fait que tout se met à prendre une autre vie et désigne une autre voie, lorsque nous articulons la combinaison magique de ces mêmes objets.
Élargissons notre regard. Le maillet du Vénérable n’est plus un maillet, le fil à plomb, une stupide ficelle et le triangle, au dessus du maître de la loge, une vague lucarne d’où filtre la lumière d’une ampoule bien souvent fatiguée.
Quelque chose naît, éclot dans les pensées, voici qu’apparaît un sens à une réalité qui nous échappe : Le fil à plomb, reprenons cet exemple, outil du second surveillant, se fait soudain « Perpendiculaire » !
Aussitôt de cette droite qui joint le plus profond des ténèbres terrestres à l’infini des cieux, émerge la première des voies selon laquelle on enseigne à l’apprenti « maçon » de travailler tout au long de son année d’apprentissage : la voie souterraine, celle qui nous constitue celle qui nous permet la redécouverte de notre Moi intime ; et la voie supérieure, l’aspiration que nous avons à nous élancer vers la spiritualité, vers le mystère de notre destinée… peut-être est-ce cela, aussi, que figure la grande canne du Maître de Cérémonie qui va cadençant le rythme de son déplacement : cette droiture ; et nous-mêmes, hommes debout, ne sommes-nous pas les maîtres de la cérémonie de notre propre vie ? Nous sommes reliés à cette ligne fictive, cette perpendiculaire, pour nous tenir droits, en vrais Maçons, face à la vie.
Prenons un autre exemple, celui de la pierre, qui nous est si symbolique : Pourquoi nous attachons-nous tant à elle ?
C’est qu’elle est encore suffisamment proche de l’état initial pour être considérée comme le témoin le plus direct de l’opération qui a abouti à la création du monde, et celle des hommes. Elle est, là, à nos pieds, une forme résumée de la mémoire de l’univers, en tant qu’objet physique profane, pour les matérialistes, ou contenant la parole divine créatrice, pour les spiritualistes, mais considérée comme notre socle commun pour les uns comme pour les autres.
On ne se lance donc pas dans cet apprentissage de la langue des symboles, dans ce voyage au-delà de l’expression verbale habituelle et qui devient langage d’intuition, de sensation, d’émotion, de tradition, pour faire joli, cultivé, inspiré, mais parce que l’entrée dans ce monde et ce parlé symbolique vise à faire prendre conscience à l’homme qu’il est relié à un Ordre et que sa mission, son devoir, est de tendre à la perfection de cet Ordre ainsi qu’à son accomplissement.
Pour ce faire, il ne suffit pas, sitôt surgit du cabinet de réflexion où l’on est allé nous chercher au soir de notre initiation, d’être reconnu Franc-maçon, il faut plus que quelques tenues, plus que le temps de l’Apprenti, du Compagnon et même du Maître… il faut toute la patience de vouloir dénouer sans fin un mystère infini… et décoder cet alphabet que sont les objets et décors qui dansent devant nos yeux.
Ainsi, dans cette communauté d’hommes et de femmes, le travail de traduction permanent que nous pratiquons verra sa récompense… car ce langage n’a de sens que parce qu’il nous renvoie au monde et nous enseigne comment le bâtir.
Un jour, j’en suis sûr, s’érigera ce Temple que nous appelons tous de nos vœux, ce Temple qui nous rassemble et nous ressemble, où les humains, enfin, s’aimeront parce qu’ils se comprendront à travers le seul langage intelligible par tous : celui, universel, des symboles.
R∴F∴ Jérôme Touzalin.
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Décidément notre Frère Jérôme nous régale encore une fois avec une fort belle Planche , cette fois-ci sur le Symbole. Ces Planches -depuis que Jérôme nous les offre sur Gadlu.Info - abordent des sujets sur divers aspects de la Franc-Maçonnerie, mais toujours d'une manière compréhensible par toutes et tous et surtout, le principal pour moi, c'est que Jérôme nous parle avec son coeur. Et cela ça n'a pas de prix !! Et pour ce qui est que "les humains s'aimeront parce qu'ils se comprendront à travers un seul langage intelligible par tous", hélas les derniers événements survenus à Nice ce 14 juillet, nous meurtrissant dans notre chair, notre coeur (étant de Nice, j'ai des collègues, des amis qui souffrent actuellement de ce drame). Mais il nous faut espérer. Est-ce utopiste ? Peut-être mais le Maçon n'est-il point un utopiste ?? Bien Fraternellement.
"ce Temple qui nous rassemble et nous ressemble, où les humains, enfin, s’aimeront parce qu’ils se comprendront à travers le seul langage intelligible par tous : celui, universel, des symboles."
Je n'ai ni cette patience ,ni cette sagesse , ni cette folie de croire en un seul langage universel symbolique, mais j'ai le besoin de croire en ceux qui sont les inlassables porteurs de leurs convictions .
Sans doute, comme vous le dites, faut-il un brin de folie pour avoir cet espoir de l'entente entre les hommes... Mais sans cela la traversée de la vie manquerait terriblement de lumière...