Le magazine Science et Vie avait publié en novembre 2018 un dossier intitulé « Paris ville maçonnique ? les 10 lieux qui posent question » signé Christophe Migeon.
Extrait :
Au-delà des fantasmes, certains monuments, immeubles, quartiers peut-être, racontent l’empreinte de la franc-maçonnerie sur l’urbanisme parisien. Des indices troublants, mais qui ne résistent pas toujours à l’examen des preuves.
Au numéro 12 de la rue de Buci, dans la salle haute d’un cabaret, le duc d’Aumont installe, le 3 avril 1732, sous l’impulsion de la Grande Loge de Londres, le siège de la loge de Buci. C’est la première loge maçonnique parisienne. Quelle a pu être depuis lors l’influence de la franc-maçonnerie sur la physionomie de Paris? Est-il possible de retrouver dans le tracé de ses voies, de ses perspectives un « grand dessein », à l’ instar de la capitale américaine? De nombreux frontons, façades, statues recèlent, le long d’une frise, entre deux balustres ou dans l’ombre d’un encorbellement, des marques comme un compas dans un médaillon qui ne souffrent aucune équivoque. Au-delà de ces références discrètes adressées à leurs pairs par des propriétaires ou des maîtres d’œuvre initiés, certains monuments, et non des moindres, semblent porter l’empreinte de la franc-maçonnerie Certaines vues aériennes de fameux quartiers de Paris (comme la Concorde), par leur analogie avec des plans de temples, jettent le trouble. Qu’en est-il vraiment ?
L’étendard des valeurs républicaines
A tout seigneur tout honneur, examinons le cas de la tour Eiffel, incarnation aux yeux du monde de la capitale, voire du pays tout entier. Dans son Initiation à la franc maçonnerie (éd. Marabout), Jean-Michel Quillardet, grand maître au Grand Orient de France de 2005 à 2008, avance qu’Eiffel aurait développé son projet en référence à la franc-maçonnerie. L’image du phare qui répand sa lumière sur le monde et les trois étages faisant écho aux trois niveaux d’initiation (apprenti/compagnon/maître) peut intriguer le sceptique. D’autant que sa construction, qui survient en pleine bataille scolaire entre républicains laïques et congrégations religieuses (à la suite des restrictions imposées par l’Etat sur les prérogatives du clergé dans l’enseignement), prend immédiatement valeur de symbole. Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique, et René Goblet, président du Conseil, tous deux maçons, respectivement aux loges Alsace-Lorraine et La Clémente amitié, soutiennent vivement ce projet de flèche métallique de 300 m de haut susceptible de contrer l’érection du monument de l’ordre moral, la basilique du Sacré-Cœur, dont les travaux s’éternisent depuis 1873 faute de fonds. Dans ce contexte de discorde nationale, les loges prennent la défense de la tour devenue l’étendard des valeurs républicaines auxquelles elles souscrivent. La polémique fait rage. Représentants de la haute société, scientifiques égarés ou artistes indignés lancent des critiques suffisamment corrosives pour attaquer le métal des piliers : » Grillage infundibuliforme et suppositoire solitaire », pour Huysmans, « squelette de Beffroi », pour Verlaine, » lampadaire tragique », selon Léon Bloy … Voilà la pauvre Dame de fer habillée pour l’hiver. Ces railleries vengeresses sur le physique supposé ingrat de la tour apportent de l’eau au moulin des partisans des congrégations, qui se désolent de voir les travaux avancer si vite alors que leur basilique n’est même pas encore coiffée d’une coupole. Eiffel achève la construction en à peine plus de deux ans, juste à temps pour l’ouverture de l’Exposition universelle de 1889. Beaucoup s’opposent encore à cette idée de tour conçue comme un étendard maçonnique. Pour François Gruson, professeur à !’école d’architecture de Lille et membre du conseil scientifique et technique de la Grande Loge de France, la tour n’est que le développement d’un pilier des viaducs conçus précédemment par Eiffel. « Je n’y vois aucun symbole maçon, mais une simple réponse à un problème d’ingénierie. Elle a autant l’air d’un phare que d’un porte-jarretelles! Même s’il était entouré de maçons, Eiffel restait avant tout un businessman. » On peut cependant s’interroger : quelques années auparavant, Gustave Eiffel avait apporté son concours à l’élaboration d’ un autre fameux porte-flambeau : la statue de la Liberté. Maurice Koechlin, ingénieur d’Eiffel, l’un des futurs concepteurs de la tour et franc-maçon, dessine l’armature métallique de la statue conçue par Bartholdi, lui-même initié dans la loge Alsace-Lorraine. La main gauche de la statue tient une tablette figurant la Connaissance tandis que la maindroite brandit une torche enflammée, illuminant le monde grâce à la lumière de la Vérité. Les loges françaises, notamment le Grand Orient de France, ont activement participé au financement de la statue, tandis que la Grande Loge de l’Etat de New York a trouvé la qua si-totalité des fonds pour les travaux de la stèle. C’est d’ailleurs le grand maître de cette loge, William Brod ie, qui pose la première pierre du monument en 1886. L’idée que les Etats-Unis et la France puissent s’incarner chacun dans un symbole franc-maçon est assez plausible. Reste qu’en l’absence de preuves formelles dans o v; les plans ou dans la correspondance des architectes et des ingénieurs, il n’est pourtant pas possible de l’affirmer Il n’en reste pas moins que ces deux monuments ont vu le jour à la suite d’une impulsion maçonnique et qu’ils doivent aux loges une grande partie de leur prestige actuel et des fonds ayant permis leur édification. Mais, comme pour la tour Eiffel, aucune preuve écrite n’atteste qu’il y a eu un plan maçonnique à l’origine. D’ailleurs, à l’époque, Gustave Eiffel n’était pas encore franc-maçon Il faut donc ici se contenter d’un faisceau d’indices laissant la porte ouverte au doute.
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