ON DIT QUE………
On dit que la Franc-Maçonnerie a perdu de son importance, qu’elle n’insuffle plus, comme autrefois, les idées qui élèvent la communauté humaine, qu’elle ne défend plus avec la même force les grandes causes politiques, sociales, humanistes et pour appuyer le propos l’on fait immanquablement référence à quelques célébrités politiques qui ont marqué l’Histoire de la Franc-maçonnerie de leur empreinte considérable… célébrités dont on serait en déficit aujourd’hui… La IIIème République accédant à la plus haute marche du podium, entourée par quelques illustres figures ayant hanté des périodes historiques avoisinantes.
Il est vrai, que ces personnages, auxquels il faut adjoindre toutes les femmes d’influence qui n’ont pas manqué d’apporter avec bonheur, leur intelligence et leur énergie, donnent de la FM un angle de vision très particulier.
Si le grand espoir d’harmoniser la vie des hommes, par le truchement du politique participe toujours des élans de la Franc-Maçonnerie, c’est une grande erreur que de considérer que c’est là toute la Maçonnerie !
Cet accent mis sur la politique n’est qu’un des aspects que développe la Franc-maçonnerie. C’est sa partie émergée, celle que retient, plus visiblement semble-t-il, le grand public et le monde de la presse, qui, comme toujours, s’arrête au spectaculaire, au rutilant… ce qui conduit le sens commun à croire que c’est là, l’unique objet de cette activité… fausse idée que cela.
Il faut regarder la Franc-maçonnerie sous tous ses angles à la fois, il faut avoir, comme les grands peintres du XXème siècle, une vision « cubiste » du monde… et la pierre cubique cela nous connaît.
Par-delà la vie de la cité, c’est à une grande aventure intérieure personnelle à laquelle va se livrer le profane en pénétrant dans le sein des temples et qui déborde du seul cadre de l’organisation législative de la nation.
S’il convient, à travers les lois, en femmes et hommes responsables, de se pencher sur l’aménagement de la vie en société, il ne faut pas oublier qu’une communauté est bâtie à partir d’individus, isolés, comme sont isolées, même si disposées côte à côte, les pierres qui érigent le temple.
La Maçonnerie s’intéresse à chaque pierre, comme elle se préoccupe de l’ensemble de l’œuvre. Le progrès de chacun est un objectif majeur de la Franc-maçonnerie, car c’est à partir de femmes et d’hommes, individuellement enrichis par les savoirs particuliers des uns et des autres, que l’on arrivera à une structure sociale plus harmonieuse.
D’où le travail considérable, entre frères et sœurs, qui est fait au sein de chaque loge, dans la diversité des Obédiences ; ce dont, bien évidemment, la grande presse ne parle jamais -alors qu’elle le pourrait- et dont, de ce fait, le grand public n’est pas informé : il faut voir la somme d’exposés, de recherches approfondies, conférences, études historiques, philosophiques, publications… présentée chaque soir, dans toutes les loges de France… chaque sœur ou frère, œuvrant en apportant ses réflexions, fruit d’un labeur patient, toujours dans le goût de l’échange, afin d’en faire profiter les autres.
Tout ce qui peut concourir à l’élévation des esprits, à une inlassable réflexion autour des idées, a droit de cité dans l’enceinte des temples.
C’est le lieu où le travail sur soi règne en maître. « Travail sur soi », cette formule est devenue un peu fourre-tout, mais elle dit bien cet effort intellectuel que chacun produit pour progresser personnellement et sur quoi repose l’engagement maçonnique. On sait que c’est par la transmission inlassable de la culture, de toutes les cultures, d’où qu’elles viennent, que l’on se comprend mieux, que l’on découvre la richesse intérieure de ceux qui étaient jusqu’alors des inconnus, voire même des ennemis et que cela est un des éléments dans la pacification tant souhaitée du monde.
Chaque Obédience a sa personnalité, chacune privilégiant dans ses ateliers un domaine d’intérêt différent de sa voisine, tantôt plus politique il est vrai, tantôt plus spiritualiste, historique, philosophique, ces abords différents entraînant parfois, entre les états-majors, des rivalités Picrocholines, sans entacher le moins du monde l’élan de fraternité qui unit les frères et les sœurs et la joie qu’ils éprouvent à se retrouver parce qu’ils ont la sagesse de ne pas entrer dans ces conflits qu’aiment tant les hiérarchies humaines, même franc-maçonnes.
Si aujourd’hui les feux de l’actualité se portent moins sur le versant politique on a tort de dire que la Franc maçonnerie a perdu de son importance, il serait temps que ceux qui l’affirment corrigent leur analyse et embrassent l’ensemble de ce qu’est le mouvement maçonnique, s’écartant du seul et invariable aspect, qui les captive, allant jusqu’à l’obsession : celui de la politique.
Se concentrer sur cette approche exclusive, c’est un peu comme le touriste qui, visitant le Louvre, n’en retiendrait que la seule et inévitable Joconde, négligeant les extraordinaires richesses de l’ensemble du musée.
La Maçonnerie, c’est la vaste moisson des trésors nés de l’esprit humain ; du plus ésotérique au plus scientifique, du plus profane au plus sacré, du plus traditionnel au plus moderne.
De l’entremêlement commun de ces disciplines multiples naît une seule et unique lumière à laquelle s’éclairent toujours les Francs-maçons d’aujourd’hui : la lumière de l’épanouissement intellectuel, c’est son firmament.
Jérôme Touzalin
Jérôme Touzalin est un dramaturge,membre du Conseil de l’Ordre, de la Grande Loge Traditionnelle et Moderne de France.
Bonjour Jérôme, très joli style littéraire, c’est très agréable de te lire !
À l’analyse que tu fais je rajouterai que peut-être tout simplement le monde profane a changé et qu’il n’a peut-être plus besoin que ce soit des franc-maçons qui occupent et impulsent le débat public.
La laïcité en France est désormais une évidence intellectuelle, les droits des femmes, de la sexualité, de la liberté de penser et d’être… sont des acquis mentaux même s’il reste à beaucoup œuvrer dans sa réalisation sur le terrain…
Dans le temps et lorsque le parlement était à ce point garni de franc-maçons sous la 3eme république, la sociologie des français était telle qu’il est compréhensible que les esprits lettrés, intellectuels et ayant un patrimoine financier qui leur permette de s’adonner tout le temps aux choses intellectuelles… se soient en plus retrouvés dans les loges, discourant avec leur semblables.
Mais aujourd’hui les loges sont plutôt un Club de personnes d’un âge certain, aux vues conservatrices et convenues. L’esprit intellectuel, l’innovation de pensée est aujourd’hui davantage à chercher dans les initiatives privées (startups, entreprises changeant le monde) et/ou personnelles (Influenceurs, leaders d’opinion sur YouTube, Instagram, Twitch…)
Pourquoi diable les intellectuels et gens qui changent le monde d’aujourd’hui iraient-ils choisir l’initiation… patienter 1 à 2 ans pour enfin prendre la parole en loge et au final se heurter à une majorité d’esprits conservateurs et convenus ? Alors qu’ils ont de l’autre côté la possibilité de lancer une startup, devenir millionnaire dans ce même laps de temps et concrètement changer le monde tout en échangeant avec des réels esprits de progrès : scientifiques, entrepreneurs et leaders d’opinions ? Pourquoi diable feraient-ils cela?
On assiste aux obédiences societales qui pensent continuer la Tradition mais qui selon moi ne font plus que répéter des choses déjà acquises (la laïcité) ou alors complètement convenues (la mixité, la place de la femme) trouvant que leurs actions portent puisqu’on voit dans notre société un réel progrès de ces idées… Alors que le monde profane se serait bien passé d’eux… La vague de la mixité grossissant d’elle-même à l’extérieur… Essayez de discuter avec un jeune de 20 ans aujourd’hui et parlez-lui de non mixité… Vous observerez un regard vide de compréhension… Vous renvoyant ce qui pour lui est une évidence et ne peut envisager d’autre réalité : le femme est l’égale de l’homme.
Attendez juste 20 ans et vous verrez cette classe d’âge rentrer en maçonnerie… et il n’y aura besoin d’aucun débat, d’aucune question à l’étude des loges… L’évidence s’imposera.
En fait Jérôme, mon point de vue est qu’en effet les « esprits réformateurs et impulsants des changements de société » ne sont plus en maçonnerie et que c’est d’ailleurs très bien, ça nous laisse la possibilité de nous recentrer sur ce qui est notre réelle valeur ajoutée dans la vie d’aujourd’hui : la spiritualité, le travail sur soi et le fait de devenir la meilleure version de soi-même via l’étude des philosophies et de la symbolique des idées révélatrices.
Au vu de ce changement sociologique, du fait qu’il y a de moins en moins de riches ou d’intellectuels dans les loges… Que le monde profane prend le relais, une question émerge dans mon esprit : de quel droit nous considérons-nous comme ayant une place prépondérante dans le débat public ? Pourquoi la voix d’une ou d’un franc-macon(ne) devrait-elle être au dessus des autres ? Pourquoi continuer à faire du societal?
Très cher Frère,
Tu écris :
« notre réelle valeur ajoutée dans la vie d’aujourd’hui : la spiritualité, le travail sur soi et le fait de devenir la meilleure version de soi-même via l’étude des philosophies et de la symbolique des idées révélatrices. »
Voilà une réflexion que je partage totalement, voilà ma raison d’être en « maçonnerie ». Progresser soi-même, c’est déjà beaucoup et peut-être le monde profane peut-il s’en trouver enrichi à travers toutes les structures qui s’offre,t à nous et auxquelles nous participons.
Merci pour ton commentaire.