L’occasion pour l’éditorial comme pour nous de découvrir la franc-maçonnerie luxembourgeoise au travers de son grand maître : on constate que la franc-maçonnerie est universelle de part les débats qu’elles suscitent et animent.
Source : http://lequotidien.editpress.lu/interview-du-lundi/6176.html
Alain Chantraine a été désigné Grand Maître du Grand Orient de Luxembourg le 11 octobre. Tour d’horizon de la franc-maçonnerie luxembourgeoise.
La franc-maçonnerie reste aux yeux de beaucoup une société mystérieuse qui vit cachée. Au Grand-Duché, elle présente plusieurs particularités qui attirent les loges étrangères. / Entretien avec notre journaliste Geneviève Montaigu
Comment êtes-vous devenu franc-maçon? Pourquoi avoir été attiré par cette obédience?
Alain Chantraine: Ce qui m’a attiré, c’est bien sûr la liberté de pensée et la possibilité d’échanger, surtout après ma retraite. Pendant que je travaillais, je n’avais vraiment pas beaucoup de temps et au moment de ma retraite, j’ai commencé à réfléchir beaucoup plus sur les problèmes de société. Au lieu d’être dans l’action, je me retrouvais plutôt dans la réflexion. C’est un enrichissement personnel que j’apprécie. Pour vous donner un exemple, nous avons eu une discussion sur les Cathares que je ne connaissais pas beaucoup. Cela m’a donné envie d’ouvrir un bouquin et de me faire une opinion sur cette mouvance. Cela ouvre l’esprit sur des choses auxquelles on ne pense pas forcément. Et cela crée des amitiés car on se connaît de manière plus profonde car chacun met sa conscience à nu.
Le Grand Maître est élu? Comment cela fonctionne-t-il?
C’est un système à plusieurs niveaux. Chaque atelier est informé des candidatures et donne un mandat à deux de ses membres pour participer au convent qui est notre assemblée générale. Il y a un vote secret d’abord, non pas pour l’élection du Grand Maître mais d’un membre du conseil et c’est le conseil qui désigne son Grand Maître pour un an, renouvelable deux fois.
Quel est son rôle?
Le Grand Maître a un premier rôle qui prend le plus de temps, c’est la gestion matérielle, la gestion du bâtiment. Dans le sens de l’intendance. Il faut, par exemple, répartir les salles entre chaque atelier afin que tout le monde ait sa place. Ensuite, le Grand Maître est l’image publique, ce que je fais en ce moment même en répondant à vos questions. Enfin, il représente le GOL dans la maçonnerie européenne et mondiale.
Justement, aura-t-on un jour un espace maçonnique européen?
J’y travaille et j’y crois. Pour l’heure, nous avons encore un problème de leadership. Certains pensent que parce qu’ils sont les plus nombreux, les autres doivent les suivre. Je ne citerai personne (rire).
Tout le monde peut poser sa candidature pour rentrer dans la franc-maçonnerie mais n’est pas forcément accepté. Comment s’opère la sélectivité?
Il y a un processus d’entretiens avec le candidat pour connaître ses motivations. Si quelqu’un vient nous dire qu’il veut être franc-maçon parce qu’il cherche des liaisons d’affaires, etc., celui-là, on l’invite à aller voir dans des clubs dont c’est la vocation: ce sera plus profitable… La personne qui se présente doit avoir des dispositions d’esprit pour être accepté. Après, il y a toute une procédure d’acceptation, de cooptation par l’ensemble de l’atelier où la personne se présente. Et il y aun vote.
L’affairisme, c’est précisément un reproche que l’on formule à la franc-maçonnerie. On se trompe?
Il y en a eu surtout en France mais beaucoup moins en Belgique. Au Luxembourg, je ne connais pas d’affaires où la franc-maçonnerie était impliquée.
Qu’est-ce qui différencie la Grande Loge du Grand Orient et quelles sont les particularités luxembourgeoises?
Le GOL à un certain nombre de caractéristiques et celle qui nous différencie est, pour la Grande Loge, l’obligation de croire en un Dieu, qu’ils appellent le Grand Architecte de l’univers. Tandis que la maçonnerie adogmatique, le GOL, ne reconnaît pas forcément une religion monothéiste. Une autre différence : la maçonnerie anglaise élimine de ses discussions tous les sujets politiques et religieux. Alors que nous abordons tous les problèmes sociétaux et religieux.
À Luxembourg, le GOL est une obédience pluraliste, ce qui est rare dans le paysage maçonnique. Nous acceptons les loges masculines, féminines ou mixtes. Nous avons six loges étrangères affiliées au GOL, belges, néerlandaises et allemandes. À l’origine, la grande motivation des loges étrangères était la mixité et on est en train de développer avec eux des relations typiquement luxembourgeoises. Je dois dire que la mixité nous apporte beaucoup.
La Grande Loge a adhéré en 1954 à la convention de Luxembourg. Le GOL a participé en 1971 à l’appel de Luxembourg. Le Grand-Duché joue-t-il un rôle important dans la franc-maçonnerie mondiale et européenne?
Oui, son rôle est plus important que la taille du pays. C’est un phénomène fréquent au Luxembourg, dans le sens où c’est un petit pays où on trouve des gens qui s’engagent et qui peuvent avoir autant de poids qu’un grand pays qui est plus divisé, plus hésitant.
Combien de membres compte le GOL? Pourquoi est-ce que leur identité reste aussi secrète?
Le GOL compte actuellement 400 membres mais nous ne sommes pas une société secrète. Il est vrai que le contenu des discussions n’est pas dévoilé parce que dans les débats que nous menons, on se sent libre de dire ce que l’on veut sans que personne ne vienne faire des reproches. Pour donner encore plus de liberté, on exige le secret des débats, pas forcément le secret des conclusions des débats si l’enjeu le justifie. C’est la tradition des compagnons qui gardaient leurs secrets pour être plus concurrentiels à l’époque.
Quant à l’identité des membres, chacun peut proclamer qu’il est franc-maçon mais il ne peut pas dévoiler quelqu’un d’autre. Parce qu’il reste encore des séquelles de persécution des francs-maçons. D’abord ce fut une persécution par les milieux conservateurs religieux, au départ, et pendant la Seconde Guerre mondiale, la crainte du nazisme. Mais je pense qu’on va évoluer lentement vers une ouverture. Mais il faudra encore du temps avant que le secret des membres soit levé. Cela étant dit, de plus en plus de membres se déclarent ouvertement francs-maçons.
Qui a été, selon vous, le plus important franc-maçon luxembourgeois?
Oh, il y en a eu beaucoup. Surtout de la Grande Loge de Luxembourg qui était la première. Mais le plus important, c’est difficile à dire. Puisque nous sommes le 2 novembre, le cimetière de Luxembourg contient nombre de sépultures avec des symboles maçonniques.
Trouve-t-on beaucoup d’hommes politiques dans la franc-maçonnerie au Luxembourg?
Ce n’est pas un milieu très représenté. Nous avons des politiques, des syndicalistes, des chefs d’entreprise, des informaticiens, des fonctionnaires, des artistes, des journalistes(!) : en fait, il y a de tout. Elle est à l’image de la société et cela dépend des engagements de chacun. Dans le GOL, nous avons aussi un côté très cosmopolite. On peut compter trois grands groupes, les Luxembourgeois, les Français et les Belges et, à côté, nous comptons encore une dizaine d’autres nationalités. La maçonnerie, c’est vraiment la photo de la société.
L’accord de coalition prévoit la création d’une maison de la laïcité. Cela vous réjouit-il? Le GOL y sera-t-il représenté?
Nous n’en avons pas encore discuté mais ce n’est pas l’enthousiasme auquel vous pouvez vous attendre. Je vous donne mon avis personnel qui n’est pas forcément celui de la franc-maçonnerie luxembourgeoise. À mon avis, c’est trop étroit… Dire qu’on va regrouper ceux qui sont des purs laïcs et qui vont s’opposer aux religions. Nous sommes adogmatiques mais tolérants. La franc-maçonnerie n’est pas un organe de lutte contre l’Église. Si on observe la société telle qu’elle se développe, on voit qu’après la guerre, l’Église avait le monopole de tout ce qui touchait au caritatif. Aujourd’hui, les ONG prennent de plus en plus d’importance, et que le besoin se fasse ressentir d’avoir une maison des associations, je peux le comprendre. Mais une maison de la laïcité, je ne vois pas l’intérêt sinon un intérêt militant. Maintenant, il ne faudrait pas que cette maison de la laïcité soit une petite cacahuète donnée aux milieux laïcs pour justifier l’ensemble des financements de l’Église. Ceci dit, nous sommes en général pour la séparation des Églises et de l’État, c’est une constante dans nos discussions. Nous n’acceptons pas que pour des raisons dogmatiques, on impose à l’ensemble de la population un certain nombre de règles.
Comme ce fut le cas lors du débat sur l’euthanasie?
Oui, c’est le meilleur exemple. Nous avons discuté du sujet dans nos ateliers, y compris avec la Grande Loge de Luxembourg. Chacun s’est formé un jugement personnel sur la question mais nous n’avons jamais écrit au Premier ministre pour lui dire que la franc-maçonnerie était pour ou contre l’euthanasie. En France, par exemple, les francs-maçons vont directement à l’Assemblée nationale, au Sénat ou dans les groupes de réflexion pour défendre certaines idées mais ce n’est pas notre manière de fonctionner. La loi sur l’euthanasie a été votée au Luxembourg, et c’est une preuve de maturité du Grand-Duché en dépit de la forte influence de l’Église. Personnellement, j’étais sceptique.
La franc-maçonnerie luxembourgeoise ne représente donc pas cette influence qu’on pourrait lui prêter…
Nous sommes un lobby par nos actions individuelles. Mais c’est chacun dans son coin. Nous sommes un réseau de réflexion mais pas d’influence. On va avoir ce problème qui va ressurgir dans les prochaines années car, par le biais du traité de Lisbonne, la Commission européenne consultera les associations religieuses et philosophiques. Donc, nous serons interrogés par la Commission sur un certain nombre de problèmes et c’est là que les échanges maçonniques européens pourront jouer un rôle. Et cet article du traité de Lisbonne a été rédigé sous l’influence de l’Église, pas de la franc-maçonnerie.
Vous discutez de politique et de religion au GOL, contrairement à la Grande Loge. Quel est le grand sujet sociétal auquel vous allez vous atteler dans un proche avenir?
Il y a bien sûr l’avortement mais, surtout, l’enseignement des valeurs dans les écoles. Il ne faut pas se limiter à un cours de religion mais proposer un cours philosophique plus général. Quel contenu? Les droits de l’Homme, par exemple. D’ailleurs la charte des Nations unies a été rédigée par René Cassin, un franc-maçon niçois. Les droits de l’Homme ne sont pas suffisamment analysés et enseignés.