Avec la Camerata Salzburg et le chœur de la Radio bavaroise, Manfred Honeck propose un programme bouleversant qui met en perspective un chef-d’œuvre qu’on croit trop connaître.
Une heure vingt, sans pause et sans applaudissement, avec un public concentré sur un programme dense, soigneusement construit et pertinent : ce n’est, hélas, pas toujours ce à quoi les concerts classiques nous ont habitués, y compris à Salzbourg, mais c’est toujours un bonheur quand des musiciens font ce choix de l’exigence artistique.
- Source : Site ResMusica du 26 juillet 2023 – Le grand théâtre funèbre du Requiem de Mozart à Salzbourg par Dominique Adrian
Depuis une bonne décennie, le festival de Salzbourg s’ouvre par une semaine consacrée sous le titre Ouverture spirituelle à la musique sacrée sous toutes ses formes ; dans sa version actuelle, elle a pour grand mérite de mettre en lumière deux secteurs toujours trop peu présents du répertoire, la musique contemporaine et le répertoire choral. Cette année, sous le titre Lux Aeterna, l’Ouverture spirituelle prend un ton résolument funèbre : avant ce Requiem de Mozart, on a ainsi pu entendre un Requiem de Biber, les Quatre chants pour franchir le seuil de Grisey ou l’Officium defunctorum de Victoria.
C’est par Lux Aeterna de Ligeti, sorte de complément a cappella à son propre Requiem hors normes, que s’ouvre le chemin qui conduit ce soir au Requiem de Mozart : le chœur de la Radio bavaroise éblouit par sa transparence et sa flexibilité, mais le choix interprétatif ne convainc pas du tout : pourquoi des attaques aussi molles, pourquoi une telle fusion des voix qui rend presque illisible la téméraire architecture construite par Ligeti ? C’est heureusement la seule réserve que suscite ce concert. Le rapport de Mozart à la mort est ensuite éclairé par la lettre qu’il envoie à son père mourant en avril 1787, où il la décrit comme une consolatrice, puis par la Musique funèbre maçonnique qui, avec sa gravité émue, suit le même thème. Le Laudate dominum extrait des Vêpres composées par Mozart en 1780, permet de retrouver le chœur dans toute sa force collective, en même temps que la soprano Katharina Konradi, belle mozartienne qui livre une interprétation en adéquation avec la tonalité sombre de la soirée.
Dans le cadre spectaculaire des arcades de la Felsenreitschule, la vision grand format de Honeck est parfaitement à sa place. Le trombone du Tuba mirum est placé dans l’une des galeries de pierre au-dessus de la scène, les chanteurs de la schola grégorienne Cantatorium participent hors scène par de courtes interventions toujours autour du thème de la mort : il faut tendre l’oreille pour les entendre distinctement, mais c’est aussi un effet dramatique, une sorte de tragédie de l’écoute, pour reprendre le sous-titre du Prométhée de Nono. Dans le Requiem lui-même, Honeck choisit une vision noire et ardente, soulignant les scansions impitoyables des timbales, tirant des cordes de la Camerata des sonorités terriennes, préférant le vrombissement des contrebasses à une transparence immatérielle.
L’effectif important du chœur de la Radio bavaroise, de toute façon préférable dans cette vaste salle, lui permet de produire une masse sonore qui impressionne les auditeurs – il suffit d’entendre l’ovation qui lui est destinée à la fin du concert pour s’en convaincre. Cette vision proprement tragique n’est plus la vision consolatrice évoquée au début du concert : il faut l’Ave verum qui clôt le concert pour retrouver un peu d’espoir, même cette pièce, souvent utilisée comme bis et à cette occasion souvent transformée en confiserie sans saveur, prend ici un poids beaucoup plus solennel. Avec ses choix interprétatifs affirmés et vigoureusement tenus, Honeck offre au public du festival un grand moment d’émotion qui vaut bien mieux que le défilé de stars auquel on réduit trop souvent l’été salzbourgeois.