Miscellanea Macionica : Que nous enseignent les « deux » Discours de Ramsay ?
Voici la question 102 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA » (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.
Miscellanea Macionica : Que nous enseignent les « deux » Discours de Ramsay ?
Il est aujourd’hui établi que le premier de ces discours fut effectivement prononcé en loge par Ramsay, orateur de la Loge de Saint-Jean (vraisemblablement Au Louis d’Argent), de Paris, à l’intention de jeunes initiés. Il est reconnu que le second, écrit pour être lu en assemblée de grande loge, fut en fait imprimé – en 1738, dans un recueil intitulé Lettres de M. de V*** avec plusieurs pièces de différents auteurs ; en 1741, dans l’Almanach des Cocus ou amusements pour le Beau Sexe ; en 1742, dans l’Histoire de la Confraternité des Francs-Maçons du frère La Tierce.
Un maçonnologue et historien maçonnique averti, Alain Bernheim, s’est longuement penché sur les deux Discours, pour établir les constats suivants :
• Le discours de 1736 comporte 2 090 mots, tandis que celui de 1737 en compte 2 587 ; soit une augmentation de 497 mots.
• 931 mots sont consacrés en 1736 aux qualités requises pour être franc-maçon ; 1 727 en 1737.
• Les Anciennes traditions de l’Ordre maçonnique requièrent 787 mots en 1736, mais n’en nécessitent que 116 en 1737.
• 372 mots servent en 1736 à relater la « véritable » Histoire de l’Ordre ; Il en faut 744 en 1737.
Bref, le chevalier de Ramsay, orateur de loge et grand orateur de Grande Loge, a rédigé successivement deux textes sur les mêmes sujets historiques et initiatiques d’un Ordre nouveau, auquel il a malencontreusement cherché à intéresser le pouvoir en place. Si son intervention en loge a bien eu lieu, celle qui était prévue en grande loge est demeurée à jamais virtuelle, le cardinal André Hercule de Fleury, ministre principal de Louis XV, s’étant soudain opposé à toute activité maçonnique.
Le premier Discours de Ramsay. – De l’intervention de l’orateur Ramsay, on retiendra que pour devenir membre de l’Ordre des Francs-Maçons, il faut présenter un certain nombre de qualités, savoir : la pratique de la philanthropie, le respect du secret inviolable et le goût des beaux-arts. Les Francs-Maçons ont leurs mystères qui remontent à la plus haute antiquité. Il en ressort :
• Nous voulons réunir tous les hommes d’un goût sublime et d’une humeur agréable par l’amour des beaux-arts, où l’ambition devient une vertu, où l’intérêt de la Confrérie est celui du genre humain entier, où toutes les nations peuvent puiser des connaissances solides, et où les sujets de tous les différents royaumes peuvent conspirer sans jalousie, vivre sans discorde, et se chérir mutuellement.
• Sans renoncer à leurs principes, nous bannissons de nos lois toutes disputes qui peuvent altérer la tranquillité de l’esprit, la douceur des mœurs, les sentiments tendres, la joie raisonnable, et cette harmonie parfaite qui ne se trouve que dans le retranchement de tous les excès indécents et de toutes les passions discordantes.
• Nos Loges ont été établies autrefois et se répandent aujourd’hui dans toutes les nations policées, et cependant dans une si nombreuse multitude d’hommes, jamais aucun confrère n’a trahi notre secret. Les esprits les plus légers, les plus indiscrets et les moins instruits à se taire apprennent cette grande Science aussitôt qu’ils entrent parmi nous : ils semblent alors se transformer et devenir des hommes nouveaux, également impénétrables et pénétrants.
Pour le chevalier de Ramsay, la Maçonnerie – qu’il qualifie de Science de l’Architecture – est aussi ancienne que le genre humain. Inspiré par le Grand Géomètre Architecte de l’Univers, Noé doit en être considéré comme le premier Grand Maître. Transmise aux hommes par Abraham, Joseph, Moïse, Salomon et Hiram-Abif, Grand Maître de la Loge de Tyr et premier martyr de l’Ordre, ladite science est parvenue à Cyrus qui a constitué Zorobabel Grand Maître de la Loge de Jérusalem. Du temps des guerres saintes, des princes et des seigneurs se sont unis aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem pour ramener l’Architecture à sa primitive institution ; depuis, les loges sont de Saint Jean. Suite au dépé- rissement des armées chrétiennes, les maçons de Palestine ont été menés en Angleterre par le grand Prince Édouard, fils du roi Henry III (?) ; où ils ont pris le nom de francs-maçons.
• Depuis ce temps la Grande-Bretagne est devenue le siège de la Science arcane, la conservatrice de nos dogmes et le dépositaire de tous nos secrets. Des îles britanniques l’antique Science commence à passer dans la France. La nation la plus spirituelle de l’Europe va devenir le centre de l’Ordre et répandra sur nos statuts les grâces, la délicatesse et le bon goût, qualités essentielles dans un Ordre dont la base est la sagesse, la force et la beauté du génie.
• C’est dans nos Loges à l’avenir que les français verront sans voyager, comme dans un tableau raccourci, les caractères de toutes les nations, et c’est ici que les étrangers apprendront par expérience que la France est la vraie patrie de tous les peuples.
Ouvrons ici une parenthèse, à propos de ce premier Discours de Ramsay. Son auteur y fait longuement état d’un « mystérieux Livre de Salomon » qui, perdu par les Israélites, lors de la destruction du second temple de Jérusalem, aurait été retrouvé au temps des croisades.
On déchiffra ce code sacré et sans pénétrer l’esprit sublime de toutes les figures hiéroglyphiques qui s’y trouvaient, on renouvela notre ancien Ordre dont Noé, Abraham, les patriarches, Moïse, Salomon et Cyrus avaient été les premiers grands-maîtres.
Le second Discours de Ramsay. – De prime abord, le second Discours du chevalier de Ramsay paraît n’être qu’une simple copie du premier ; commençant par la même formule, s’achevant par les mêmes mots. Sa structure est identique, portant successivement sur les qualités requises pour devenir Franc-Maçon, les traditions maçonniques et l’Histoire moderne de l’Ordre. Mais on y relève des considérations nouvelles, ainsi que divers ajouts, qui donnent au texte une orientation plus humaniste. A retenir notamment :
• Nos ancêtres, les croisés, rassemblés de toutes les parties de la Chrétienté dans la Terre Sainte, voulurent réunir ainsi dans une seule Confraternité les sujets de toutes les nations. Quelle obligation n’a-t-on pas à ces hommes supérieurs, qui sans intérêt grossier, sans écouter l’envie naturelle de dominer, ont imaginé un établissement dont le but unique est la réunion des esprits et des cœurs, pour les rendre meilleurs et former dans la suite des temps une nation spirituelle où, sans déroger aux divers pouvoirs que la différence des états exige, on créera un peuple nouveau, qui en tenant de plusieurs nations, les cimentera toutes en quelque sorte par les liens de la vertu et de la Science.
• La saine morale est la seconde disposition requise dans notre Société. Les Ordres religieux furent établis pour rendre les hommes chrétiens parfaits ; les Ordres militaires, pour inspirer l’amour de la belle gloire ; l’Ordre des Francs-Maçons fut institué pour former des hommes et des hommes aimables, des bons citoyens et des bons sujets, inviolables dans leurs promesses, fidèles adorateurs du Dieu de l’amitié, plus amateurs de la vertu que des récompenses.
Selon le chevalier de Ramsay, l’Ordre maçonnique est constitué de trois « espèces » de Confrères : des novices ou Apprentis, des compagnons ou Profès, des Maîtres ou Parfaits.
Nous expliquons aux premiers les vertus morales et philanthropes, aux seconds les vertus héroïques, aux derniers les vertus surhumaines et divines. De sorte que notre institut renferme toute la philosophie des sentiments, et toute la théologie du cœur.
Curieusement, au détour d’un paragraphe consacré aux vestiges de l’« ancienne religion » de Noé, l’orateur de grande loge aborde l’exclusion des femmes :
Ce n’est pas que nous soyons assez injustes pour regarder le sexe comme incapable de secret, mais c’est, parce que sa présence pourrait altérer insensiblement la pureté de nos maximes et de nos mœurs.
Si le sexe est banni, qu’il n’en ait point d’alarmes,
Ce n’est point un outrage à sa fidélité ;
Mais on craint que l’amour entrant avec ses charmes,
Ne produise l’oubli de la fraternité.
L’Histoire maçonnique du second discours s’enrichit de plusieurs digressions. On constate d’abord une insistance à faire de la Maçonnerie un Ordre moral « institué par nos ancêtres [les croisés] dans la terre sainte pour rappeler le souvenir des vérités les plus sublimes ». Apparaît également une expansion élargie de l’Ordre :
• Les rois, les princes et les seigneurs, en revenant de la Palestine dans leur pays, y établirent des Loges différentes. Du temps des dernières croisades on voit déjà plusieurs Loges érigées en Allemagne, en Italie, en Espagne, en France et de là en Écosse, à cause de l’intime alliance qu’il y eut alors entre ces deux nations.
• Jacques Lord, Stewart d’Écosse, fut Grand Maître d’une Loge établie à Kilwinning dans l’ouest d’Écosse en l’an 1286, peu de temps après la mort d’Alexandre III, roi d’Écosse.
Si dans son premier discours, le chevalier de Ramsay fait de l’Angleterre le siège de la « Science arcane », il reconnaît clairement dans le second l’Angleterre et l’Écosse comme conservatrices des lois et dépositaires des secrets maçonniques. Pour lui, toutefois, la France reste par ses loges « la vraie patrie de tous les peuples ». Souvenons-nous qu’il est écossais d’origine et français de cœur.
De l’avis de certains historiens, les discours de Ramsay seraient à l’origine de l’adoption, par l’Ordre maçonnique moderne, des grades chevaleresques ; pour d’autres encore, il constitueraient la source naturelle de l’Écossisme… Ce qui, à la lecture et à la relecture des deux textes, reste à prouver.
Nota – Il a été recensé près d’une dizaine de versions, imprimées au XVIIIe siècle, – comportant souvent quelques variantes – du second Discours de Ramsay. Il est à relever que dans son Histoire des Francs-Maçons, le frère La Tierce n’a pas hésité à attribuer celui-ci au « Grand Maître des Francs-Maçons de France », qui l’aurait prononcé lors d’une « grande loge, assemblée solennellement à Paris l’an de la Franc-Maçonnerie 5740 ».
• Voir : Ramsay et ses deux discours
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