Miscellanea Macionica : Quand l’Écossisme s’établit-il en terre papale ?
Voici la question 76 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA » (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.
Miscellanea Macionica : Quand l’Écossisme s’établit-il en terre papale ?
Par sa bulle In Eminenti, émise en 1738, le pape Clément XII (1652-1740) avait informé les catholiques romains du monde entier qu’un bruit public lui était parvenu de la création d’une « Société sous le nom de Francs-Maçons ou Liberi Muratori » qui, parmi ses travers, exigeait de ses membres de « prêter serment sur les saintes Écritures et garder un secret inviolable » sur tout ce qui se passait dans ses assemblées.
En conséquence de quoi, l’évêque de Rome, ayant mûrement réfléchi sur les grands maux devant en résulter, avait « très expressément » interdit à ses ouailles, qu’ils fussent laïques, clercs séculiers ou réguliers, de se faire francs-maçons « sous peine d’excommunication ». La bulle papale n’ayant pas été entérinée par le parlement de Paris ne fut pas imposée aux catholiques – gallicans – du royaume de France. Les croyants purent donc continuer à s’y faire, en toute impunité, membres de la Confrérie.
Dans les états pontificaux, par contre, la décision papale fut appliquée dans sa plus grande rigueur, du fait d’un édit complémentaire interdisant toute participation aux assemblées maçonniques « sous peine de mort et la confiscation des biens à encourir irrémissiblement sans espérance de grâce ». On vit ainsi, en l’année 1739, les Inquisiteurs généraux ordonner qu’un ouvrage intitulé : Relation apologique de la Société des Francs-Maçons fût « brûlé en public par la main du bourreau ».
En 1751, Benoît XIV (1675-1758) ne fit, par sa bulle Providas Romanorum, que confirmer les condamnations énoncées par son prédécesseur, avec toutefois un recours solennel « aux bras et secours des princes et puissances séculières » – sans, toujours, le moindre succès pour les catholiques de France. Mais, malgré les menaces et les dangers encourus, il devait y avoir dans les états pontificaux des francs-maçons ; et plus particulièrement en Avignon.
Dans son ouvrage Loges et chapitres de la Grande Loge de France et du Grand Orient de France, loges de Province, l’éminent maçonnologue que fut Alain Le Bihan a consacré une longue rubrique aux loges d’Avignon. Il en ressort que divers ateliers y ont existé, malgré le risque de poursuites et de persécutions : Saint-Jean (l’Ancienne), qui aurait été fondée dès 1736 par le marquis de Calvières, Saint-Jean de Jérusalem (1749), fille d’une loge de Montpellier, la Persévérance des Élus (1749), dont on ne sait qui la fonda.
En 1775, alors qu’elle venait d’être établie par des Constitutions émanant de la Mère Loge de Marseille, et qu’elle demandait à être reconnue par le Grand Orient de France, une Loge Saint-Jean d’Écosse se vit livrée à la vindicte d’un religieux jacobin, se disant Inquisiteur. Lettre du 3ème jour du 3ème mois de vraie Lumière 5775 : la loge d’Avignon fait part [à sa Mère-Loge de Marseille] de sa consternation occasionnée par les démarches odieuses du gouvernement qui a sévi contre elle et qui, ayant fait descente, a fait saisir généralement tout ce qui sert à nos mystères les plus sacrés.
La loge a retenti de la juste douleur qu’ont ressenti tous les frères, et le Vénérable Maître, autorisé de la Respectable Loge, a décidé que le frère S*** s’emploiera pour faire intercéder un de ses parents auprès de celui qui a osé diriger des mains profanes contre nos dignes frères de l’orient d’Avignon.
La Loge Saint-Jean d’Écosse adjoignit alors à son nom la mention « de la Vertu Persécutée », qu’elle assortit bientôt du titre de Mère Loge Écossaise d’Avignon, après avoir participé à la création, à Paris, par neuf de ses membres, d’une loge-fille : Saint-Jean d’Écosse du Contrat Social – dont nous aurons l’occasion de parler par ailleurs.
A noter que la Mère Loge d’Avignon ne fut pas étrangère au développement d’un « rite », venu, dit-on de la Mère Loge écossaise de Marseille : le Rite écossais. Dans la cité phocéenne, on pratiquait quatre degrés complémentaires ; ceux-ci furent de neuf en Avignon – dont les degrés de Vrai Maçon et de Rose-Croix philosophique.
Il n’est pas inutile de signaler encore, sans toutefois avoir à le développer, le succès que devait connaître en Avignon le mouvement des Illuminés, créé par Dom Antoine-Joseph Pernety (1716-1801) et qui, de 1782 à la Révolution française, intégra de nombreux maçons. C’est à Pernety que Thory a attribué, dans ses Acta Latomorum, l’invention du grade de Chevalier du Soleil, Prince Adepte ou Clef de la Maçonnerie.
Nous pourrions, après cet intermède avignonnais, évoquer les orients
• De Lyon, où Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) créa une Grande Loge Provinciale des Maîtres Lyonnais et dressa les plans de son Régime Rectifié ;
• De Metz, où le baron Théodore-Henri de Tschoudy (1727-1769), Commandeur de la Palestine et Grand Écossais d’Écosse de Saint-André, s’efforça d’imposer « les grades vrais, les seuls peut-être qui contiennent le développement de la Maçonnerie » ;
• D’Arras, où un Chapitre Primordial et Métropolitain s’évertua très longtemps à faire reconnaître l’authenticité d’une charte que lui aurait accordée, en 1745, le « prétendant » Charles Édouard alors qu’allant s’embarquer à Nantes celui-ci projetait de reconquérir les trônes d’Angleterre et d’Écosse perdus par son grand-père, Jacques II.
Mais le détour serait trop important ; contentons nous d’admettre qu’au terme de la première moitié du siècle des Lumières, l’Écossisme « symbolique » avait gagné toutes les provinces de France et pouvait aussi conquérir Paris.
• Voir : Les Acta Latomorum ou Chronique de l’Histoire de la Franche Maçonnerie (Claude Antoine Thory, 1825). Les Annales de la Franc-Maçonnerie : Ou Acta Latomorum (Guy Chassagnard, Éditions Alphée – J.-P. Bertrand, 2009).
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