Depuis le dimanche 05 janvier 2014, je vous invite à retrouver une rubrique régulière de Questions-Réponses intitulée « MISCELLANEA MACIONICA » (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.
Voici la Question 18 de la Série Miscellanea Macionica : Pourquoi la Loge maçonnique est-elle de saint Jean ? Mais de quel saint Jean ?
Il n’est pas, comme on va le constater, simple de répondre à la question. Ce que l’on peut toutefois dire d’emblée, pour tenter d’éclairer le lecteur, c’est que la mention de saint Jean est présente dans les « catéchismes » maçonniques dès le début du XVIIIe siècle ; on peut même le trouver dans des textes opératifs beaucoup plus anciens.
Ainsi Paul Naudon rappelle-t-il, dans un ouvrage précisément intitulé Les Loges de Saint-Jean, qu’à l’occasion de la Saint-Jean-Baptiste de l’année 1427 une grande assemblée de maçons se serait tenue à York, dans le nord de l’Angleterre, en vue de s’élever contre une décision du Parlement limitant leurs activités.
L’auteur indique aussi que le 27 décembre 1561, jour de la Saint-Jean-l’Évangéliste, a été marqué par une autre assemblée de la Confraternité des maçons, sous la présidence d’un certain Thomas Sackvill.
Il nous est par ailleurs loisible de rappeler que les Statuts Schaw, dont il sera par ailleurs fait état, ont été signés et promulgués par le Maître des travaux du roi Jacques VI d’Écosse, les 28 décembre 1598 et 1599, soit le lendemain de la Saint-Jean-l’Évangéliste. Il n’en demeure pas moins que le plus ancien texte liant clairement la Loge maçonnique à saint Jean est le Manuscrit Sloane, que l’on date de 1700. On y lit, en effet :
Question – Où avez-vous été fait maçon ?
Réponse – Dans une loge juste et parfaite, ou juste et légitime.
Q. – Où fut convoquée la première loge ?
R. – Dans la sainte chapelle de saint Jean.
Le frère interrogé donne une poignée de mains à son instructeur tout en déclarant :
— Frère Jean vous salue bien.
Rédigé une dizaine d’années plus tard, le Manuscrit Dumfries précise :
Question – Dans quelle loge avez-vous été reçu ?
Réponse – Dans la véritable Loge de saint Jean.
Autres précisions pouvant encore être apportées pour… rendre plus complexe la question posée :
– La célébration en juin 1717 de la Saint-Jean-Baptiste par quatre Loges londoniennes,
– La décision prise le jour de la Saint-Jean-Baptiste 1721 de faire rédiger par James Anderson un Livre des Constitutions,
– L’élection, le 24 juin 1738, de Louis Pardaillan de Gonfrin, duc d’Antin (1706-1743), Grand Maître Général et Perpétuel des Maçons dans le royaume de France.
La Loge de saint Jean est-elle « de saint Jean Baptiste » ou de « saint Jean l’Évangéliste » ? Soit du prophète qui a annoncé la venue du Messie, ou bien du disciple bien aimé de Jésus ? Selon ce rituel dit de Bonseigneur, utilisé à la fin du XVIIIe siècle sur l’île de Saint-Domingue, on ne saurait avoir de doute :
Demande – A qui est dédiée votre Loge ?
Réponse – A saint Jean.
D. – Pourquoi ?
R. – Parce que saint Jean était le premier précurseur de la Lumière de la Foi, par le baptême du Seigneur, il a été choisi pour Patron.
Mais si saint Jean était, en définitive, un autre saint, soit par exemple saint Jean de Jérusalem dit L’Aumônier, comme l’ont cru certains. Relisons Le Manuel du Franc-Maçon, d’Étienne-François Bazot (1812)o:
Les Maçons célèbrent, par obligation, les deux fêtes de saint Jean ; celle d’été qui arrive le 24 juin, et celle d’hiver qui a lieu le 27 décembre. Il est évident que ces deux fêtes ne sont autres que la célébration des fêtes solsticiales…
Quant au saint Jean que les Maçons ont pris pour patron, ce ne peut être ni Jean Baptiste, ni Jean l’Évangéliste qui n’ont, ni l’un ni l’autre, aucun rapport avec l’institution philanthropique de la Franche Maçonnerie.
On doit penser, avec les frères les plus philosophes et les plus éclairés, que le vrai patron des Loges est saint Jean l’Aumônier, fils du roi de Chypre, qui, au temps des croisades, abandonna sa patrie et l’espoir d’un trône, pour aller à Jérusalem prodiguer « les secours les plus généreux aux pèlerins et aux chevaliers ».
Il sera pardonné à Étienne-François Bazot d’avoir mêlé, dans sa réflexion, le patriarche d’Alexandrie (mort vers 619) avec Gérard Tenque, fondateur (vers 1080) d’une « Hostellerie » en Terre-Sainte et d’un ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem .
Déjà en 1745, l’auteur anonyme du Sceau Rompu avait intégré, dans son Catéchisme des Apprentis, les demandes et réponses suivantes :
D. – A qui était dédiée votre Loge.
R. – A saint Jean.
D. - Pourquoi ?
R. – C’est que du temps des guerres saintes dans la Palestine, les Chevaliers Maçons se réunirent aux Chevaliers de saint Jean de Jérusalem.
Nous regretterons, pour notre part, que deux siècles après la publication du Manuel de Bazot, on ne puisse toujours pas départager les différents « saint Jean » de la Loge maçonnique – que l’on associe encore à Janus, la divinité aux deux visages.
S’il faut se prononcer, toutefois, malgré les incertitudes existantes, sur la personnalité du saint Jean de la Loge maçonnique, le bon sens porte en fin de compte l’incertain vers l’Évangéliste ; car si celui-ci n’était pas le saint patron des francs-maçons, pourquoi son Évangile figurerait-il sur l’autel des serments de la majeure partie des Loges maçonniques ?
– Pour en savoir plus, consulter : Le Sceau rompu (1745). Le Manuel du Franc-Maçon (Étienne-François Bazot, 1812). Les Loges de saint-Jean (Paul Naudon, Dervy, 1974). Les Anciens Devoirs (Guy Chassagnard, Éditions Pascal Galodé, 2014).
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