Miscellanea Macionica : Pourquoi la Loge « Les Neuf Sœurs » a-t-elle failli porter un autre nom ?
Voici la question 78 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA » (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.
Miscellanea Macionica : Pourquoi la Loge « Les Neuf Sœurs » a-t-elle failli porter un autre nom ?
En 1776, le Grand Orient de France, fondé trois ans plus tôt à partir d’une Grande Loge de France, elle-même constituée en 1728, compte 198 loges dont 35 à Paris. C’est alors que l’abbé Cordier de Saint-Firmin (1743-1826) dépose au Grand Netori, siège de l’Ordre maçonnique, une demande de constitution pour un nouvel atelier auquel il souhaite donner le titre distinctif Les Neuf Sœurs. Les membres de la Chambre de Paris ergotent et tergiversent avant de se prononcer, de façon négative, pour la création d’un atelier honorant les neuf filles de Zeus et de Mnémosyne.
Le titre des Neuf Sœurs, lit-on dans le registre de ses délibérations, étant composé de deux mots dont le dernier porte l’acception de la qualification donnée aux francs-maçonnes, la Chambre déclare que cette acception est un obstacle à ce qu’une Loge de Maçons prenne ce titre.
D’où la rédaction, par Nicolas Bricaire de la Dixmerie, autre membre de la loge en voie de création, d’un Mémoire justificatif soulignant que dans Les Neuf Soeurs, il ne saurait être question de dissocier les mots « Neuf » et « Sœurs » – ce qui reviendrait à créer deux champs sémantiques dont l’un pourrait se rapporter aux loges d’adoption –, que l’article qui les précède rend effectivement indissociables pour en faire un titre particulier honorant ces « neuf filles savantes » qui, de l’avis de MM. Condorcet et d’Alembert « ordonnaient autrefois les cités, gouvernaient les états, et vivaient dans les palais des rois ».
L’expression des Neuf Sœurs n’étant que l’équivalent d’un seul mot, ce mot, synonyme à Muses, n’a qu’une valeur allégorique qui éloigne toute idée relative au mot Sœurs et au mot Neuf isolément pris.
En prononçant Les Neuf Sœurs, on se figurera toujours l’union parfaite des arts et non point des femmes vouées à la domesticité d’un couvent ou des Dames se jouant avec des truelles dans les bosquets d’Éden.
C’est finalement avec l’autorisation du Grand Orient de France et placée sous les auspices des muses antiques que la nouvelle loge ouvre ses travaux en juillet 1776. Son premier vénérable maître est l’astronome Joseph Jérôme Lefrançois de Lalande (1732-1807). Parmi ses membres les plus connus figurent ou figureront : Benjamin Franklin (physicien, vénérable maître en 1779 et en 1780), Jean Sylvain Bailly (mathématicien), Georges Jacques Danton (avocat), Camille Desmoulins (avocat), Jean-Baptiste Greuze (peintre), Joseph Ignace Guillotin (médecin), Jean-Antoine Houdon (sculpteur), Bernard Germain de Lacépède (naturaliste), Pascal Paoli (homme politique) ; sans oublier François Marie Arouet, dit Voltaire, initié en mars 1778, à l’âge de 83 ans, moins de huit semaines avant sa mort. L’appartenance du marquis de La Fayette, quant à elle, à cette loge n’a jamais été établie.
L’esprit des Neuf Sœurs, que dirige un collège des officiers fort de vingt-cinq membres – dont trois orateurs et deux maîtres de musique –, s’exprime par son Règlement intérieur, l’un des premiers qui soient imprimés, dans lequel on lit la promesse du candidat :
– Ne jamais rien dire, écrire ou faire en loge contre la religion, contre les mœurs, et contre l’état.
– Être toujours prêt à voler au secours de l’humanité.
– Ne jamais révéler les secrets les secret qu’on lui confiera.
– Observer inviolablement les statuts et les règlements de la loge, faire tous ses efforts pour concourir à sa gloire et à sa prospérité.
Avant d’admettre un profane, la loge nomme trois commissaires enquêteurs qui seront ses garants, avec le présentateur. Le scrutin d’admission est fait à l’aide de boules noires et blanches (trois boules noires assurant le rejet de la candidature). Le profane doit s’engager à produire en loge un chef d’œuvre ressortissant de sa spécialité dans les arts, les sciences ou les lettres qu’il pratique.
La Loge Les Neuf Sœurs s’est fixée un devoir de solidarité à l’égard des frères mais aussi de la société. C’est pourquoi elle adresse, chaque année, à un collège de Paris une somme destinée à être distribuée parmi « les étudiants les plus démunis et les plus méritants ». Elle subvient également à l’éducation de trois enfants pauvres, qu’elle place à ses frais en apprentissage. En 1783, plusieurs de ses membres, proches du droit et de la justice, interviennent dans une affaire de violences impliquant trois hommes condamnés au supplice de la roue. L’affaire se terminera par un acquittement général. En 1790, un autre de ses membres, Claude Emmanuel Joseph Pierre, marquis de Pastoret, publie un ouvrage relatif aux lois pénales, qui amènera l’assemblée constituante à réorganiser la police et la justice, et l’assemblée législative à adopter un code pénal.
Devenue « Société nationale » en 1790, tenant des réunions publiques à caractère essentiellement culturel et littéraire, la Loge Les Neuf Sœurs se reconstitue en 1805 sous la gouvernance de l’ancien avocat Médéric Louis Élie Moreau de Saint-Méry ; elle compte alors plus d’une centaine de membres. Vingt ans plus tard, cependant, faute d’avoir retrouvé son lustre d’antan, elle fusionne avec la Loge Saint-Louis de France ; avant de disparaître à la fin de la seconde République.
• Voir : Pourquoi Les Neuf Sœurs ? (Charles Porset, Renaissance Traditionnelle n°131, 2002). Une Loge maçonnique d’avant 1789 – La Loge Les Neuf Sœurs (Louis Amiable, 1897).
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