Miscellanea Macionica : Pourquoi des Colonnes et des Colonnettes dans le temple ?
Voici la question 79 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA » (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.
Miscellanea Macionica : Pourquoi des Colonnes et des Colonnettes dans le temple ?
En 1776,Dans le temple maçonnique de Rite français sont dressées deux colonnes [1] ayant pour noms, la première à gauche de l’entrée : Jakin ; la seconde à droite : Boaz. Il s’agit là des deux colonnes qu’Hiram Abif, fondeur de son état, et fils d’une veuve de Nephthali, a placé, sur ordre du roi Salomon, à l’entrée du temple de Jérusalem ; selon le premier Livre des Rois et le second Livre des Chroniques.
Le temple de Rite écossais ancien et accepté compte cinq colonnes (les colonnes Jakin et Boaz étant ici inversées) ; aux deux précédentes, s’ajoutent la colonne Sagesse pour le Vénérable Maître, la colonne Force pour le Premier Surveillant, et la colonne Beauté pour le Second Surveillant.
Le temple de Rite écossais rectifié comporte également cinq colonnes. Jakin est à gauche en entrant dans le temple, comme au Rite français ; Boaz à droite. Au centre du temple se dressent les colonnes Sagesse, Force et Beauté ; la Sagesse pour inventer, la Force pour exécuter et la Beauté pour orner.
A l’ouverture, le Premier Surveillant lève sa colonnette, le Second Surveillant abaisse la sienne. A la fermeture, le Premier Surveillant, couche sa colonnette, le Second Surveillant redresse la sienne. Curieusement, le rituel ne fournit aucune explication sur cette pratique d’abaissement et de relèvement des colonnettes ; comme il reste muet sur la raison qui a conduit à transformer les colonnes du temple de Salomon en colonnettes. Tout ce que l’on peut dire, en se référant à la tradition, c’est que la pratique des colonnettes a été officiellement et solennellement adoptée le 28 janvier 1810 en Loge de Promulgation lors de l’union des « Anciens » et des « Modernes ».
Pour tenter de mieux appréhender le « problème » des colonnes et des colonnettes et comprendre leur présence dans le temple maçonnique, il faut, n’en doutons pas, faire un retour vers les temps reculés des Anciens Devoirs. Il est raconté dans le Manuscrit Cooke, datant de 1410, que Jabal, Jubal, Tubal-Caïn et Naama, les enfants de Lameth, ayant appris que Dieu prévoyait de détruire l’espèce humaine, entreprirent d’écrire toutes les sciences dont ils étaient détenteurs sur deux colonnes, l’une de marbre qui ne pouvait brûler et l’autre de pierre qui ne pouvait couler. Et pendant près de deux siècles, les « colonnes de la connaissance » ont figuré dans tous les documents de la Maçonnerie opérative anglaise ; à seule fin, peut-on penser, de faire remonter les origines du Métier aux temps les plus anciens – Jabal étant connu comme l’inventeur de la Géométrie et de la Maçonnerie.
Si la construction du temple de Salomon est mentionnée dans le Manuscrit Cooke, il faut se reporter au Manuscrit Inigo Jones, de 1607, pour voir apparaître Hiram Abif – « Il était Maître en Géométrie et le meilleur de tous les maçons, sculpteurs, graveurs et ouvriers du cuivre et de tous les autres métaux employés pour le temple. » Le Manuscrit des Archives d’Édimbourg, datant de 1696, fait état du porche du temple et présente trois lumières que l’on retrouvera plus tard portées par des colonnes :
Question. – Où se tient votre Loge ?
Réponse. – D’est en ouest, comme le Temple de Jérusalem.
Q. – Où s’est tenue la première Loge ?
R. – Dans le porche du Temple de Salomon.
Q. – Y a-t-il des lumières dans votre Loge ?
R. – Oui, trois : au nord-est, au sud-ouest, et au passage de l’est. La première désigne le Maître Maçon, la seconde le Surveillant, la troisième le Compagnon de pose. [3]
Si le Manuscrit d’Édimbourg sous-entend que le Mot de Maçon est constitué des noms des colonnes du temple de Salomon (Jakin et Boaz), il faut attendre la publication de la Maçonnerie disséquée de Samuel Prichard, en 1730, pour être pleinement informé sur la construction de l’édifice, l’usage de ses colonnes ainsi que sur la légende d’Hiram dans sa globalité. Précurseur de la Franc-Maçonnerie moderne, James Anderson n’a fait dans son Livre des Constitutions, paru en 1723, que compter les colonnes (1 453) et les fenêtres (2 246) du temple…
En 1730, le Métier compte trois grades et fixe les règles d’un Ordre spéculatif qui vient de naître. Questions posées à l’Apprenti :
Q. – Qu’est-ce qui soutient une Loge ?
R. – Trois grandes colonnes.
Q. – Comment s’appellent-elles ?
R. – Sagesse, Force et Beauté.
Q. – Pourquoi cela ?
R. – La Sagesse pour inventer, la Force pour soutenir, et la Beauté pour orner.
Questions posées au Compagnon :
Q. – Avez-vous déjà travaillé ?
R. – Oui, à la construction du Temple.
Q. – Où avez-vous reçu votre salaire ?
R. – Dans la Chambre du Milieu.
Q. – Comment êtes-vous parvenu à la Chambre du Milieu ?
R. – Par le porche.
Q. – Qu’avez-vous vu en passant sous le porche ?
R. – Deux grandes colonnes.
Q. – Comment s’appellent-elles ?
R. – J. B, c’est-à-dire Jachin et Boaz (Voir I Rois chap. 7).
Questions posées au Maître maçon :
Q. – Où allez-vous ?
R. – Vers l’ouest.
Q. – Qu’allez-vous y faire ?
R. – Y chercher ce qui avait été perdu et qui est maintenant retrouvé.
Q. – Qu’est-ce qui avait été perdu et qui a été retrouvé ?
R. – Le Mot de Maître Maçon.
Q. – Comment fut-il perdu ?
R. – Par trois grands coups, ou la mort de Maître Hiram.
A ce point de la réflexion, les données du problème que nous avons souhaité résoudre sont presque toutes apparentes. Reste à déterminer la place des colonnes dans le temple maçonnique. Elle intervient peu après la publication du livre de Samuel Prichard. Il faut en la matière se souvenir du lieu de réunion des loges au début du XVIIIe siècle : le plus souvent dans une salle de taverne, avec l’usage d’un tableau de loge d’abord dessiné à la craie ou au charbon de bois, puis constitué d’un panneau peint ; sur ce tableau figurent divers symboles, dont les colonnes du temple.
Les plateaux des trois premiers officiers de la loge sont garnis d’une lumière qui sera bientôt placées sur les colonnes de la Sagesse, de la Force et de la Beauté. Quant aux colonnettes des Surveillants [4], il faut pour les trouver attendre la publication, à Londres en 1760, des Trois Coups Distincts (The Three Distinct Knocks). Il y est précisé que les premier et second Surveillants ont chacun une colonne d’environ vingt pouces de long à la main. qui représentent les deux colonnes du Temple de Salomon, Boaz et Jachin. Lorsque le Maître de la loge exprime sa volonté et son plaisir d’appeler les frères au travail le premier dresse sa colonnette (Boaz) [5], le second couche la sienne (Jachin) ; à la fin des travaux, quand arrive le temps des agapes, le premier Surveillant couche sa colonnette, le second redresse la sienne. En 1810, la Loge de Promulgation prend acte de la présence de colonnettes sur les plateaux des Surveillants.
A cette dernière date, les décors sont définitivement posés ; les acteurs sont en place pour jouer leur rôle. Même si les modes d’emploi se trouvent momentanément ou définitivement égarés… La conclusion du problème est évidente. On a, dans le métier de maçon opératif, institué en symboles les colonnes de la connaissance que l’on a ensuite remplacées dans la légende et dans le mythe par les colonnes d’Hiram, le fondeur. On a, par la suite, dressé ces mêmes colonnes à l’entrée du temple maçonnique spéculatif, tandis que l’on installait à l’intérieur les trois colonnes de la Sagesse, de la Force et de la Beauté ; sur lesquelles on a finalement placé les « lumières » du vénérable maître et des deux surveillants. Deux colonnes à l’entrée, et/ou deux colonnettes, trois colonnes au centre. Le compte est bon. C.Q.F.D.
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Nota – 1. – Petite leçon d’architecture : une colonne est un élément cylindrique vertical soutenant souvent un entablement ; une colonnette est une petite colonne ; un pilastre est un support cylindrique ou carré encastré dans un mur ; un pilier est un support circulaire ou non soutenant un élément de maçonnerie ; un balustre est une colonnette de forme renflée, généralement assemblée à d’autres colonnettes.
2. – Seule explication pouvant être exprimée pour ce qui est des globes : le céleste dirige le franc-maçon vers le spirituel au début des travaux, le terrestre le ramène au matériel et au profane en fin de tenue.
3. – Il n’existe alors que deux grades, ceux d’Apprenti et de Compagnon – de pose ou de métier selon les textes.
4. – Dans les loges modernes du Rite émulation, les colonnes J et B qui se trouvaient jadis à l’occident du temple ont souvent disparu, au seul profit des colonnettes des Surveillants. Il en est de même pour ce qui est du Rite d’York ou américain.
5. – Selon les Trois Coups Distincts (1760) la colonne du Premier Surveillant se nomme Boaz ; elle est de nos jours Jachin (Jakin).
• Voir : Freemasons’ Guide and Compendium (Bernard E. Jones, 1950). The Freemason at Work (Harry Carr, Lewis Publications, 1976). Les Anciens Devoirs (Guy Chassagnard, Éditions Pascal Galodé, 2014).
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