Depuis le dimanche 05 janvier 2014, je vous invite à retrouver une rubrique régulière de Questions-Réponses intitulée « MISCELLANEA MACIONICA » (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard.
Guy Chassagnard est un ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.
Voici la Question 5 de la Série Miscellanea Macionica.
QUESTION N° 05 : « Mais qui était donc Antoine Lacorne, maître à danser de son état ? »
Le Maître à danser Antoine (ou Jacques ?) Lacorne n’a pas laissé dans l’Histoire des souvenirs impérissables et valorisants pour ce qui concerne sa vie et sa personnalité. On ne se souvient, le plus souvent, que d’un seul fait le concernant, son action de Substitut particulier au grand maître, le comte de Clermont, source des premières dissenssions qui marquèrent la Franc-Maçonnerie française du XVIIIe siècle.
Élu grand maître de la Grande Loge de France en 1743, à la mort du duc d’Antin, Louis de Bourbon Condé, comte de Clermont, petit-fils de Louis XIV et de Mme de Montespan, eut d’abord pour substitut, c’est-à-dire administrateur, le banquier allemand Christophe-Jean Baur ; bientôt discrédité par ses activités et malversations financières profanes.
Fut alors désigné (vers 1758) à la fonction un certain Lacorne, qui exerçait la profession de maître à danser dans l’une des trois académies parisiennes ayant pour but d’assurer l’éducation des jeunes gentilhommes. Celui-ci était depuis 1754 vénérable maître de la Loge de la Sainte-Trinité.
On le disait « aimable, habile en son art et autres domaines, doué d’un entregent facile ».
Lacorne habitait rue de Sèvres, près du couvent des filles de Saint-Thomas, et était voisin d’un certain Leduc, concierge du palais du Luxembourg, mais surtout père d’une jeune demoiselle qui, après avoir fait les délices du comte de Clermont, serait un jour Marquise de Tourvoye. D’où l’entrée de Lacorne dans le cercle fermé des protégés du comte.
Les nobles et notables de la Franc-Maçonnerie parisienne durent donc répondre aux convocations et aux injonctions du substitut Lacorne ; ce qui ne manqua pas d’en chagriner certains, d’autant qu’arrivèrent, semble-t-il, dans les loges une multitude de commerçants et d’artisans aux habitudes communes et ordinaires. Bref, des courants divergents de condition et de pensée se créèrent au sein de l’ordre maçonnique, avec d’un côté des maçons de bien et de l’autre des roturiers, avec d’un côté des hommes portant naturellement l’épée et le cordon, et de l’autre des hommes aspirant sans retenue à l’égalité des classes.
Le substitut Lacorne n’exerçant sa fonction maçonnique que pendant peu de temps (il devait mourir en 1762), on pourrait penser que la discorde eut disparu dès ses obsèques. Il ne devait en être rien puisque les affrontements entre Lacornards et Anti Lacornards conduisirent dix ans plus tard à l’existence de deux ordres maçonniques rivaux : la Grande Loge (maintenue) et le Grand Orient de France. Chacun a souvenance que l’une des causes majeures de la scission fut alors le maintien à vie du vénéralat.
La relation de la vie de Lacorne, si pauvre en faits précis, pourrait s’arrêter là, si celle-ci ne faisait pas depuis deux siècles le lit à l’interprétation. Qualifié souvent de pourvoyeur attitré du comte de Clermont en jeunes filles et en plaisirs, Lacorne a fait l’objet d’appréciations contradictoires. Qu’on en juge :
• Claude-Antoine Thory (1815) – « Il contribua à renverser la Grande Loge et favorisa l’usurpation du Grand Orient de France. »
• Emmanuel Rebold (1864) – « Il choisit ses officiers suivant son caprice ; c’étaient des hommes sans talent qui déplaisaient au plus grand nombre. »
• Achille-Godefroy Jouaust (1865) – « On peut douter que l’influence du frère Lacorne ait été aussi pernicieuse qu’on le prétend, parce qu’elle fut de trop courte durée. »
• René Philippon (1899) – « Les partisans de Lacorne étaient de fort honnêtes hommes dont les pièces officielles constatent l’honneur civique et maçonnique. »
• Albert Lantoine (1925) – « Désigné pour […] remplacer [Baur, il] ne paraît pas avoir eu le prestige nécessaire pour imposer son autorité […]. Il était effectivement très difficile de rencontrer autant d’ineptie, jointe à la débauche la plus effrénée. »
• Alain Le Bihan (1973) – « Reconnaissons en savoir trop peu pour réhabiliter l’homme […] mais aussi en savoir assez pour ne pas suivre aveuglément l’histoire traditionnelle. »
•• Pour complément d’information, voir : Diagonales de la Danse, d’Olivier Marmin (L’Harmattan, 1997), et Les Maîtres de Loge parisiens au XVIIIe siècle, de Thierry Boudignon (Renaissance Traditionnelle n°122, 2000).
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