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Miscellanea Macionica : Est-il bien séant de rendre hommage à Henry Andrew Francken?

Miscellanea Macionica :  Est-il bien séant de rendre hommage à Henry Andrew Francken ?

Voici la question 66 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA »  (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.

Miscellanea Macionica :  Est-il bien séant de rendre hommage à Henry Andrew Francken?

Étienne Morin (1717-1771) et Henry Andrew Francken (1720-1795) sont, pour nous, deux maillons importants du passage des Loges Écossaises aux ateliers de hauts grades de l’ac­tuel Rite écossais ancien et accepté. Mais deux personnages que l’on a du mal cependant à identifier. On ignore tout de la vie profane d’Étienne Morin. On se plaît seulement à dire qu’il laissa en héritage un violoncelle… Pour ce qui est de Henry Andrew Francken, son disciple et collaborateur, l’informa­tion est inversée : on sait ce qu’il fut civilement, on ignore dans une large mesure ce qu’il fit de sa vie maçonnique.

Pourquoi manifesta-t-il tant d’in­térêt pour les gra­des écossais ? Pourquoi entreprit-il de trans­crire les rituels de l’Ordre des Souverains Princes du Royal Secret à deux reprises (en 1771 et en 1783) ? En quelles circonstances s’en alla-t-il, un jour, implanter l’Écossisme en terre coloniale américaine ? On ne le sait pas. Mais parlons quand même un peu de celui que l’on a pu qualifier de « hollandais fidèle ». Celui-ci débarqua, semble-t-il, à King­ston en février 1757, alors qu’il était âgé de trente sept ans. Il arrivait tout droit de sa Hollande natale. Sa date et son lieu de naissance ainsi que les raisons de son expatriation ne nous sont pas con­nus. Sa vie à la Jamaïque nous est cependant rapportée par les multiples « pétitions » qu’il eut à présenter aux au­torités de l’île pour pouvoir subvenir à ses besoins ma­té­riels .

Ainsi obtint-il dans un premier temps d’occuper les fonctions d’expert, de lieutenant de police et d’huissier auprès de la Cour de la Vice-Amirauté. Il lui appartenait de précéder solennellement le juge emperruqué, en portant la masse de la justice. Dans le cadre de ses activités policières, il eut à se rendre, un jour, à Montego Bay pour y prendre en charge sept pirates qui firent l’ob­jet d’un procès retentissant. En 1764, Francken perdit sa première épouse (il devait se remarier), répondant au prénom d’Elizabeth, qui lui avait donné un garçon et une fille. En 1765, l’honorable Henry Morre, lieutenant gouverneur de la Jamaïque, qui devait être plus tard gouverneur de New York, le nomma interprète judiciaire. Il lui fut également alloué une somme de onze livres sterling, 17 shillings et 6 pence pour traduire en anglais plusieurs documents hollandais.

Henry Andrew Francken avait déjà fait – en 1763 – la con­nais­sance d’Étienne Morin, lors d’une visite de celui-ci à King­ston, et été constitué alors Député Inspecteur Général de la Ma­çon­nerie de Per­­­fection. On remarquera, à ce propos, qu’aucun document existant ne té­moi­gne de ses activités maçonniques du moment. De même, aucun écrit ne permet de connaître la raison de son dé­part pour le continent américain, survenu en 1766 – ou plus vraisemblablement l’année suivante. Affaires maçonniques, professionnelles ou familiales ? Nous n’en savons rien. Ce que l’on sait seulement c’est que son voyage vers l’an­cienne co­lonie hollandaise de Nieuw Nederland (de­venue co­lo­nie de New York) du­ra deux an­nées au moins.

Il est à remarquer encore que lors de l’installation définitive d’É­tienne Mo­rin à Kingston, son dis­ciple et héritier maçonnique était déjà par­ti en voyage, ou s’apprêtait à le faire. En 1769, Henry Andrew Francken était de retour à King­ston, c’est ce que prouve un rôle d’imposition ; on le trouve alors lo­cataire d’une maison bourgeoise. L’an­née suivante, il démissionnait de ses fonctions de lieutenant de police, ayant probablement obtenu des autorités locales des fonc­­­­­tions plus rémunératrices.

Le recours à une pétition datée de 1791 est utile pour dépeindre les dernières années de la vie de Franc­ken. Celle-ci montre un sujet loyal, tout dévoué à la couronne ; naturalisé anglais dès 1758, n’avait-il pas alors révélé aux autorités locales les noms des ennemis de Sa Majesté… Mais, sa si­tuation personnelle s’était depuis fort aggravée ; pour subvenir aux besoins de sa fille et couvrir ses propres dettes, il avait dû se résoudre à ven­dre une par­tie de son argen­terie et de ses meu­bles. Inspecteur des doua­nes, avec un salaire de 150 livres par an, il avait même vu son poste supprimé. Il est vrai que Francken pouvait se féliciter d’avoir ajouté, en 1782, à ses fonctions d’interprète, celles de maître des divertissements du Théâtre de Kingston, pour une rétribution annuelle de cent guinées – et une place réservée sur la scène…

Mais notre dé­voué fonctionnaire se faisait vieux et souffrait de diverses « in­firmi­tés » ; surtout, il redoutait d’avoir à dépendre de la charité de sa paroisse après s’être séparé de ses deux esclaves noirs. Le major-général Adam Williams, lieutenant-gouverneur de la Ja­maï­que, se montra donc compatissant et Francken fut nommé juge assistant de la Cour des affaires communes de Port-Royal.

En 1793, notre hollandais « indigent » retrouvait même sa fonction de maître des divertissements qu’on lui avait un temps retirée ; en 1795, enfin, quel­ques mois avant sa mort, il était encore nom­mé commissaire à la Cour suprême de Kingston. D’où une fin de vie apparemment con­fortable. Henry Andrew Francken mourut le 20 mai 1795, laissant en­tre autres choses, à son fils Parker sa montre en or et son sceau, et à sa petite fille Elizabeth un plat d’argent – et exigeant pour ses obsèques à être enterré dans ses vêtements ordinaires, sans passer par l’église. La Franc-Maçonnerie écossaise avait déjà bénéficié des vingt-deux rituels de hauts grades dont il avait achevé la rédaction quinze ans plus tôt.

Pour être clair, c’est à Étienne Morin, cet illustre inconnu, que l’on doit d’avoir ordonné les différents grades menant de la Perfection (4e au 14e degré) au Royal Secret (15e au 25e). C’est à un autre inconnu, encore moins connu que le précédent, mais tout aussi méritant, que revint la tâche de transcrire leurs rituels et de les porter dans les colonies américaines.

• Voir : History of the Supreme Council of the 33° degree (Samuel H. Baynard, 1938). Henry Andrew Francken (American Lodge of Research, 1938). Le Rite de Perfection (Claude Guérillot, Trédaniel, 1993). Aux Sources du Rite écossais ancien et accepté (Guy Chassagnard, Éditions Alphée – J.-P. Bertrand, 2008).

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