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Miscellanea Macionica : Comment s est déroulée l Initiation du Frère Voltaire ?

Miscellanea Macionica : Comment s’est déroulée l’Initiation du Frère Voltaire  ?

Voici la question 97 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA »  (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.

Miscellanea Macionica : Comment s’est déroulée l’Initiation du Frère Voltaire  ?

Nul ne saurait présenter en quelques lignes le Frère Voltaire, alias François-Marie Arouet (1694-1778), écrivain, philosophe et défenseur irréductible de la liberté de croire et de penser. Sa réputation a survécu au temps et aux générations. Mais qui pourrait rapporter comment le seigneur de Ferney est devenu franc-maçon, lui qui savait être l’homme le plus raciste qui fût pour ce qui concernait les juifs… Voltaire a été franc-maçon pendant cinquante-quatre jours ; ce fait mérite bien d’être rapporté.

Nous sommes au début de l’année 1783 ; atteint d’un cancer de la prostate, qui le ronge, Voltaire quitte sa résidence suisse pour s’installer à Paris chez son ami le marquis de Villette.

Le 30 mars, il est accueilli au sein de l’honorable Académie française.Le 7 avril, en dépit de d’un état de santé défaillant, il est initié franc-maçon par la loge parisienne des Neuf Sœurs. La cérémonie d’initiation nous est rapportée dans le registre de l’atelier parisien :

Le frère abbé Cordier de Saint-Firmin a annoncé à la Loge qu’il avait la faveur de présenter, pour être un apprenti maçon, M. de Voltaire. Il a dit qu’une assemblée aussi littéraire que maçonnique devait être flattée du désir que témoignait l’homme le plus célèbre de la France, et qu’elle aurait infailliblement égard, dans cette réception, au grand âge et à la faible santé de cet illustre néophyte.

Le vénérable frère [Joseph Jérôme Lefrançois] de Lalande a recueilli les avis du très respectable frère Bacon de la Chevalerie, grand orateur du Grand Orient, et celui de tous les frères de la loge, lesquels avis ont été conformes à la demande faite par le frère abbé Cordier. Il a choisi le très respectable frère comte de Strogonoff, les frères Cailhava, le président Meslay, Mercier, le marquis de Lort, Brinon, l’abbé Remy, Fabrony et Dufresne, pour aller recevoir et préparer le candidat. Celui-ci a été introduit par le frère chevalier de Villars, maître des cérémonies de la loge ; et l’instant où il venait de prêter l’obligation a été annoncé par les frères des colonnes d’Euterpe, de Terpsichore et d’Erato, qui ont exécuté le premier morceau de la troisième symphonie à grand orchestre de Guenin.

Le frère Capperon menait l’orchestre ; le frère Chic, premier violon de l’électeur de Mayence, était à la tête des seconds violons ; les frères Salantin, Caravoglio, Olivet, Balza, Lurschmidt, etc., se sont empressés d’exprimer l’allégresse générale de la loge en déployant leurs talents si connus dans le public, et particulièrement dans la respectable loge des Neuf-Sœurs.

Après avoir reçu les signes, paroles et attouchements, le frère de Voltaire a été placé à l’Orient, à côté du vénérable. Un des frères de la colonne de Melpomène lui a mis sur la tête une couronne de laurier qu’il s’est hâté de déposer. Le vénérable lui a ceint la tablier du frère Helvétius, que la veuve de cet illustre philosophe a fait passer à la loge des Neuf-Sœurs, ainsi que les bijoux maçonniques dont il faisait usage en loge, et le frère de Voltaire a voulu baiser ce tablier avant de le recevoir. En recevant les gants de femme, il a dit au frère marquis de Villette : « Puis­qu’ils supposent un attachement honnête, tendre et mérité, je vous prie de les présenter à Belle et Bonne. »

Alors, le vénérable frère de Lalande a pris la parole, et a dit :

Très cher Frère, l’époque la plus flatteuse pour cette loge sera désormais marquée par le jour de votre adoption. Il fallait un Apollon à la Loge des Neuf-Sœurs, elle le trouve dans un ami de l’humanité, qui réunit tous les titres de gloire qu’elle pouvait désirer pour l’ornement de la maçonnerie. Un roi, dont vous êtes l’ami depuis longtemps, et qui s’est fait connaître pour le plus illustre protecteur de notre Ordre, avait dû vous inspirer le goût d’y entrer ; mais c’était à votre patrie que vous réserviez la satisfaction de vous initier à nos mystères. Après avoir entendu les applaudissements et les alarmes de la nation, après avoir vu son enthousiasme et son ivresse, vous venez recevoir, dans le temple de l’amitié, de la vertu et des lettres, une couronne moins brillante, mais également flatteuse et pour le cœur et pour l’esprit. L’émulation, que votre présence doit y répandre, en donnant un nouvel éclat et une nouvelle activité à notre loge, tournera au profit des pauvres qu’elle soulage, des études qu’elle encourage, et de tout le bien qu’elle ne cesse de faire.

Quel citoyen a mieux que vous servi la patrie en l’éclairant sur ses devoirs et sur ses véritables intérêts, en rendant le fanatisme odieux et la superstition ridicule, en rappelant le goût à ses véritables règles, l’histoire à son véritable but, les lois à leur première intégrité ? Nous promettons de venir au secours de nos frères, et vous avez été le créateur d’une peuplade entière, qui vous adore, et qui ne retentit que de vos bienfaits : vous avez élevé un temple à l’Éternel ; mais, ce qui valait mieux encore, on a vu près de ce temple un asile pour des hommes proscrits, mais utiles, qu’un zèle aveugle aurait peut-être repoussés.

Ainsi, très cher Frère, vous étiez franc-maçon avant même que d’en recevoir le caractère, et vous en avez rempli les devoirs avant que d’en avoir contracté l’obligation entre nos mains. L’équerre, que nous portons comme le symbole de la rectitude de nos actions ; le tablier, qui représente la vie laborieuse et l’activité utile ; les gants blancs, qui expriment la candeur, l’innocence et la pureté de nos actions ; la truelle, qui sert à cacher les défauts de nos frères, tout se rapporte à la bienfaisance et à l’amour de l’humanité, et par conséquent n’exprime que les qualités qui vous distinguent ; nous ne pouvions y joindre, en vous recevant parmi nous, que le tribut de notre admiration et de notre reconnaissance.

Les frères de La Dixmerie, Garnier, Grouvelle, Echard, etc., ont demandé la parole, et ont lu des pièces de vers qu’il serait trop long de rapporter ici. Le frère nouvellement reçu a témoigné à la Respectable Loge qu’il n’avait jamais rien éprouvé qui fût plus capable de lui inspirer les sentiments de l’amour-propre, et qu’il n’avait jamais senti plus vivement celui de la reconnaissance. Le frère Court de Gébelin a présenté à la loge un nouveau volume de son grand ouvrage, intitulé “Le Monde primitif”, et l’on y a lu une partie de ce qui concerne les anciens mystères d’Eleusis, objet très analogue aux mystères de l’art royal. Pendant le cours de ces lectures, le frère Monet, peintre du roi, a dessiné le portrait du frère de Voltaire, qui s’est trouvé plus ressemblant qu’aucun de ceux qui ont été gravés, et que toute la loge a vu avec une extrême satisfaction.

Après que les diverses lectures ont été terminées, les frères se sont transportés dans la salle du banquet, tandis que, l’orchestre exécutait la suite de la symphonie dont nous avons parlé. On a porté les premières santés. Le cher frère de Voltaire, à qui son état ne permettait pas d’assister à tout le reste de la cérémonie, a demandé à se retirer. Il a été reconduit par un grand nombre de frères, et ensuite par une multitude de profanes, au bruit des acclamations dont la ville retentit toutes les fois qu’il paraît en public…

Dans les Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des Lettres en France, de Louis Petit de Bachaumont (1690-1771), on peut lire que Voltaire « s’est rendu à la loge des Neuf Sœurs, suivant la promesse qu’il en avait faite aux députés. La joie des frères leur a fait commettre quelques indiscrétions, en sorte que, malgré le mystère de ces sortes de cérémonies, beaucoup des circonstances de la réception de ce vieillard ont transpiré. »

On ne lui a point bandé les yeux, mais on avait élevé deux rideaux à travers lesquels le vénérable l’a interrogé, & après diverses questions, sur ce qu’il a fini par lui demander s’il promettait de garder le secret sur tout ce qu’il verrait, il a répondu qu’il le jurait, en assurant qu’il ne pouvait plus tenir à son état d’anxiété. En priant qu’on lui fît voir la lumière, les deux rideaux se sont entrouverts tout à coup, & cet homme de génie est resté comme étourdi des pompeuses niaiseries de ce spectacle…

Voltaire meurt le 30 mai 1778 dans l’hôtel du marquis de Villette, « dans de grandes douleurs, excepté les quatre derniers jours, où il a fini comme une chandelle », écrit alors  Marie-Louise Mignot, nièce et compagne du maître. En 1791, le seigneur de Volney devient hôte du Panthéon.

Dans son Dictionnaire philosophique (1764), au mot : Initiation, Voltaire avait écrit : « Aujourd’hui même encore, nos pauvres francs-maçons jurent de ne point parler de leurs mystères ; ces mystères sont bien plats ; mais on ne se parjure presque jamais. »

Nota – Il est d’usage de souligner que Voltaire a été initié avec le tablier de Claude Adrien Schweitzer, alias Helvétius, philosophe et poète, décédé deux ans plus tôt ; comme si ce fait était d’une importance extrême. Dont acte.

• Voir : Mémoires secrets de Bachaumont (1783-1789, 18 volumes). Initiation de Voltaire dans la Loge des Neuf Sœurs (A.Germain, 1874). La Franc-Maçonnerie sous les lys (Roger Priouret, Grasset, 1953).

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