Miscellanea Macionica : Christopher Wren a-t-il été « Grand Maître » des maçons de Londres ?
Voici la question 70 de la Série« MISCELLANEA MACIONICA » (Miscellanées Maçonniques) tenue par Guy Chassagnard, ancien journaliste professionnel qui, parvenu à l’âge de la retraite, a cessé de traiter l’actualité quotidienne, pour s’adonner à l’étude de la Franc-Maçonnerie et de son histoire.
Miscellanea Macionica : Christopher Wren a-t-il été « Grand Maître » des maçons de Londres ?
On connaît cet homme pour avoir conduit les travaux de construction ou de reconstruction de dizaines d’églises et de chapelles de Londres, suite au Grand Incendie de 1666, et comme maître d’œuvre de l’actuelle cathédrale Saint-Paul. On le connaît aussi pour avoir été l’un des premiers membres de la fameuse Royal Society of London for improving Natural Knowledge (Société royale de Londres pour la promotion de la Connaissance naturelle) du roi Charles II. Fut-il un jour Grand Maître des francs-maçonso? That’s the question… Une question à laquelle il peut paraître difficile de répondre dans la mesure où il est bon, de nos jours, de douter des auteurs maçonniques du XVIIIe siècle.
Or, il faut remonter aux premiers temps de la Maçonnerie spéculative pour traiter des derniers jours d’une Maçonnerie opérative ou… de transition. Mais parlons d’abord de Christopher Wren, mathématicien, astronome et architecte, devenu, par décision royale, « Sir Christopher » et membre du parlement.
Christopher Wren (1634-1723) est, sans l’ombre d’un doute, un personnage haut en couleur d’une période qui a vu, à Londres, l’instauration temporaire d’une république – ou Commonwealth – et la décapitation d’un souverain. Fils d’un pasteur anglican, neveu d’un évêque, il étudie l’astronomie, les mathématiques, et même l’anatomie – on lui reconnaît des pratiques de transfusion sanguine – avant de s’intéresser à l’architecture. C’est en qualité de professeur d’astronomie à l’université Gresham qu’il participe aux premiers travaux de la Royal Society de Londres où il côtoie, ou côtoiera, Sir Robert Moray, Elias Ashmole, Robert Boyle, Isaac Newton – qui verra en lui l’un des plus grands mathématiciens de son temps.
En 1663, il construit la chapelle de l’université Pembroke à Cambridge. En 1664, il participe à la construction du Sheldonian Theatre d’Oxford. Mais c’est au lendemain du Grand Incendie de 1666 qu’il peut donner la preuve de son talent architectural. Parti le dimanche 2 septembre d’une modeste boulangerie proche de la Tour de Londres, le feu ravage toute la cité. Sont consumés dans les flammes les bâtiments publics du royaume, une centaine d’églises ainsi que 13 000 maisons d’habitation. Nommé Commissaire à la reconstruction, Christopher Wren définit un nouvel urbanisme local, reconstruit 51 édifices religieux et dresse les plans de la cathédrale Saint-Paul – que refusent successivement le Conseil de la cité parce que manquant de grandeur, et le clergé parce que trop inspirés par l’architecture grecque, avant qu’un troisième projet, présentant une croix latine surmontée d’un dôme massif fasse consensus. Commencée en 1669 la nouvelle cathédrale sera achevée quarante ans plus tard.
Surintendant des bâtiments de la Couronne, Christopher Wren érige le monument du Grand Incendie, rénove le palais de Whitehall, modernise le palais de Hampton Court, reconstruit le palais de Kensington, édifie le palais de justice de Windsor, la maison de la douane de Londres, les hôpitaux de Chelsea et de la marine, l’observatoire de Greenwich. La liste de ses travaux d’architecture est impressionnante ; sa retraite officielle n’intervenant qu’à l’âge de… 84 ans.
Christopher Wren apparaît comme franc-maçon dans le second Livre des Constitutions d’Anderson, publié en 1738. Charles II régnant sur la Grande Bretagne, Henry Jermyn, comte de Saint-Albans, est nommé Grand Maître des loges maçonniques, avec Christopher Wren et John Web pour grands surveillants. A l’occasion de la Saint-Jean d’hiver de l’année 1663, sont adoptées de nouvelles constitutions selon lesquelles :
– Nul, de quelque degré qu’il soit, ne sera fait ou accepté comme Maçon libre, si ce n’est dans une loge régulière, en présence d’un membre, Maître ou Surveillant, et d’un autre Compagnon, dans le métier de la Maçonnerie.
– Nul ne sera accepté Maçon libre, qui ne soit saint d’esprit, de bonne naissance, de bonne réputation et respectueux des lois du pays.
Le 24 juin 1666, Christopher Wren se voit nommer Député Grand Maître par Thomas Savage, comte de Rivers. Il conserve ses fonctions sous les grandes maîtrises de George Villards, duc de Bucks (1674), et de Henry Bennet, comte d’Arlington (1679) ; avant de devenir Grand Maître lui-même en 1685. Dix ans plus tard, soit en 1695, Charles Lennox, duc de Richmond et de Lennox, Maître d’une loge de Chichester, remplace l’architecte de Londres à la tête des Maçons ; qui n’est plus que Député Grand Maître, avant de redevenir Grand Maître trois ans plus tard.
Si James Anderson se plaît à rendre hommage à Christopher Wren, Surintendant des Travaux du roi, pour la construction de la cathédrale Saint-Paul, achevée en 1710, il n’en hésite pas moins à critiquer celui-ci pour ses derniers mandats de Grand Maître – qui conduiront les loges londoniennes, « se sentant abandonnées », à se constituer en un « Centre d’union et d’harmonie » sous la direction d’un nouveau Grand Maître.
Si William Preston s’étend longuement, dans ses Illustrations of Masonry (1772), sur les réalisations professionnelles de Christopher Wren, il apporte peu de précisions sur son activité maçonnique. On apprend toutefois qu’il a longtemps été Maître de la « vieille Loge Saint-Paul », et que sous sa direction « la Maçonnerie n’a pas fait de progrès considérables »o: «oL’âge et les infirmités de Sir Christopher, écrit-il, ont détourné son attention des devoirs de son office, les loges ont décliné et les fêtes annuelles totalement négligées. »
Les auteurs maçonniques modernes ne font aucun cas de l’intéressé, présumé avoir été en son temps Maçon libre et Grand Maître des Maçons. A croire que James Anderson et William Preston ont pris leurs rêves pour réalité ou qu’ils ont forgé sa réputation de toutes pièces. Qu’on en juge par ces deux exemples. Pour John Hamill (The Craft – A History of English Freemasonry, 1986), la seule considération que l’on peut retenir de la possible appartenance de l’architecte au Métier est qu’Anderson en avait besoin pour étayer sa théorie d’une « renaissance », et non d’une «ocréation », d’une Grande Loge des Maçons en 1717.
Marie-Cécile Révauger (Le Fait maçonnique au XVIIIe siècle en Grande Bretagne et aux États-Unis, 1990), quant à elle, admet comme envisageable l’idée que Christopher Wren ait été Grand Maître, mais conclut : « L’Histoire ne l’a malheureusementr jamais prouvé, de même qu’un voile épais recouvre la nature exacte des loges de maçons [placées] sous ses ordres ». Dont acte…
• Voir : The New Book of Constitutions (James Anderson, 1738). Illustrations of Masonry (William Preston, 1772). Sir Christopher Wren and his Time (James Elmes, 1852). Les ouvrages cités de John Hamill et de Marie-Cécile Révauger.
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