Un article remarquable paru dans la revue Le Quotidien du Médecin dans en date du 14 août 2020 sur Le martyr et l’héroïsme des médecins francs-maçons pendant la guerre de la Seconde Guerre Mondiale, en France .
LE MARTYR ET L’HÉROÏSME DES MÉDECINS FRANCS-MAÇONS
Dès l’été 1940, de nombreux médecins sont victimes de la traque visant les francs-maçons et les juifs, organisée par les autorités de Vichy. Une douzaine d’entre eux, répertoriés par « Le Quotidien », sont morts en déportation, d’autres sont entrés en résistance. Cet été, « le Quotidien » retrace l’histoire de médecins qui se sont illustrés pendant la Seconde Guerre mondiale.
Loi du 16 août 1940 excluant de l’exercice médical les praticiens n’étant pas « né de père français »
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« Nos lecteurs remarqueront l’effroyable proportion de juifs parmi les francs-maçons, qui dirigeaient le noyautage des professions médicales en France. » Extraite de « La médecine et les Juifs » – torchon éditorial publié fin 1940 et qui vaudra à son auteur, le Dr Fernand Querrioux de parader à l’exposition antisémite du Palais Berlitz en 1941 – la phrase ne vaut que pour l’anecdote, incidente dans un chapitre consacré à la « Collaboration judéo-maçonnique », figure de rhétorique obligée pour le champion de l’antisémitisme médical hystérique des débuts de l’Occupation.
Antimaçonnisme et antisémitisme s’étaient confondus dans la même névrose sociale depuis 1936 et l’arrivée aux affaires du Front populaire de Léon Blum. Un journal édité par une Union antimaçonnique s’était même fait une spécialité de dénoncer les frères dans les travées des deux assemblées.
C’est d’ailleurs un médecin marqué à droite, le Dr Georges Cousin – co-auteur en juin 1935 d’une loi renforçant l’exclusion de la pratique des médecins étrangers –, qui en animait « les travaux », citant souvent le maréchal Pétain à la barre des témoins invités du journal éponyme. Et c’est dans ses colonnes que Querrioux était allé puiser ses informations sur la fraternelle des Amis de Rabelais où il avait cru pouvoir identifier tant de juifs.
Les praticiens n’étant pas « nés de père français » interdits d’exercice
Dès l’été 1940, la chasse aux maçons fut donc rigoureusement concomitante avec la traque des juifs : la loi portant interdiction des sociétés secrètes et obligeant les fonctionnaires à souscrire une déclaration sur l’honneur de « non-appartenance » date du 13 août. Et la loi excluant de l’exercice médical les praticiens n’étant pas « né de père français » remonte au 16 août 1940 ! Si la seconde marquait le début du processus d’exclusion de praticiens juifs, rien de tel avec les francs-maçons, juste confrontés à une entreprise scélérate mais qui pouvaient, sans déchoir sur le plan moral, se payer le luxe d’une déclaration parjure.
Plus grave sans doute, ce qui advint un an plus tard avec la loi du 11 août 1941, ordonnant la publication au « Journal officiel » des noms des anciens dignitaires et des frères de rang plus modeste de toutes les loges de France. Cette publication intervenait dès le « J. O. » du 12 avec la publication d’une première liste des « membres du Conseil fédéral de la GLF et du 33e degré, membres du Suprême Conseil du rite écossais ancien et accepté ».
Le feuilleton allait durer jusqu’à la fin de 1942 au rythme de plusieurs pages quotidiennes. Personne n’eut jamais le courage de colliger jusqu’au bout les 17 000 noms de cette liste fastidieuse, sauf – c’était sans doute son but – les gazettes locales ou professionnelles ravies de désigner ainsi « au pilori » des personnalités potentiellement concurrentes ou gênantes.
En médecine, nous n’avons trouvé qu’un seul titre pour s’essayer, transitoirement, à l’exercice sans plus d’intérêt au bout de quelques épisodes. Il faut dire que les médecins étaient finalement assez peu nombreux dans ce singulier répertoire, de l’ordre de 2 à 3 %, largement dominés par les avocats au registre des professions libérales. Un peu plus de 400 selon notre décompte, dont 20 % exerçant dans les départements d’outre-mer (Algérie-Tunisie-Maroc, Antilles, Nouvelle-Calédonie, Indochine…).
Radiés en cas de fausse déclaration
Les fonctionnaires dominaient largement au palmarès des professions représentées avec, dans l’ordre : les enseignants, les cadres des PTT et des Chemins de fer, des Impôts, de l’Armée, de la Police ou des Douanes. L’hôpital était à la fois représenté par les administratifs (directeurs, économes…) et par les médecins mais, dans tous les cas, le nombre de retraités égalait au moins celui des actifs … Heureusement pour les premiers qui, n’étant plus soumis à l’engagement sur l’honneur, ne risquaient plus la radiation en cas de fausse déclaration.
La sanction en toucha quelques-uns, dont au moins un militaire qui, reversé dans l’armée d’armistice, dut se reconvertir dans le civil après avoir été autoritairement « démis de ses fonctions ». Assurément plus gênant, le cas du Dr Maurice Cuisset, inspecteur départemental adjoint de la Santé à Valenciennes et qui, après avoir signé un certificat de non-appartenance, avait été identifié comme l’ancien vénérable de sa loge et condamné pour parjure à 4 mois de prison avec sursis et 1 000 francs d’amende.
Une douzaine de médecins maçons morts en déportation
Il reste que cette stigmatisation participait évidemment au risque social et politique encouru par ceux qui en étaient la cible. On compte une douzaine de médecins parmi les quelques centaines de maçons morts en déportation et notamment :
– Friedel Eisenstein, praticien parisien sans doute raflé entre août et décembre 1941 sur des critères encore largement méconnus [1] avec d’autres notables et qui constituèrent les premiers prisonniers du camp de Compiègne et les « passagers » du convoi n° 1 pour Auschwitz le 27 mars 1942 ;
– Guy Hausser, pionnier de la médecine du travail, légiste à l’Institut médico-légal de Paris, arrêté à son travail le 23 mars 1942 ;
– Maurice Gallouen, Breton installé à Rouen, très tôt impliqué dans la résistance cheminote, arrêté par la Gestapo à son cabinet le 21 juin 1941, déporté par un convoi parti de Compiègne le 24 janvier 1943 le menant à Oranienburg-Sachsenhausen d’abord, décédé du typhus à Bergen-Belsen qu’il avait refusé de quitter avant d’avoir fini de soigner ses camarades atteints ;
– Germain Jollès, membre de la loge « Solidarité landaise », arrêté avec son épouse, à son cabinet de Pessac, tous deux déportés par le convoi n° 67 du 3 février 1944 ;
– René Bloch, frère de Marcel (Dassault en Résistance), chirurgien de l’hôpital Necker, arrêté en pleine rue parce qu’il arborait ses décorations militaires à côté d’une étoile jaune géante ! Déporté par le convoi n° 3 au départ de Drancy le 22 juin 1942 ; il avait trouvé la mort à l’infirmerie d’Auschwitz par injection intracardiaque de phénol pour être devenu… inapte au travail.
D’autres noms sont encore en cours d’identification, entreprise délicate compte tenu des erreurs de typographie possibles, aussi bien au moment du recueil des identités dans les loges, au « Journal officiel », ou dans les camps de transit, à l’accueil ou au départ vers les camps de concentration/extermination.
Commissaire de police devenu médecin
Mais nombreux furent également les noms de maçons physiquement engagés en Résistance. Le plus connu est le médecin-général Ambroise Péloquin qui s’était investi dès le début de 1941 dans la création du Comité d’action maçonnique, sorte de convent clandestin dont allait naître le mouvement de Résistance Patriam Recuperare, opérant principalement en région parisienne et à l’intitulé assez explicite.
Sa notoriété vient également du fait qu’il avait été appelé par Jean Moulin à siéger au CNR (Conseil national de la Résistance). Lequel devait compter bien d’autres médecins dont un autre militaire, le médecin-colonel Henri Lortholary et des civils franciliens dont l’engagement maçonnique est moins établi : Louis Lapicque, membre de l’Académie de médecine, le professeur parisien Henri Benard, médecin à l’Hôtel-Dieu, les Drs Maurice Lambert, Raymond Lemaistre, Pierre Jossinet (Châteaudun), Léon Boutbien (futur député socialiste), Hubert Canale, René Quenouille – mort en déportation, pendu par les SS des Neuengamme pour avoir refusé d’achever des enfants-cobayes – ou le carabin Apostol Gallistin. Ou plus singulier encore, un commissaire de police du nom de René Albouy… qui deviendra médecin après sa libération des camps.
Klaus Barbie, le boucher de Lyon
D’autres maçons étaient engagés dans d’autres mouvements de Résistance : le Dr Gilbert Doukan, agent du BCRA (Londres), Paul Chevalier, patron et inspirateur de la vocation de Jean Bernard pour l’hématologie, Alexandre Chevalier, ORL à l’hôpital Péan et futur Grand Maître du GO (Grand Orient), Antonin Mazet, responsable des MUR (Mouvements Unis de la Résistance) du canton de Sauxillanges (Puy de Dôme), Jean Payri (Perpignan, Pyrénées-Orientales), Jean Souc (Gémozac, Charentes-Maritimes), René Wibaux (directeur du préventorium de Camiers, Pas-de-Calais). Et surtout le couple Vansteenberghe, Alice et André, tous deux médecins à Villeurbanne (Rhône), hôtes à leur domicile de la réunion ayant abouti à la fusion des différents mouvements de la zone sud le 5 mai 1942. Alice avait enfin connu, en 1987, la satisfaction de revoir Klaus Barbie… dans le box des accusés de la Cour d’assises de Lyon, 43 ans après l’avoir éprouvé comme bourreau !
Comment ne pas citer enfin le Dr David Goldzeiguer, juif-russe d’Odessa, immigré dès 1905, étudiant à Montpellier où il fut initié, doctorant en 1913, héros de Verdun, installé en Tunisie en 1921 où il entra à la loge de « La Nouvelle Carthage » dont il deviendra vénérable en 1924. D’abord déporté à Oranienburg avant d’être rapatrié sur Paris pour déposer lors d’un simulacre de procès de la franc-maçonnerie, son périple l’avait amené à l’hôpital Rothschild, où il finit par trouver la mort, d’épuisement.