Un article paru dans Le Monde du 02 décembre 2021 « Comment, depuis des siècles, les théories du complot forment et déforment l’imaginaire« par William Audureau, où il est question de la place de la Franc-Maçonnerie dans les théories du complot
L’obsession de la franc-maçonnerie
Dans les siècles qui suivent, les discours conspirationnistes cessent de viser les léproseries pour s’intéresser aux loges maçonniques, détaille dans une autre présentation Jean-Philippe Schreiber, professeur à l’Université libre de Bruxelles et spécialiste, entre autres, de l’antimaçonnisme. Les francs-maçons sont visés dès l’apparition, au début du XVIIIe siècle, de la franc-maçonnerie dite « spéculative », c’est-à-dire quand ces clubs d’entraide entre petits artisans se muent en lieux de débats philosophiques, interconfessionnels, occultes et indépendants. L’Eglise, furieuse, y voit aussitôt « un plan multiséculaire qui viserait la destruction de l’ordre », explique M. Schreiber.
A la Révolution, la franc-maçonnerie se mue en obsession pour les milieux catholiques contre-révolutionnaires en mal de responsables
Lorsque éclate la Révolution, comme de nombreux ordres, réels ou fantasmés – ainsi des illuminés de Bavière, dits Illuminatis, déjà disparus depuis 1785 –, la franc-maçonnerie se mue en obsession pour les milieux catholiques contre-révolutionnaires en mal de responsables. De ce point de vue, 1789 a été le grand déclencheur du complotisme moderne. « Tout a été prévu, médité, combiné, résolu, statué (…) dans des sociétés secrètes », écrivait, en 1797, l’abbé Augustin Barruel (1741-1820), considéré comme son père spirituel.
A leur tour, on prête aux francs-maçons une alliance supposée avec les juifs, jusqu’à l’affirmation qu’un roi judéo-maçonnique surnommé Rothschild Ier aurait remplacé le roi de France, ou on les associe dans Les Protocoles des sages de Sion, matrice du complotisme du XXe siècle, « un texte aussi antimaçonnique qu’il est antisémite », rappelle M. Schreiber.