Mensuellement, Guy Arcizet, Grand Maître du Grand Orient de France, s’exprime dans un courrier intitulé « Libres Propos » hier réservé aux sœurs et frères de l’obédience et aujourd’hui offert à toutes et à tous sur son blog.
Dans les Libres Propos de février 2012, Guy Arcizet s’interroge sur « la contrainte et l’opprobre journalistique » et ce en réponse aux derniers marronniers de la presse sur la franc-maçonnerie… Des propos en effet libre et judicieux !
« Le 4 janvier 2012 un hebdomadaire titre « Elysée 2012, Francs-Maçons, comment ils manipulent les candidats».
Des frères du Nord, de Corse et d’ailleurs m’écrivent pour rapporter des articles de presse qui citent la franc-maçonnerie, et plus précisément le Grand Orient de France, dans des termes parfois critiques, souvent erronés, toujours caricaturaux. »
Il faut, avant tout commentaire, s’entendre sur un fait indéniable : la liberté de la presse. C’est un principe démocratique auquel nulle atteinte ne doit être portée précisément et surtout quand nous en sommes les cibles.
Mais il n’est pas d’éloge flatteur sans la liberté de blâmer.
Je suis, moi-même en tant que grand maître et donc m’exprimant comme représentant le Grand Orient de France, confronté sans cesse à une difficulté. Le seul intérêt qu’ont nombre de journalistes est de fouiller dans les arrière-cours de notre association où ils espèrent toujours trouver des informations croustillantes, sans jamais s’intéresser à ce qui est dans notre préoccupation constante : la République et ses valeurs.
J’y vois deux raisons principales :
La première, accessoire mais non négligeable, est la nécessité où sont les journaux de survivre et donc de vendre leurs exemplaires. Et la franc-maçonnerie, avec son parfum sulfureux et les fantasmes qu’il provoque, est un bon sujet alimentaire. Il nous poursuit depuis le début du XVIIIe siècle, flatte quelques bas instincts et alimente la vulgate du bouc émissaire, toujours féconde, dont on a bien besoin pour dresser un écran de fumée devant les vrais problèmes.
La deuxième, structurelle, est liée à l’évolution des grands groupes de presse où la concentration des pouvoirs brime, à terme, la liberté de parole et d’expression des journalistes qui se trouvent réduits aux tâches que je disais plus haut, et ignorent leur rôle de propagateurs d’idées, analystes de situation, voire colporteurs de solutions alternatives.
Leur question est alors souvent : à quoi sert la franc-maçonnerie ? On a envie de la leur retourner : à quoi sert maintenant la presse ?
Car il faut dire la nécessité de dépasser le principe d’une transparence qui relève de l’arbitraire et de la contrainte. Les hommes et les femmes qui vivent en démocratie ont droit à une « arrière boutique toute propre » comme dit Montaigne, qui est le lieu onirique de leur intimité. Les attaques que l’on mène contre une société soi-disant secrète comme la franc-maçonnerie ne sont que le reflet d’une volonté inquisitrice et castratrice qui mènerait à une uniformité des comportements, bien sûr souhaitée par certains qui manipulent l’opinion. La pensée libre est dangereuse et révolutionnaire. Il faut la faire vivre contre ceux qui veulent l’enfermer. Le paradoxe est que cet argument est utilisé par d’autres qui le retournent pour comploter ou s’assurer un pouvoir où ils rejoignent alors ceux qui pensent les combattre.
Le risque existe. Et la solution est dans l’analyse qui nous met, en tant que citoyen et franc-maçon face à nos responsabilités.
La première de ces responsabilités est dans l’énonciation claire que nous devons avoir de nos principes et de nos actions dans une dynamique têtue et persévérante dont nous savons bien les difficultés et les dangers. Alors que certains d’entre nous préfèrent se replier en fermant de manière étanche les portes de leur temple douillet, où s’exercerait une spiritualité mystique, il me semble que, sans trahir le chemin initiatique qui oblige à la discrétion, il faut dire la fierté d’être franc-maçon et la clarté du message que porte la culture maçonnique. Il faut affirmer que nous ne sommes pas cette association népotique, élitiste et donneuse de leçons que l’on caricature à l’envi, mais bien un groupe solidaire qui étudie et dénonce les atteintes à la dignité humaine où qu’elle se trouve, mais aussi les solutions que l’on pourrait y apporter dans l’évolution de la société.
Comment dire notre bien-fondé dans un environnement de 8 millions de pauvres, de centaines de milliers d’immigrés rejetés et accusés de toutes les dérives, délaissés, des millions de femmes, d’enfants, d’êtres vulnérables qui sont dans l’ombre d’une société consumériste ?
Comment défendre notre laïcité si nous ne nous en servons que pour attaquer telle ou telle dérive religieuse?
Et si nous ne savons pas à en faire un principe solidaire ?
Mais une autre responsabilité nous incombe alors : l’ ouverture et la clarté du fonctionnement du Grand Orient de France. Je ne dis pas des loges, qui je le répète, doivent assurer la discrétion, la sécurité de leurs travaux, gage de leur indépendance. Mais bien une ouverture de l’institution. Comme dans toutes les autres institutions humaines peuvent s’y installer des cléricatures et des dérives. Vis-à-vis des cléricatures l’éphémérité des mandats et la sagesse et la réserve supposée de ceux qui les ont exercés est une garantie. Pour ce qui est des dérives, nous ne devons avoir aucune compromission et ne ferons en aucun cas passer l’amour et la fraternité avant la justice. Nous ne sommes pas là pour moraliser ni les hommes ni la société mais pour dire que la République reste notre bien ultime à préserver et qu’elle est un principe qui dépasse évidemment nos engagements personnels.
Pour conclure, la contrainte et l’opprobre journalistique sont un bien, si nous savons les envisager au-delà de la déception de voir notre image ainsi ignorée, ainsi dégradée, ainsi dénoncée comme un risque pour la société en général, et la démocratie en particulier, avec en plus le danger pour certains d’entre nous d’en subir les conséquences dans notre environnement personnel ou social immédiat.
La solution ne sera pas à court terme, mais dans une prise de conscience commune de ce que nous n’avons qu’une alternative : nous enfermer dans nos temples et nous isoler, ou faire rayonner la lumière, ce que nos anciens ont toujours préconisé.