La transformation de la Franc-Maçonnerie d’un système à deux degrés à un système à trois degrés représente l’un des développements les plus profonds et pourtant les moins étudiés de notre histoire. Ce saut évolutif, qui s’est produit principalement au début du XVIIIe siècle, a non seulement restructuré notre institution, mais a également fondamentalement remodelé la façon dont des générations de francs-maçons allaient comprendre la nature même de l’Ordre.
e à trois degrés, complété par la cérémonie d’installation, représente des siècles de développement qui continuent d’offrir une sagesse et des conseils pertinents dans le monde moderne.
La fondation des degrés maçonniques
Les corporations de tailleurs de pierre de l’Europe médiévale constituent la base de ce qui allait devenir la franc-maçonnerie moderne. Ces maçons opératifs, responsables de la construction des magnifiques cathédrales et châteaux qui subsistent encore aujourd’hui, se sont organisés en corporations structurées avec des hiérarchies strictes et des systèmes de transmission du savoir. Les plus anciennes traces documentaires de ces loges opératives, notamment le manuscrit Regius (vers 1390) et le manuscrit Cooke (vers 1410), révèlent un métier déjà riche en traditions et en symbolisme.
Dans ces premières loges opérationnelles, le système de grades avait une fonction pratique. Le grade d’apprenti maçon représentait le début du parcours d’un maçon, généralement un jeune homme apprenti auprès d’un maître pour une période de sept ans. Pendant cette période, les apprentis apprenaient les compétences fondamentales du métier : comment tailler la pierre, utiliser des outils de base, comprendre la géométrie élémentaire et suivre la discipline requise par la profession. Sur le plan opérationnel, ils effectuaient le travail physique d’extraction, de taille et de façonnage de base des pierres. En théorie, ce grade mettait l’accent sur le développement moral, l’obéissance à l’autorité et les premières leçons de moralité et de vertu.
Le diplôme de compagnon marquait la fin de l’apprentissage et l’élévation au statut d’artisan pleinement qualifié. Sur le plan opérationnel, les compagnons possédaient des compétences avancées dans la taille de la pierre, la conception architecturale et les mathématiques nécessaires à la construction complexe. Ils pouvaient travailler de manière indépendante, percevoir des salaires plus élevés et se déplacer librement entre les chantiers de construction, d’où le terme « hommes itinérants » ou « compagnons ». En théorie, ce diplôme était axé sur le développement intellectuel par l’étude des arts libéraux et des sciences, comme le souligne le Manuscrit Regius, qui mettait l’accent sur leur rôle dans la formation d’artisans polyvalents.
Ce qui est moins communément compris, c’est qu’au sein du diplôme de Fellowcraft existait une hiérarchie sophistiquée de trois classes distinctes, chacune avec des responsabilités et des privilèges spécifiques :
- La classe ouvrière comprenait la majorité des compagnons qui maîtrisaient les compétences pratiques de la maçonnerie, mais qui travaillaient principalement comme artisans exécutant les projets des autres.
- La classe supérieure ou les surveillants possédaient de plus grandes connaissances et compétences, supervisant le travail des autres et garantissant la qualité et le respect des plans.
- La classe dirigeante , incarnée par les trois grands maîtres de la tradition maçonnique – le roi Salomon, Hiram, roi de Tyr, et Hiram Abiff – détenait l’autorité ultime dans la conception, la gestion et la gouvernance de l’artisanat.
Ce système à trois classes au sein du grade de Compagnon contenait les germes qui allaient donner naissance à notre système moderne à trois degrés. Les premiers registres de loge révèlent que cette distinction était opérationnelle bien avant l’établissement officiel du Troisième Degré tel que nous le connaissons aujourd’hui.
La transition vers la franc-maçonnerie spéculative
À la fin de la Renaissance, la construction de cathédrales déclina et les loges opératives commencèrent à admettre des non-artisans – des francs-maçons « acceptés » ou « spéculatifs » – attirés par les enseignements moraux, le symbolisme et les aspects sociaux de la confrérie. Cette transformation progressive s’accéléra tout au long du XVIIe siècle, notamment en Écosse et plus tard en Angleterre.
Le manuscrit du Edinburgh Register House de 1696 fournit notre plus ancien enregistrement détaillé du rituel maçonnique, décrivant la cérémonie du « Mot maçon » pour les apprentis inscrits. À cette époque, le système à deux degrés était fermement établi, les membres passant du statut d’apprenti inscrit à celui de compagnon. Cependant, les germes du changement étaient déjà apparents.
La formation de la Première Grande Loge d’Angleterre en 1717 a marqué un tournant dans cette évolution. Quatre loges londoniennes se sont unies pour former cette première Grande Loge, officialisant la transition de la maçonnerie opérative à la maçonnerie essentiellement spéculative. Cette période a coïncidé avec le siècle des Lumières, époque à laquelle la recherche philosophique, le progrès scientifique et l’intérêt pour la sagesse ancienne ont prospéré, créant un terrain fertile pour le développement du système symbolique de la franc-maçonnerie au-delà de ses origines opératives.
Le Dr John Theophilus Desaguliers, troisième Grand Maître de la Première Grande Loge et éminent scientifique, est reconnu pour avoir joué un rôle important dans le développement du Troisième Degré. Son expérience intellectuelle en philosophie naturelle et son intérêt pour les mystères anciens ont probablement influencé les dimensions philosophiques plus profondes qui caractériseraient le degré de Maître Maçon.
Au cours des années 1720, des preuves ont commencé à émerger de l’émergence d’un nouveau degré plus élaboré au sein de la franc-maçonnerie. Le manuscrit d’Airlie d’Écosse, daté d’environ 1726, contient des références à un système à trois degrés, suggérant que cette évolution se produisait simultanément dans plusieurs juridictions. Entre-temps, les procès-verbaux de diverses loges ont commencé à mentionner des « loges de maîtres » effectuant un travail distinct de celui effectué dans les loges de compagnons.
Cette période a également vu l’émergence de traditions concurrentes. Les « Modernes » (associés à la Première Grande Loge) ont d’abord fait preuve d’ambivalence à l’égard du Troisième Degré émergent, tandis que d’autres groupes, appelés plus tard les « Anciens », l’ont adopté et promu comme un élément essentiel de la tradition maçonnique. Cette tension a donné lieu à des récits concurrents sur la légitimité et la place appropriée du nouveau degré.
Le système des Compagnons à trois classes évoluait également. Alors que les éléments spéculatifs prenaient de l’importance, la classe ouvrière restait concentrée sur l’application pratique des symboles maçonniques, tandis que la classe supérieure développait des interprétations philosophiques plus approfondies de ces symboles. La classe dirigeante, quant à elle, mettait de plus en plus l’accent sur le leadership, la gouvernance et la préservation du savoir ésotérique.
Ce qui était autrefois des divisions au sein d’un seul degré s’est progressivement transformé en une scission du deuxième degré en deux degrés distincts, chacun avec ses propres cérémonies, symboles et leçons distinctifs. Cette transformation ne s’est pas produite uniformément ni du jour au lendemain, mais a plutôt évolué à travers un processus d’innovation, d’adoption et de perfectionnement qui allait se poursuivre pendant des décennies.
L’établissement du troisième degré
Le moment clé de ce processus d’évolution fut l’instauration officielle du grade de Maître maçon, distinct du grade de Compagnon. Bien qu’aucune date précise ne marque cette transition, des preuves substantielles suggèrent qu’elle fut en grande partie achevée dans les années 1730-1740. Cette évolution ne représentait pas seulement un changement administratif, mais une transformation fondamentale dans la façon dont la franc-maçonnerie concevait ses propres objectifs et enseignements.
Au cœur de cette transformation se trouve l’histoire d’Hiram Abiff, le maître architecte du Temple du roi Salomon, dont la légende est devenue la pièce maîtresse du nouveau grade de Maître Maçon. L’introduction de cette légende était révolutionnaire. Elle a transformé le rituel maçonnique d’un processus essentiellement pédagogique en une expérience initiatique profonde où les candidats vivaient symboliquement l’histoire. Cela représentait un écart significatif par rapport aux cérémonies plus simples des grades d’Apprenti et de Compagnon.
Cette évolution peut être interprétée comme la formalisation de ce qui était auparavant la classe supérieure au sein du degré de Compagnon en un degré distinct : celui de Maître Maçon. Le nouveau degré incorporait des éléments ésotériques plus profonds, un symbolisme plus complexe et des enseignements philosophiques sur la mortalité et la connaissance de soi qui n’étaient pas explicites dans le système à deux degrés précédent.
Les documents de cette période montrent que le troisième degré a rapidement gagné en popularité et en reconnaissance. Le livre de Samuel Prichard, « Masonry Dissected » (1730), contient l’une des premières expositions publiques du système des trois degrés, avec des références à la légende hiramique. En 1738, lorsque la deuxième édition des Constitutions d’Anderson fut publiée, le système des trois degrés était reconnu, bien qu’il ne soit pas encore universellement pratiqué.
Ce qui a rendu cette transformation particulièrement significative, c’est la façon dont elle a redistribué les trois classes originales de Fellowcrafts dans la nouvelle structure des diplômes :
- La classe ouvrière des compagnons s’est alignée sur le degré moderne des compagnons (deuxième)
- La classe supérieure a été élevée au nouveau degré de Maître Maçon (Troisième),
- La classe dirigeante a été élevée au troisième degré, mais est restée quelque peu séparée avant d’évoluer finalement vers ce qui allait devenir le Maître installé, bien que ce développement prenne plus de temps à se matérialiser pleinement.
Cette restructuration a représenté un changement fondamental dans la façon dont la progression maçonnique était comprise. Plutôt que de progresser au sein d’un seul degré (Fellowcraft) avec trois niveaux d’accomplissement, les francs-maçons progressaient désormais à travers trois degrés distincts, chacun avec sa propre cérémonie, ses propres symboles et ses propres leçons.
Les Modernes contre les Anciens
Après l’instauration du Troisième Degré, la Franc-Maçonnerie entra dans une période de raffinement et de formalisation. Le conflit entre les Grandes Loges « Modernes » et « Anciens » se poursuivit, les différences rituelles étant l’un des nombreux points de discorde. Les « Anciens » privilégiaient généralement des cérémonies plus élaborées et soulignaient l’importance de l’Arche Royale comme achèvement du Troisième Degré, tandis que les « Modernes » étaient initialement plus conservateurs dans leur approche.
Au cours de cette période, le concept de classe dirigeante a évolué vers ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de maître installé. La première cérémonie d’installation documentée remonte à 1722, lorsque le duc de Wharton a établi une nouvelle loge. Cependant, cette cérémonie n’a reçu au départ qu’une reconnaissance limitée, car les compagnons étaient toujours autorisés à servir en tant que maîtres de loges dans de nombreuses juridictions.
La cérémonie d’installation a progressivement pris de l’importance au cours du XVIIIe siècle. Les « Modernes » ont introduit une cérémonie qui communiquait des secrets et des modes de reconnaissance spécifiques aux Maîtres installés, créant ce que l’on a appelé le « fonctionnement interne ». Cela distinguait les Maîtres installés des autres Maîtres maçons, leur accordant l’autorité de présider les réunions de la loge et d’accéder aux connaissances ésotériques réservées aux dirigeants de la loge.
Les « Anciens » considéraient quant à eux la cérémonie d’installation comme un élément essentiel de la tradition maçonnique, mettant l’accent sur la continuité du leadership et la transmission de l’autorité. Cette différence d’approche a contribué à la rivalité persistante entre les deux Grandes Loges.
Une résolution importante fut prise en 1813 avec la fusion des « Modernes » et des « Anciens » pour former la Grande Loge Unie d’Angleterre. Les Articles d’Union reconnaissaient explicitement la « pure Ancienne Maçonnerie » comme composée de trois degrés — Apprenti Inscrit, Compagnon et Maître Maçon — ainsi que de la Sainte Arche Royale. Cette fusion a contribué à standardiser le système des trois degrés et la cérémonie d’installation dans toute la Franc-Maçonnerie anglaise, bien que des variations régionales aient persisté.
Dans la franc-maçonnerie écossaise, la cérémonie d’installation fut officiellement adoptée beaucoup plus tard, vers 1872, ce qui montre que ces évolutions se sont produites à des rythmes différents selon les juridictions. Néanmoins, au milieu du XIXe siècle, le système à trois degrés, complété par la cérémonie d’installation, était devenu la structure standard de la franc-maçonnerie artisanale dans une grande partie du monde.
Cette période de raffinement a achevé la transformation du système original de Fellowship à trois classes en la structure moderne que nous reconnaissons aujourd’hui.
La structure moderne à trois degrés
Le système des trois degrés qui a émergé de ce processus historique représente un cheminement philosophique cohérent qui préserve l’essence de la maçonnerie opérative tout en élargissant ses dimensions spéculatives. Chaque degré occupe désormais une place distincte dans le développement d’un franc-maçon, avec des parallèles clairs avec la structure de classe d’origine.
Le diplôme d’apprenti maçonnique moderne continue de représenter le début du parcours maçonnique. Sur le plan opérationnel, il reflète l’initiation de l’apprenti aux outils et compétences de base de la maçonnerie. Sur le plan spéculatif, il se concentre sur le développement moral, la conduite éthique et les vertus fondamentales requises pour un avancement ultérieur. Le candidat est initié au symbolisme de base du métier et commence à comprendre la nature allégorique de l’enseignement maçonnique.
Le diplôme de Compagnon, aligné sur ce qui était autrefois la classe ouvrière des Compagnons, met désormais l’accent sur le développement intellectuel et l’application pratique des principes maçonniques. Sur le plan opérationnel, il représente la capacité du compagnon à appliquer des compétences et des techniques avancées. Sur le plan spéculatif, son accent sur les arts libéraux et les sciences encourage la poursuite de la connaissance et de la compréhension. Le Compagnon apprend à observer, analyser et appliquer les leçons de la maçonnerie dans la vie quotidienne.
Le grade de Maître Maçon, issu de la classe Supérieure, représente le point culminant des grades de l’Artisanat. Sur le plan opérationnel, il reflète les connaissances approfondies du maître artisan et sa capacité à concevoir et à superviser la construction. Sur le plan spéculatif, il explore les thèmes profonds de la mortalité, de la fidélité et de la légende d’Hiramique.
Enfin, la cérémonie d’installation et le statut de Maître installé préservent ce qui était autrefois le rôle de la classe dirigeante. Sur le plan opérationnel, cela représente l’autorité du maître d’œuvre pour diriger le travail de la loge. Sur le plan spéculatif, cela met l’accent sur le leadership, la gouvernance et la préservation de la tradition maçonnique. Le Maître installé devient un représentant du roi Salomon qui lui permet de diriger et de gouverner efficacement sa loge.
L’importance de comprendre cette évolution historique
Pourquoi les francs-maçons modernes devraient-ils s’intéresser à cette évolution historique ? Loin d’être un simple exercice académique, la compréhension de l’évolution du système des diplômes offre plusieurs avantages précieux aux francs-maçons contemporains.
Il donne un contexte et un sens aux cérémonies familières. Lorsqu’un franc-maçon comprend que le troisième degré a évolué à partir des trois classes de compagnons, des éléments rituels qui pourraient autrement sembler arbitraires prennent une nouvelle signification. Il met en lumière la structure philosophique cohérente qui sous-tend les degrés. Chaque étape s’appuie sur la précédente, créant un système unifié d’éducation morale et philosophique qui guide les francs-maçons de l’instruction morale à la maturité philosophique en passant par le développement intellectuel – une progression aussi pertinente aujourd’hui qu’à l’époque où elle a été développée pour la première fois.
Planche très instructive très bien élaborée pour nous apprentis F:. M:. Et pour les chercheurs.
Aucune goûté de pluie ne tombe.