Jérôme Touzalin est un dramaturge,membre du Conseil de l’Ordre, de la Grande Loge Traditionnelle et Moderne de France.
Voici donc la « Chronique (imp)pertinente de Jérome” :
Les vertus du symbolisme maçonnique
D’après le décompte -toujours en cours- des astronomes, l’univers compte plus de 2.000 milliards de galaxies, identiques à celle dans laquelle nous nous trouvons réunis, ce soir, à partager ce moment commun… Dieu aurait donc plus de 2.000 milliards de galaxies à s’occuper, et on voudrait me faire croire qu’il s’intéresse à ce qu’il y a dans mon assiette à moi, petit homme, vérifiant si je mange hallal, casher ou si, comme un chrétien, je trouve que dans le cochon tout est bon ? Et sa vidéo-surveillance céleste, plus intrusive qu’un réseau social, ne me lâcherait pas d’un œil, observant le moindre de mes faits et gestes, à l’écoute de la plus intime de mes pensées ? Je laisse cela à l’église, aux églises, à la religion, aux religions…
Je suis franc-maçon, ce n’est pas la même route.
De même, je ne pense pas que tout puisse se régler par les seuls rouages des lois politico-profanes, rouages qui finiraient par s’emboiter magnifiquement les uns avec les autres, à la grande satisfaction des sept milliards et demi d’esprits humains qui courent sur la planète comme des fourmis sur-vitaminées, pour aboutir à la grande harmonie communautaire dont nous rêvons tous… C’est trop mécanique pour complaire à notre explosive diversité… et illusoire tant que l’homme, dans sa tête, ne se départira pas de cette certitude que lui seul est dans le vrai et son voisin dans l’erreur. Je laisse cela aux idéologies, aux partis politiques, aux tumultueuses assemblées parlementaires.
Je suis franc-maçon, ce n’est pas la même route.
Alors, quelle est donc la route du franc-maçon ? Une fameuse troisième voie ? Une voie, qui à la différence des deux autres, ne conduirait pas les humains à s’entrégorger entre eux avec cette jouissive et sanguinaire frénésie dont ils font montre… et j’ajouterais même : « dont ils font monstre »
Nous ne sommes donc ni des religieux, ni des représentants du peuple. Nous ne cherchons à imposer aucune loi divine, nous ne voulons, ni autoritairement par voie de dictature, ni par voie élective majoritaire, obtenir des hommes un comportement commun.
Et pourtant nous avons aussi, devant le carnage du monde, une volonté de rassembler, de nous unir, tous en paix, et nous pensons que l’étoile du symbolisme est la seule lumière qui puisse nous guider et nous permettre de nous entendre malgré nos plus extrêmes différences.
Car le symbolisme n’est pas une religion, n’est pas une idéologie ; le symbolisme est une pédagogie ; le symbolisme aide à rendre intelligible la vision du monde par son langage propre qui comme pour les mathématiques est langage universel, pouvant être entendu, compris, décodé, de manière identique, partout sur notre espace commun qu’est la terre et conduit à cette vertu suprême qu’est la tolérance.
Il s’agit, grâce à la manipulation des symboles, grâce à ce qu’ils évoquent, de faire comprendre aux hommes qu’ils sont tous dans le même interminable questionnement millénaire, qu’ils peuvent se donner la main et se détourner de la violence qui naît des différents modes de pensées religieux ou politiques dans lesquels on les maintient.
La FM, n‘est pas là pour apporter des solutions techniques : des plans A, B, C ou D, mais pour ouvrir les esprits, ouverture sans laquelle tout espoir d’accord futur est vain.
Le symbolisme est là pour détourner les hommes de leurs ambitieuses et enivrantes marottes sociales, ou de leurs obstinées habitudes superstitieuses dévotes.
L’entendement du langage symbolique, qui lui seul aide à la fraternisation des hommes entre eux, en passe par l’intelligence du jeu subtil des objets et des décors, qui sont là, autour de nous, dans la loge, et s’articulent les uns avec les autres… amenant à voir que le compas sur l’équerre cela n’a pas le même sens que l’équerre sur le compas.
Pour cela faut-il encore, mes frères, faire un effort personnel : travailler, buriner et consentir à apprendre ; apprendre par exemple que l’équerre -reprenons-là- représente la terre qui nous est lourde, représente le corps qui lui aussi est pesant ; que le compas, de son côté, représente le ciel qui est léger, représente la pensée qui s’élève et que nous, hommes de chair et de réflexion, nous sommes l’alliance de ces deux symboles et siège d’une lutte permanente que nous avons à mener entre la lourdeur qui nous retient et l’esprit qui veut nous faire nous évader… Voilà pourquoi équerre et compas n’occupent pas la même place au fil des degrés de notre progression maçonnique.
Autre exemple d’effort intellectuel à faire, chercher à comprendre pourquoi l’orateur parle, sur l’estrade, du côté où l’on installe l’image du soleil et non de tout autre lieu de la loge, pour signifier, probablement que l’orateur même s’il parle haut et fort, même s’il brille dans ses mots, est, tout comme le soleil, soumis à un éclat momentané ; l’un et l’autre n’apportent qu’une vibration temporaire, indispensable, certes, pour faire pousser le blé ou croître les idées, mais l’un et l’autre sont amenés à s’éteindre un jour, même si le temps du soleil est incommensurablement plus long que le nôtre, il s’éteindra… et les frères qui se succèdent à ce plateau, sont emportés dans un jour-nuit qui doit les rendre modestes… comme tout un chacun qui est un petit soleil dans sa vie propre.
C’est cela qui, peut-être, déplait tant au politique et au religieux… Eux qui cherchent à imposer de grès ou de force, et souvent hélas de force, des lumières qu’ils croient éternelles.
La lumière du soleil, en cette place particulière, n’a donc rien à voir avec la lumière spirituelle qui émane de l’Orient, symbolisée par le triangle au-dessus du Vénérable Maître, lumière qui, elle, vient de l’origine de l’univers et qui représente la création initiale, l’infini, l’insondable mystère…
Dernier exemple, – il faut savoir se limiter, car on a de quoi faire avec tous les symboles présents dans l’atelier- : « La colonne manquante », cette quatrième colonne qui intrigue immédiatement par son absence, et qui fait que les trois autres, chacune dressée pour former avec elle un rectangle, ont l’air de l’attendre ; cette colonne manquante, parmi les multiples sens dont elle est porteuse, si je puis dire, ne nous amène-t-elle pas à nous poser cette question : est-ce qu’il n’y a pas toujours quelque chose d’incomplet dans ce que bâtissent les hommes ? Est-ce que le travail sera fini un jour ? Enfin, parmi tant d’autres sens, ne représente-t-elle pas tous les frères qui sont aussi venus, au fil du temps, sur le chantier, soutenir l’effort collectif et qui ont disparu dans le lointain de l’Orient Éternel ?
On réalise donc que la multiplicité des évocations, toutes aussi justes les unes que les autres, à travers un même symbole, apprend aux hommes à respecter la pensée des uns et des autres, les coutumes des uns et des autres, la foi des uns et des autres… il n’y a pas de vérité unique, aucun sens n’est exclusif, comme aucun homme ne l’est à l’égard de son prochain. Tous les sens sont indispensables, comme tous les humains aussi.
Qu’importe que l’on prie Dieu, debout, prosterné, à genoux, la tête nue ou recouverte, le corps revêtu d’une grande robe de couleur safran ou dans un austère costume noir, en faisant se balancer interminablement ses papillotes ; Qu’importe que l’on soit athée, agnostique, avec un point d’interrogation dans le cœur à la place de Dieu, mais avec tout autant de questions qu’un croyant, quand l’essentiel est le dialogue avec le mystère de la création, le respect de celle-ci et de tous les humains qui la composent.
Mais l’enseignement du symbolisme n’est pas que voltige de l’esprit, il est aussi discipline du corps, précision des gestes, des attitudes, respect du rituel dans le ballet des déplacements.
Nous sommes dans une cérémonie, dans un espace que nous avons sacralisé par l’ouverture des travaux.
Tout, absolument tout, a un sens, rien n’est fait sans intention. Nous sommes dans un lieu qui demande une discipline des attitudes.
Les pieds en équerre, le corps droit, comme le fil à plomb qui est l’outil de l’apprenti, fil à plomb qui représente l’axe du monde. Le bras replié à angle droit par rapport au corps, la main sous la gorge en équerre aussi… nous sommes au premier degré, tout est dans la rectitude respectée de la mise en place du corps, base propice à la construction du temple humain que nous sommes, sans ces bases rigoureusement d’équerre l’homme est sans structure et ne peut rien élever…
Nous ne sommes pas dans une assemblée profane de joueurs de belotte, dans une rencontre de vieux camarades de lycée, dans une véhémente réunion syndicale ou politique, ou de copropriétaires, nous ne sommes pas non plus dans un temps religieux venus réciter des prières pour la rémission de nos péchés, pour demander qu’il pleuve en période de sécheresse, ou du soleil lorsque la terre est inondée.
Nous sommes en maçonnerie, dans un temps recueilli lui aussi, dans un temps sacré où le silence est musique et la musique souffle de la pensée…
Nous sommes en maçonnerie qui est une union trans-partisane… C’est bien cela qu’avaient compris nos pères fondateurs Anglais qui n’en pouvaient plus des guerres de religions, des guerres des clans politiques et sociaux.
Le symbolisme n’est donc pas un jeu d’étalage de sa culture, des voltiges de l’esprit, ou, exhibition d’aisance corporelle dans un élégant Holliday-on-ice sur le pavé mosaïque, le symbolisme a pour fonction d’être, pour tous les humains, tout autour de la terre, le révélateur de notre unité d’âme, de corps et de pensée.
Quand on aura compris que malgré notre diversité nous sommes tous les mêmes, alors on aura fait un grand pas vers la paix.
Hélas il reste un long, très long, chemin à faire.
Nous, maçons d’aujourd’hui, ce sont moins des temples qu’il nous faut bâtir que des routes, pour nous rejoindre.
J’ai dit. Jérôme Touzalin
Comme souvent, par ses travaux J Touzalin nous interpelle. Par ce texte il nous fait prendre conscience qu’il ne suffit pas d’être maçon, il faut le devenir. Pour entreprendre ce voyage, comprendre, les symboles, qui constituent l’univers du maçon est nécessaire » Cette quête du sens, est indispensable pour passer de la réflexion à la mise en pratique. La foi maçonnique, dont fait preuve J Touzalin est autant nécessaire pour persévérer sur ce chemin. M.