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LES TROIS VOEUX…

Il y avait, dans un village qui existe d’ailleurs toujours, un pauvre homme qui avait beaucoup travaillé durant de longues années. Ce bonhomme avait des enfants et, souvent, pas un morceau de pain au logis. Volontiers, s’il en avait eu la possibilité, il aurait participé, d’une quelconque manière, à l’édification de l’église. En voyant passer les riches du pays avec leurs voitures et leurs charrues chargées de pierres pour bâtir le lieu saint, le pauvre hère se disait : « Que vais-je faire, misérable que je suis, moi qui n’ai ni voiture ni charrue ? »
Or, l’idée lui vint de prendre sa hotte et de porter des pierres pour ériger l’église, dans la nuit, pendant que tous dormaient. Et ainsi fit-il.
Comme il travaillait de la sorte, un petit vieux s’approcha de lui et lui dit :
« Que faites-vous si tard ici, l’ami ?
— Ah, dit l’homme, je n’ai ni voiture ni charrue, et j’aimerais pourtant apporter ma contribution à la construction de l’église ; aussi, je prends ma hotte, et je porte des pierres pendant que tout le monde dort. » Alors le petit homme lui dit : « Eh bien, cette peine ne restera pas sans récompense, je t’accorde le pouvoir de faire trois souhaits. »

Le pauvre homme réfléchit un instant, et répondit : « En ce cas, je désire, quand je mourrai, le ciel et la vie éternelle ; pour cette vie, je m’accommoderais du vieux bahut qui est dans le grenier, s’il pouvait se trouver rempli d’or sans se vider jamais. Autrement, je n’ai besoin de rien. Le ciel et de l’argent, cela me suffit.
— Prends garde, reprit le petit homme, ta maison est une bicoque et s’écroulera bientôt ; qui sait si tu vivras assez longtemps pour en bâtir une autre ? Fais encore un souhait.
— Eh bien, alors, dit le bonhomme, je désire que ma maison devienne une fois plus grande.
— Tout cela te sera accordé » dit le petit homme, et il disparut.
Lorsque l’artisan arriva devant sa demeure, il vit que l’ancienne avait été remplacée par une autre, une fois plus grande. Le vieux bahut se trouvait comblé d’or et s’emplissait de nouveau quand il était vide. Notre homme vécut désormais tranquille et content et, dans son bonheur, il n’oublia ni les églises ni les pauvres. Ce qui s’était passé ne resta pas ignoré dans le village ; tout le monde en parlait. C’est ainsi que cela parvint aux oreilles d’un homme riche, un affreux avare, qui avait beaucoup de biens, mais cependant jamais assez. « Si j’avais la même chance ! » se dit-il. Et, prenant une hotte, il apporta des pierres pour bâtir l’église, pendant que tout le monde dormait. Bientôt le petit vieillard survint et dit :
« Hé, l’ami ! que faites-vous si tard ici ?
— J’apporte des pierres, répliqua le riche, pendant que tout le monde se repose et dort.
— Alors, tu auras le pouvoir de former trois souhaits » lui dit le petit homme.
Le riche y avait réfléchi d’avance et répondit :
« Je souhaite deux yeux vifs et clairs à mon vieux cheval ; quant aux deux autres souhaits, j’en réserve l’honneur à ma femme.
— Eh bien, dit le petit homme, vos souhaits s’accompliront. »

Lorsque l’avare fut de retour au logis, il alla tout de suite à l’écurie. Son vieux cheval s’y trouvait avec des yeux clairs et vifs. Puis, il entra dans sa maison et dit à sa femme : « J’avais trois souhaits en mon pouvoir. Le premier est fait, mon cheval a des yeux clairs et vifs ; mais c’est toi, femme, qui aura l’honneur de former les deux autres souhaits. » Mais la femme se fâcha et dit : « Si tu as souhaité pareille chose, je voudrais, vieux fou, que tu fusses borgne comme était ton cheval ! » À peine eut-elle prononcé ces mots, que son mari devint borgne comme l’était le vieux cheval, autrefois. L’avare fut pris d’une telle fureur qu’il exprima le troisième vœu en criant à sa femme : « Si tu ne sais souhaiter que cela, pauvre sotte, je voudrais te voir aveugle ! » Ainsi fut fait, et ce fut là leur récompense.

Collectif , Contes d’Europe , ill. Isabelle Anglade, rue des enfants


A.S.: