Remonter aux sources d’une tradition est une entreprise de longue haleine aux résultats hasardeux.
L’on s’engage en des méandres d’hypothèses et des approximations en série. C’est que le passage des siècles brouille les pistes, embrume les événements et fausse bien des logiques. Concernant les origines de la franc-maçonnerie nous pourrions utiliser la formule rebattue et somme toute vide de sens en disant qu’elles se perdent «dans la nuit des temps».
Ainsi le dossier serait clos, mais l’homme éveillé, a fortiori le maçon, ne se contente pas de phrases toutes faites et désire aller plus loin que les choses convenues afin de tenter de déchiffrer ce qui peut l’être. En l’occurence, nous disposons d’ouvrages sérieux nous permettant d’y voir clair, ouvrages en petit nombre, écrits par des gens suffisamment humbles pour admettre leur ignorance dans les zones d’ombre et ne pas les combler d’interprétations fantaisistes.
D’où vient l’art que nous pratiquons en loge ?
Depuis longtemps on émet à ce propos des thèses de toute sorte, dignes d’un inventaire à la Prévert. Certaines de ces assertions sont fondées, d’autres envisageables, beaucoup sont farfelues au point que l’on soupçonnerait leurs auteurs de les inventer à seule fin de dérision. Progresser dans la carrière maçonnique consiste également à distinguer les théories recevables de celles qui le sont moins ou pas du tout, à savoir faire la part du légendaire et de l’historique. Les bibliothèques de nos ateliers sont là pour ça, de même nos travaux et discussions. Nul aujourd’hui ne prétendrait que les influences sur notre Fraternité commencent avec les corporations de constructeurs du XIIIe s. Des éléments autrement plus anciens entrent en compte.
Ce sont toutefois les opératifs du moyen âge qui représentent la pierre angulaire et la clé de voûte de notre édifice. Référence visible, vérifiable. Grâce à ce point d’ancrage dans l’espace et le temps notre société initiatique s’est développée de la manière que nous savons, elle a perduré malgré les attaques de l’extérieur et ses luttes internes. D’autres associations comparables à la nôtre ont disparu ou se sont anémiées faute de pouvoir revendiquer une filiation solide.
Disons pour conclure que le génie de la maçonnerie traditionnelle est d’avoir su, par la volonté de ses pionniers, réunir des connaissances éparses pour en faire un tout cohérent et crédible.
Jacques Tornay