L’essayiste et journaliste économique Éric Verhaeghe a publié le 01 mai 2021 dans le Courrier des Stratèges une TRES INTERESSANTE analyse sur Les amusantes références maçonniques de la tribune des militaires :
EXTRAITS /
La tribune des militaires fait couler beaucoup d’encre. Assez curieusement, peu de lecteurs ou de commentateurs ont relevé une dimension un peu inattendue de ce texte rédigé par des militaires d’active : ses références maçonniques. Discrètes, mais bien présentes, elles signalent que la fronde ne vient pas forcément des officiers les plus conservateurs, mais qu’elle procède visiblement, pour une part substantielle en tout cas, de cadres ayant d’autres références philosophiques que l’extrême-droite traditionnelle. Ce qui n’est pas forcément une très bonne nouvelle pour le gouvernement, car l’assise de la contestation est probablement plus large que le pouvoir exécutif ne veut bien le dire.
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Les observateurs auront tous remarqué cette ouverture étrange du texte publié hier, qui s’adresse aux élus « en leurs grades et qualités ». La formule n’est pas neutre. Elle est celle employée dans les loges maçonniques aux débuts des travaux collectifs. Cette circonstance, cette griffe, cette particularité, est forcément interprétée par tous les initiés comme un signal « symbolique » envoyé quant à l’origine même du texte. Cette tentation de l’interprétation symbolique est renforcée par l’allusion immédiate au 7e couplet de la Marseillaise comme argument principal du texte.
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Si l’on admet l’hypothèse que la porosité entre la maçonnerie et les milieux catholiques traditionnels est faible, alors on en déduira assez naturellement que ce texte ne doit pas émaner (en tout cas pas uniquement) de « l’extrême droite », comme le disent un certain nombre de proches du gouvernement. Il contient en tout cas des indices de son assise plus large.
Si l’on admet l’hypothèse que la porosité entre la maçonnerie et les milieux catholiques traditionnels est faible, alors on en déduira assez naturellement que ce texte ne doit pas émaner (en tout cas pas uniquement) de « l’extrême droite », comme le disent un certain nombre de proches du gouvernement. Il contient en tout cas des indices de son assise plus large.
« En vos grades et qualités »
On chercherait vainement cette expression dans des textes ou des rituels maçonniques du XVIIIème et même encore au XIXème siècle : elle n’y figure nulle part. Mais alors, d’où vient-elle, et que fait-elle dans le discours maçonnique au point que l’on en soit venu si souvent à penser que ce sont les francs-maçons qui ont inventé cette formule protocolaire ?
Ladite formule comporte du reste des variantes : « grades, dignités et fonctions », etc. Tour cela est en effet bien connu et assez classique, mais pas dans la franc-maçonnerie : c’est un lieu commun de la phraséologie des discours administratifs, des prises de paroles officielles de la haute fonction publique. En vos grades, fonctions et échelons…
En effet, dans la fonction publique, on distingue les grades, les qualités et les fonctions (ou titres).
Le grade permet à son titulaire d’occuper un certain nombre d’emplois. Les corps ou cadres d’emplois ont un ou plusieurs grades selon leur statut particulier. Lorsqu’il y a plusieurs grades, ils sont hiérarchisés. Le grade comprend des échelons d’ancienneté, de niveau de recrutement et, accessoirement, recoupent des types de rémunération. On parle aussi, plus récemment de « catégorie » ou de « rang ». Ainsi, on peut être fonctionnaire du rang A, B ou C, du 1er au 13ème échelon par exemple et l’on peut posséder le grade «secrétaire administratif de classe normale » ou de « chef de service ingénieur de 1ère catégorie ». On peut, par ailleurs, posséder le titre de magistrat, ou exercer la fonction de praticien hospitalier – qui comprend plusieurs grades et échelons.
Il suffit donc de taper sur Google les mots « grades, qualités, fonctions » pour voir apparaître une liste impressionnante de discours publics au cours desquels ces formules sont utilisées par des responsables de services, des directeurs d’administration lorsqu’ils s’adressent à leurs interlocuteurs : la plupart de ces orateurs d’un jour, ne nous y trompons pas, ne sont pas francs-maçons, et sans doute certains d’entre vous reprocheraient-ils amèrement de l’avoir supposé !
On doit, selon un rituel protocolaire, citer tous les présents dans l’ordre hiérarchique puis, quand on estime possible de ne pas mentionner en détail tous les autres, on dit « et vous tous, Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités et fonctions »…
Une fois de plus, la franc-maçonnerie a emprunté ! Cette fois au protocole administratif, ce qui se comprend aisément si l’on sait l’importance des fonctionnaires, y compris des hauts fonctionnaires, des magistrats et universitaires, dans les rangs de la franc-maçonnerie, à partir du XIXème siècle. Les habitudes de langage de leur corps d’origine ont été simplement transférées dans les discours maçonniques. (cf Roger Dachez)
L’expression « en leurs grades et qualités » ou similaires « en vos rangs, grades et qualités » ne sont pas l’apanage de la franc-maçonnerie. Ce sont des formules d’appels dans les discours avec des corps constitués (armée, administration, clergé, etc …). Ce genre d’appellation était fréquent, notamment sous la IIIe république, et utilisé parfois encore en franc-maçonnerie. Il est évident aussi que sous la IIIe république, une « porosité » plus que certaine était chose courante entre maçonnerie et Etat.