MISCELLANÉES MAÇONNIQUES par Guy Chassagnard
En franc-maçon de tradition, attaché à l’histoire de ce qui fut jadis le Métier de la Maçonnerie avant que de devenir la Maçonnerie spéculative des Maçons libres et acceptés, notre frère Guy Chassagnard met en chroniques ce qu’il a appris dans le temple et… dans les textes ; en quarante et quelques années de pratique maçonnique. Ceci selon un principe qui lui est cher : Apprendre en apprenti, comprendre en compagnon, partager en maître.
Chronique 89
1725 – Les premières loges de Paris
Cela fait trois siècles que les historiens recherchent les origines françaises de la Franc-Maçonnerie ; en vain. Pas de documents, ni de témoignages permettant de savoir si la première loge « spéculative » fut constituée à Saint-Germain-en-Laye, à Dunkerque ou à… Paris.
Ce qu’on sait c’est qu’une loge fut installée dans la capitale en 1725, rue des Boucheries, chez le traiteur anglais Hure, à l’enseigne Au Louis d’Argent.
On sait aussi que ses fondateurs étaient Charles Radclyffe, futur comte de Derwentwater, James Hector Maclean (ou MacLeane), baronnet d’Écosse, et Dominique O’Heguerty, futur comte de Magnières ; enfin que son installation a eu lieu officiellement le 12 juin 1726.
On la connaîtra plus tard sous le titre distinctif de Saint Thomas – titre d’ailleurs contesté de nos jours.
On sait que le 12 juin 1729 a lieu l’installation d’une nouvelle loge – peut-être née de la précédente… Elle tient ses assises chez le traiteur Landelle, rue de Bussy.
On sait qu’en décembre de la même année est créée une Loge des Arts Sainte-Marguerite, supposée fille de la première loge parisienne.
On sait que le 3 avril 1732 la Loge Au Louis d’Argent reçoit de la Grande Loge de Londres ses constitutions ; elle sera inscrite sur son tableau général des loges avec le numéro d’ordre « 90 ».
On sait que le 26 décembre 1736, André Michel de Ramsay présente à la Loge de Saint-Jean (?), en sa qualité d’orateur, un discours d’histoire et de morale maçonniques destiné aux jeunes initiés.
On sait que le lendemain, 27 décembre 1736, a lieu l’élection de Charles Radclyffe à la grande maîtrise des francs-maçons de France. On sait, mais tout en n’étant sûr de rien.
© Guy Chassagnard – Auteur de La France-Maçonnerie en question (Éditions Dervy – 2017) & du Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie (Éditions Segnat, 2016).
La date de 1725 pour la création de la Loge de Derwentwater, dite ultérieurement de St Thomas, dont on n’a pas d’autres attestations que le récit, 50 ans plus tard, de Jérôme Lalande dans l’article de l’Encyclopédie, reste donc problématique (Une circulaire du Grand Orient de France du 4 Septembre 1788 mentionne l’existence en 1725-1730 de quatre Loges : Au Louis d’ Argent, Bussy d’Aumont, Parfaite Union et Bernouville.)
Par contre on a des documents attestant de la création en France de trois Loges de régularité anglaise.
1) La première dont on ait une trace officielle la fameuse Loge « Au Louis d’argent » (ou à « La tête du Roi »), dont le Vénérable est Auguste ou Thomas Lebreton, qui figure au grand tableau des 129 Loges de 1730, constituée en 1729, et dont l’installation officielle eut lieu le 20 novembre 1732 par l’infatigable Jean-Théophile Desaguliers.
2) La loge de Coustos-Villeroy, connue du fait d’une opération de police en juillet 1737 qui saisit les registres de la Loge (laquelle se réunissait à La Ville de Tonnerre, rue des Boucheries, Faubourg Saint Germain), ce qui a permis leur conservation. En 1737, Guignon y avait proposé l’admission du duc de Villeroy, un intime de Louis XV, qui fut reçu 3 jours plus tard pour devenir aussitôt le Vénérable de la Loge qui fut alors dénommée Coustos-Villeroy.
3) Enfin, et surtout, la loge de Bussy, dite Bussy d’Aumont, quand le duc d’Aumont y fut reçu, dont une tenue fit l’objet d’un article du London Evening Post de 1735 :
« On nous écrit de Paris que sa Grâce le Duc de Richmond et le Révérend Dr. Desaguliers (Anciens Grands Maîtres de l’ancienne et honorable société des Maçons Francs et Acceptés et maintenant autorisés par l’actuel Grand Maître, en son nom et par son sceau et le sceau de l’Ordre) ont tenu une loge à l’hôtel de Bussy dans la rue de Bussy en présence de son excellence le comte de Waldegrave, ambassadeur de sa majesté auprès du Roi de France, le très honorable Président Montesquieu, …. » (Traduction de l’article dont le fac-similé’original figure dans mon livre à paraître prochainement « 1717-1747 »)
Ces 3 Loges sont citées dans le texte de Lalande, comme une émanation de la loge de Derwentwater. Mais, là encore, on voit mal comment, avec les personnalités en présence et les enjeux politico-religieux de cette période, ces trois loges d’obédience manifestement hanovrienne aient pu être issues de l’essaimage d’une éventuelle loge jacobite.
Il semble plus conforme à la logique historique de l’époque, de penser, en ne considérant que les documents avérés, que Desaguliers et le Duc de Richmond, chacun ayant des attaches avec ce pays, aient entrepris, à la fin de la décennie de 1720, la « conquête » maçonnique de la France à travers la création de plusieurs Loges régulières avec des francs-maçons convaincus, souvent issus du milieu huguenot, véritables missionnaires de la nouvelle philosophie et que, par réaction, pour contrer ces créations, Derwentwater et les stuartistes aient voulu , aux alentours de 1735, fonder une Loge jacobite, pour utiliser l’engouement pour la Franc-maçonnerie hanovrienne avec l’espoir d’en freiner le développement.
Cela expliquerait la référence à St Thomas, figure du catholicisme romain en Angleterre et qui s’oppose à la référence johannique, mi religieuse, mi philosophique, de la Franc-Maçonnerie hanovrienne.
Cette Loge constituerait donc la 4ème loge du texte de Lalande qui élira avec les 3 premières un Grand Maître en 1736.
Pour mémoire et malgré l’imprécision des sources, il faudrait également citer l’existence dans les années 1735 d’un certain nombre de Loges de Paris et de province pour les quelles des documents nous sont parvenus :
La N° 127 du grand tableau de la Grande Loge d’Angleterre de 1730 à Valenciennes dans les Flandres françaises.
La Loge sise chez le traiteur Chapelot, quai de la Rapée, qui fit l’objet en 1737 d’une descente de police menée par le Lieutenant de Police Héraut, selon la suite de l’article de Lalande, mais que le duc d’Antin empêcha, l’épée à la main, ce qui donna lieu à une iconographie fameuse par Léo Taxil lui-même.
– « L’Anglaise » fondée en 1732 par des marins irlandais à Bordeaux.
– Enfin la Loge Française du Duc de Richmond sur laquelle nous reviendrons : Cette loge sera inscrite sur le rôle de la grande Loge d’Angleterre sous le N° 133 le 22 août 1735 au château d’Aubigny s/ Nère.
Et plus controversée
– La loge « Les Arts St Marguerite » de l’architecte Puisieux, confondue par certains auteurs avec la Loge Coustos-Villeroy.