L’origine du Vent
Dans le temps, le Vent était un beau jeune homme qui se promenait partout dans la campagne. Voici comment il est devenu invisible.
Trois bergères gardaient leurs troupeaux au creux d’une combe. La pâture était abondante, les animaux calmes et les jeunes filles babillaient gaiement. Elles avaient quitté leurs capotes chaudes et épaisses dont deux étalées sur le sol leur servaient de coussins, tandis que les amples plis de la troisième dérobaient leurs jeunes corps aux morsures du froid et… aux regards curieux. Le Vent qui folâtrait par là, surprenant leur bavardage innocent et leurs rires étouffés, voulut prendre sa part du divertissement. D’un souffle brusque il souleva le vêtement pour le laisser retomber quelques pas plus loin. La conversation s’arrêta. Une des jeunes filles courut le ramasser et le bavardage reprit sous le manteau.
Le jeu devenait intéressant. Le beau jeune homme qui s’appelait le Vent en arrivait à oublier ses courses folles dans la campagne, ses sauts brusques pour passer d’une colline à l’autre, le long tunnel de la vallée où il aimait à s’engouffrer en poussant des hurlements joyeux. Seul, désormais, l’intéressait ce pan d’étoffe qui lui dissimulait trois visages rieurs. Il souffla de nouveau. Mais le vêtement, tenu par des mains fermes, ne bougea pas. Le Vent se rapprocha et souffla plus fort… toujours sans résultat. Agacé, il se rapprocha encore jusqu’a toucher le groupe, gonfla sa poitrine et… mais déjà il était saisi et solidement maintenu par des poignes nerveuses. Et tandis que dans un bruit d’ouragan, le souffle puissant dispersait les vêtements, courbait jusqu’à terre les hautes tiges des bruyères, les jeunes filles, qui avec sa quenouille, qui avec son bâton, tapaient à coups redoublés sur le gêneur.
C’est pourquoi il lui donna l’invisibilité car […] ce taquin n’a jamais cessé de tourmenter les jeunes filles qui devisent de leur galant au creux des combes.