Résumé :
Dans cette contribution, l’auteur montre comment la Franc-maçonnerie de l’Europe des XVII et XVIIIe siècles aura participé – jusqu’à un certain point seulement – d’une certaine modernité, en faisant de ses Loges des espaces « laboratoires » de l’œcuménisme et du cosmopolitisme, en injectant de l’universel dans des temps où les dissensions demeuraient fortes entre les confessions – des circonstances qui auront tôt fait de ruiner les premiers espoirs nourris dans une solidarité maçonnique supra-confessionnelle, qui ne viendra que plus tard.
Extrait :
La Franc-maçonnerie spéculative naît et s’épanouit en Europe dans le contexte de La crise de la conscience européenne des années 1680-1715 étudiée par Paul Hazard dans un ouvrage qui fit date. Ses mythes et récits de fondation mettent l’accent sur la nécessité de rouvrir le chantier de Babel et d’en faire le symbole de l’harmonie retrouvée entre les hommes. La perte du sens, la parole perdue, l’impossibilité de communiquer donc d’échanger et de transmettre son savoir, voilà les hantises des frères. La légende d’Hiram, les quêtes mythiques en Égypte et en Chine des vestiges de l’Art Royal, mais aussi l’archéologie de la mémoire maçonnique à laquelle se livrent les francs-maçons antiquarians de la Grande Loge de Londres dès les premières décennies du siècle, l’attestent. Le temple du Grand Architecte de l’Univers, c’est Babel, mais une Babel redressée. Alors que l’hybris des hommes avait précipité sa chute, divisé les ouvriers, désormais incapables de communiquer entre eux et de s’accorder, les ouvriers de l’Art Royal veulent élever une nouvelle Babel, temple de la concorde et de l’harmonie, où la communication entre les ouvriers sera restaurée, par la pratique d’une véritable koinè, cette langue des signes et attouchements maçonniques – le « langage universel » qu’évoque l’abbé Prévost dès l’été 1737 – qui permet à deux francs-maçons de se reconnaître comme frères.
La suite ICI