Le Soufisme
1. 1. Introduction
Ce travail sur le soufisme m’a permis de me pencher sur une religion, une culture et même un pays, la Tunisie en l’occurrence, que je croyais très bien connaître… Et pourtant !
Dans mes pérégrination tunisiennes cet été, qui m’ont conduits des ruelles ensoleillés de Sidi Bou Saïd aux passages ombrageux de la médina de Tunis, j’ai découvert un Islam d’une richesse exceptionnelle que beaucoup de nos contemporains ne soupçonnent pas. Un Islam intime…
La tradition soufie est très peu connue, et par-là même, suscite de nombreuses incompréhensions. On pense souvent que soufisme et Islam sont deux choses différentes, alors que le soufisme est la voie ésotérique de l’Islam.
Quelques rappels très brefs sur cette religion…
Après le judaïsme et le christianisme, l’islam – étymologiquement « soumission à Dieu » – est la troisième religion monothéiste révélée. Elle a été transmise par dieu (Allah) au prophète Mohamed (« le plus loué »).
Son enseignement, ses dogmes ou piliers, ses pratiques, reposent sur le Coran (1), la Sunna, tradition religieuse regroupant les actes et paroles du prophète. Ce corpus permet de définir la loi islamique ou Charia.
Très tôt après le développement du monde musulman, à côté d’un Islam officiel, s’est développé un Islam mystique, celui du soufisme et des confréries.
2. 2. Histoire du soufisme
C’est en Irak, carrefour culturel et commercial, centre du pouvoir califal à partir du milieu du VIIIème siècle, que le soufisme prend réellement naissance. Rien d’étonnant à ce qu’on y retrouve des influences juives, persanes, hindoues, grecques et chrétiennes.
Auparavant, la vie mystique a reposé en islam sur des bases individuelles.
A côté d’âmes solitaires cherchant leur propre salut dans des pratiques religieuses ascétiques ou dans d’ardentes méditations, on trouvait parfois un maître, groupant autour de lui un cercle de disciples.
L’idée essentielle étant que, pour progresser dans la voie mystique (tariqa), il était indispensable pour ces « assoiffés de Dieu » d’avoir un guide auquel on devait une obéissance passive absolue et que l’on devait croire aveuglément. Le cheikh, maître, saint et ami de Dieu apparaîtra non seulement comme un initiateur spirituel, mais aussi comme protecteur temporel.
Le début du soufisme fut ainsi marqué par la recherche d’un « genre de vie » qui se réclamait volontiers du Jésus coranique, un Jésus considéré comme l’exemple « du mystique qui enseigne » dans une volonté de totale remise à Dieu.
La Tariqa, autre nom du soufisme, s’est développé en face d’un Islam officiel. Quelquefois même contre lui. Néanmoins, ses adeptes prétendent remonter jusqu’au Prophète : chaque confrérie est en effet reliée par une chaîne mystique (silsila) du fondateur de l’ordre soufi jusqu’au Prophète. Il s’est constituer ainsi, au long des siècles, des chaînes de transmetteurs des mystères, suite continue de maître à disciple. Dans cette chaine initiatique, on trouve, entre autres, après ‘Ali, gendre et cousin du prophète, des mystiques importants tel Hasan al-Basri (mort en 772) ou Ibn Arabi.
3. 3. Présentation
Il est dit qu’au début de l’Islam, ce qui fut révélé au prophète comprenait deux messages. Un premier destiné au commun des mortels, et un autre, plus subtil et plus ésotérique conservé pour les intimes. Il est dit que le prophète avant de donner son enseignement ésotérique, demandait à ses compagnons : « y-a-t-il un étranger parmi vous ? ».
Au premier degré de lecture, le Coran peut n’être qu’un code de conduite. Pour les mystiques, il existe un stade supérieur, un stade supérieur qu’ils essayent de dépasser laissant la canne qui aide à sa tenir droit, pour se mouvoir librement dans la pensée religieuse.
Ces deux degrés de lecture caractérisent la voie soufie dont tous les adeptes pratiquent la voie exotérique et ésotérique. Qui, en judaïsme, pourrait sincèrement étudier la Kabale et se détourner des principes de la foi israélite ? L’ésotérisme musulman est obligatoirement dans le cercle de la foi islamique.
Cette pratique intra et extra, en dedans et au dehors n’est que la recherche d’une stabilité nécessaire au soufis. Comme si le but à atteindre était de parvenir à l’équilibre entre la verticalité et l’horizontalité. Les pieds sur terre et la tête tournés vers le ciel.
Les adeptes de la voie reconnaissent un maître, le cheikh, des préposés locaux, et se retrouvent entre novices et disciples (fakir ou muroud).
Point très important ! Le novice fréquente la confrérie, et prépare son initiation… éventuelle. Le disciple, lui, a déjà été initié lors d’une cérémonie devant une hiérarchie de témoins.
Encore une précision, lorsqu’on parle de disciples, il ne s’agit pas des disciples du maitre, mais des disciples de la voie… initiatique.
De ce nouvel initié, il est d’ailleurs dit qu’il est « comme l’arbre venant d’être coupé dans la forêt. Il est rugueux et, d’étape en étape, de la découpe au polissage, il a vocation à devenir e bâtonnet avec lequel on passe le khôl entre les paupières. »
Alors, qui peut être accepté dans la tarîqa ? Absolument tout le monde ! Hommes et femmes ! Seuls sont exclus ceux qui semblent cheminés suite à une illusion, ceux cherchant la connaissance pour la connaissance ou bien des pouvoirs ou du charisme. Et tout comme nous autres franc-maçon, même si ces personnes entrent et restent sur dans la voie, elles n’aboutiront jamais à recevoir un juste salaire.
Quant à la quête de pouvoir, de relations diverses, ou d’ostentatoire présence de métaux au sein des confréries, il est de rigueur que la réussite sociale ne signifie rien d’important. Lorsque le disciple se retrouve avec ses frères, il doit se mettre dans l’attitude du pauvre. De surcroit, il est d’ailleurs dit que c’est le maître qui est le serviteur de ses disciples. Il devient ainsi fakar al fuqra – le plus pauvre parmi les pauvres.
La plupart des confréries possèdent aussi des centres de prières (zawiya) généralement construits auprès de la tombe d’un saint vénéré dont on vient implorer la bénédiction (baraka).
Toute zawiya se compose d’une mosquée qui accueille le tombeau du fondateur de l’ordre dont elle porte le nom. D’un local où l’on lit le Coran, d’un second réservé à l’étude de la théologie, d’un troisième servant d’école primaire aux élèves ou aux étudiants qui viennent y perfectionner leur enseignement.
De ces deux points de vue, la zawiya offre une multitude d’analogies avec le monastère du Moyen-âge occidental.
On y pratique des exercices liturgiques particuliers, jeûnes, invocations, récitation de textes spirituels, et chaque confrérie utilise ses litanies de noms et d’attributs divins, ses recueils de textes coraniques ou de poésies mystiques.
4. Lutte contre le soufisme
De par leur extension à l’ensemble du monde islamique, les confréries ont pu donner l’illusion d’une force politique redoutable. Toutefois la cohésion entre les diverses branches d’un même ordre fut toujours très faible, n’en déplaise à la dénonciation d’un « péril confrérique » faite par les Européens du XIXe siècle, qui relève plus de l’aspect légendaire du panislamisme.
Mais l’orthodoxie musulmane ne fut pas en reste. Les canonistes musulmans ont constamment lutté contre les confréries, suspectes d’innovations blâmables ou d’illuminisme. Il faut dire que certains des exercices – surérogatoires – des confréries : danses, acrobaties, aidés par l’usage d’excitants (café, haschich, opium) favorisant les transes mystiques, ont pu facilement dévier de leurs intentions et ont abouti par exemple aux exhibitions des derviches tourneurs ou des derviches hurleurs.
Ceci dit, la colonne vertébrale du soufisme reste l’union avec Dieu, mais dans un islam qui professe un monothéisme rigoureux, on ne peut faire état d’union ou de fusion en Dieu sans se voir taxer d’hérésie, ce qui fut le cas de quelques mystiques musulmans au cours des siècles.
Pourtant, aucune des pratiques soufies ne s’est avérée menaçante.
Les mystiques musulmans ont-ils jamais omis d’observer scrupuleusement les rituels islamiques ? Bien sur que non !
Tous les actes, toutes les réflexions du mystique musulman, sont ancrés directement dans le message coranique, c’est à dire qu’il ne fait rien qui soit en contradiction avec le Livre sacré.
Cela n’a pas empêché les deux grands courants religieux – le sunnisme et le shiisme – d’induire des contraintes à l’égard du soufisme, qui l’a très vite mis en porte à faux vis à vis du pouvoir en place. Ceci explique peut-être que bien souvent, les confréries préfèrent rester en dehors des cercles de décision politique, et ses disciples sont recrutés, pour la plupart, dans les classes disons… populaires.
En fait, le soufisme connaît plusieurs dimensions et, d’une manière générale, ses formes populaires, imprégnées de superstitions et de pratiques magiques, sont rejetées par les réformistes, quels qu’ils soient, alors que ces derniers font bon accueil, dans la mesure où celles-ci ne fuient pas leurs responsabilités politiques, à une forme savante de confrérie autorisant une liberté dans le commentaire du Coran.
Liberté dans le commentaire mais aussi liberté dans la quête initiatique, je pourrai évoquer nombre de mystique important. Je n’en citerai qu’un.
Je reste attaché pour ma part à René Guénon, qui fut l’un des plus grands spécialistes français de l’ésotérisme. Membre actif de loges maçonniques, Guénon se tourna vers la gnose, avant d’adopter définitivement l’islam et son soufisme. Il a laissé une œuvre considérable, traitant de la quête spirituelle sous ses formes les plus variées.
Je vous conseille d’ailleurs, la lecture « d’Orient et Occident ».
Ce livre résume à lui seul toute la vie de Guénon qui ne cessa de desceller les yeux de l’occidental pour l’éveiller aux richesses de la spiritualité orientale. Guénon ne voit pas entre Orient et Occident de relation contraire mais bien complémentaire. L’Orient ne rassemble-t-il pas tout ce dont l’homme occidental manque pour atteindre sa plénitude ?
5. Conclusion
Liberté toujours dans l’interprétation de la parole divine contre orthodoxie figée. A la recherche de son identité, et à l’évidence, l‘Islam est aujourd’hui en crise !
En occident, par ignorance et par peur, il est souvent réduit à une idéologie. Il faut avouer que, malgré la richesse de son passé, cette culture multiséculaire n’a peut-être pas toujours su s’adapter aux exigences du monde moderne.
Mais, est-il si simple de raisonner en temps de crise ?
Pourtant, contrairement aux idées reçues, l’expansion fulgurante de l’Islam le doit plus à la nouveauté du message divin qu’au prosélytisme du fil de l’épée ! L’étude de la théologie était d’ailleurs, au début de l’islam, largement ouverte aux femmes.
Je n’ai pas de remèdes miracles pour nous prémunir des dérives fondamentalistes.
Je pense néanmoins, que le soufisme, peut être une voie pour remettre le musulman au cœur de l’Islam. Une façon de vivre la religion contemporaine, humaniste, comme si la vénération de Dieu passait par l’exaltation de sa plus belle créature, l’Homme.
Nous sommes en maçonnerie et nous savons que le symbole est important. A ce sujet, il est une question que l’on pourrait bien se poser : On estime le nombre de musulman dans le monde à plus d’un milliard d’individus. Qui fut le premier musulman sur terre ?
Allah ? C’est le dieu, l’être suprême, il n’est pas humain !
Mohamed ? C’est le prophète, certes hommes mais révélateur de la parole divine !
De ce milliard d’individus, dont la majorité vit paisiblement sa foi, le premier d’entre-deux s’est trouvé être… Une première. En l’occurrence, l’épouse du prophète, sa femme Khadija !
En Islam, aussi je crois fermement que tout est symbole !
A méditer par les croyants musulmans, et tous les frères du genre humain…
J’ai dit !M\ V\
(1) Le Coran a été ordonné et mémorisé du temps du prophète. Omar l’a rassemblé et Otman en a fait la première copie qui est la matrice de tous les Coran existants dans le monde.