A première vue, on pourrait penser que l’expression constitue une absurdité, car le Maître Maçon non seulement n’est pas tenu au devoir de silence mais a au contraire le devoir d’utiliser le mot, notamment pour l’illustration et la formation de ses Frères. et la participation à la gestion et à la prise de décision des affaires de la Loge. Mais ce n’est pas comme ça. À la fin du Silence du Compagnon, il est mentionné que Le Silence du Compagnon est sa préparation à son élévation au Maître. Pour que, quand on a le droit de parler, on sache déjà quand se taire ! Pour que vous compreniez parfaitement la valeur de la Parole et la valeur du Silence. Alors ce sera prêt !
L’une des leçons que le Maître Maçon doit déjà avoir intériorisée pour accéder à la Maîtrise est précisément la valeur et l’opportunité du silence. Qu’il y a des moments pour parler et des moments pour se taire. Que, parfois, l’affirmation la plus bruyante vient de votre silence. Ou tout simplement que, lorsque vous n’avez rien d’utile à ajouter, la meilleure chose à faire est de garder le silence…
Le Maître Maçon a le droit de prendre la parole lors d’une séance de Loge. Mais ce droit n’implique pas que vous ayez le devoir de toujours parler ou que vous utilisiez cette faculté pour parler de tout et d’une paire de bottes, dévalorisant implicitement ce que vous véhiculez – car personne ne sait tout et le sage connaît ses limites. Ainsi, le droit de parole implique le devoir de savoir gérer son silence, en n’y renonçant que lorsque l’on estime plus utile de parler que de se taire.
Comme pour presque tout dans la vie, tout le monde est comme les autres – et tout le monde évolue ou peut le faire. Il y a ceux qui n’ont pratiquement pas eu besoin d’apprendre cette leçon : par tempérament, ce sont des gens calmes, réfléchis, réfléchis, qui parlent rarement – et, quand ils le font, ils sont, précisément à cause de la rareté de la situation, écoutés avec beaucoup d’attention. . Ils ne parlent presque jamais de manière inappropriée – mais parfois, précisément en raison de leur zèle particulier à choisir quand, comment et quoi dire, ils ne parviennent pas à apporter des contributions qui auraient été utiles si elles étaient partagées au moment opportun. Il y en a d’autres qui, au contraire, interviennent dans la nature, ne manquent pas de donner leur avis, ne craignent pas d’être en minorité, comprennent que participer implique de donner un avis, de contribuer, même si parfois marginalement, aux délibérations collectives. Ils courent le risque de se tromper parfois, de donner leur avis sans connaissance ni considération adéquate, de donner l’impression qu’ils aiment avant tout entendre leur propre voix – mais ils sont souvent de précieux débloqueurs de discussions, ils lancent des débats sur des sujets et finissent par aider le groupe, ne serait-ce que parce qu’ils catalysent des accords et des désaccords, des accords et des critiques, et finissent ainsi par contribuer à une discussion saine des sujets et à une délibération participative. Et il y a aussi ceux qui n’interviennent que lorsqu’ils ont une contribution valable à apporter et se taisent lorsqu’ils ne savent pas ou, le sachant, n’ont rien de particulièrement utile à ajouter, ou, tout simplement, parce que, à leur avis, les détails de l’affaire ne suscitent pas d’intérêt particulier – ce sont les plus perspicaces, normalement les plus influents, ceux qui contribuent le plus souvent de manière substantielle aux délibérations.
Personne n’appartient nécessairement et définitivement à l’un de ces groupes. L’avare de mots, s’il est attentif, constatera qu’il a raté des occasions où son intervention aurait été utile et évoluera progressivement vers le dernier groupe décrit. A l’inverse, le bavard opiniâtre sur presque tout, étant critique envers lui-même, sera conscient des moments où il a raté de bonnes occasions de se taire et, en s’observant, se désenchantera peu à peu du son de sa voix et privilégiera la transmission de ce qui mérite d’être transmis, en accédant progressivement à tous ceux qui ont réellement une influence dans les délibérations du groupe. Mais celui qui est normalement équilibré doit aussi constamment se surveiller, soit pour éviter de tomber dans la tentation d’une intervention déraisonnable, soit pour éviter de s’en tenir à une trop grande introspection silencieuse. Comme pour presque tout dans la vie, le point d’équilibre est instable et délicat. La gestion de la parole et du silence finit par être, au fil du temps, perfectionnée par presque tout le monde. Et presque tout le monde finit par apprendre à parler quand il est utile de parler et à se taire le reste du temps.
Trois moments, à mon avis, imposent le silence. La première est celle où, tout simplement, on ne sait rien ou très peu du sujet en débat. C’est clairement le moment d’écouter, pas de parler, d’apprendre, pas de partager. La seconde, plus délicate à identifier, survient lorsque l’on sait quelque chose sur le sujet, mais qu’une conclusion précise n’a pas encore été tirée. En termes plus légers, nous avons déjà quelques lumières, mais il y a encore des lumières éteintes… Alors l’heure n’est pas encore au partage, à moins de partager des doutes à éclaircir ou des hypothèses à travailler. Ce n’est surtout pas le moment de vanter des certitudes que nous n’avons pas, en faisant passer de simples hypothèses pour des conclusions. Celui qui le fait induit les autres en erreur et se trompe lui-même. Un travail presque terminé est, à toutes fins utiles, un travail inachevé ! Il est préférable de terminer d’abord le travail, de tirer des conclusions et ensuite seulement de partager vos réflexions. Être presque sûr, c’est comme être presque vierge : ce sont des états qui n’existent pas ! Soit vous êtes là, soit vous n’y êtes pas. Soit c’est le cas, soit ce n’est pas… Le troisième moment qui impose le silence est, je crois, le plus difficile à surmonter, celui qui nécessite l’expérience des réussites et des échecs, qui ne peuvent être atteints uniquement par l’intuition ou l’étude, il en résulte à partir d’une expérience vécue, méditée et appréciée. Il existe ce moment où, même si nous savons de quoi nous parlons, même si nous avons une idée sur le sujet, nous sommes conscients qu’il vaudra mieux pour la délibération, pour le groupe, ou simplement pour l’évolution d’un Frère, que ce que nous avons à faire dire est dit par un autre, que nous avons l’intuition que nous sommes en mesure de le faire, et de le faire aussi bien que nous le ferions – et nous renonçons à le dire pour que l’autre puisse le faire. Lorsque l’on vérifie cela, il est important d’être conscient que que l’un ou l’autre le dise n’a qu’apparemment le même résultat final. Parce que renoncer à notre parole pour qu’un autre Frère grandisse, pour que la contribution d’un autre Frère, et non la nôtre, soit apportée au groupe peut faire une grande différence, non seulement pour ce Frère, mais pour tout le groupe – parce qu’il en a gagné un de plus pour contribuer, au lieu d’avoir simplement leur propre contribution…
L’apprenti qui fait bien son travail identifie facilement le premier moment où le silence s’impose. Le Compagnon, avec son œuvre achevée, reconnaît le deuxième moment. Mais le troisième moment, qui n’est pas un simple renoncement, mais une collaboration, qui n’est pas un simple altruisme, mais l’idée que le renforcement du groupe dépend de la croissance de chacun, pas seulement du sien, et que ce renforcement est fait pour le bénéfice de tous, telle est l’apanage du Maître qui a appris à l’être !
Cela pourrait prendre des années. Cela peut prendre des années. Mais lorsque le Maître Maçon découvre ce troisième moment et agit en accord avec lui, alors, oui, il a atteint la maîtrise de lui-même, il a appris le sens d’être en Loge – non pas pour lui-même, mais pour ses Frères et, donc, pour tout le monde et donc aussi pour vous. Puis il rencontre une autre dimension du silence, plus raffinée, le Silence du Maître !
Rui Bandeira