Le déluge est un épisode bien connu de la Bible. Il y a plusieurs façons de l’aborder.
Au début de la franc-maçonnerie moderne, il y avait un courant intellectuel qui visait à retourner aux sources, à la suite des redécouvertes des pensées antiques de la Renaissance.
C’est à cette époque qu’un évêque anglais a calculé, à partir du récit de la Genèse, la date de la création du monde à 4004 ans avant JC. Les francs-maçons ont repris cette datation pour calculer l’année de la vraie lumière.
Il n’était pas alors question de remettre en cause la véracité du récit du déluge comme d’ailleurs celle des autres évènements décrits dans la Bible depuis la création du monde. On était alors dans une lecture littérale. Cette même lecture est toujours en vigueur chez les fondamentalistes protestants, les fameux créationnistes. C’est ainsi que des pseudo-scientifiques nord-américains recherchent des indices géologiques d’un déluge vers 2300 ans avant JC et font des fouilles sur le Mont Ararat à la frontière Turco-arménienne pour voir s’il n’y aurait pas des vestiges de l’arche de Noé !
Il y a des choses pourtant étonnantes dans la Genèse. Par exemple, l’âge de nos ancêtres : à la naissance de Lamek, le père de Noé, en 914 de la vraie lumière, Adam et tous ses descendants sont encore vivants ; et en 1989 année de la vraie lumière, 300 ans après le déluge, à la naissance d’Abraham, Noé est encore vivant avec tous ses descendants sur 10 générations.
Évidemment à la fin du XIXème siècle, avec le développement de la pensée scientiste, tout ceci paraîtra très farfelu, comme toute l’histoire relatée dans la Genèse qu’il s’agissait alors de rejeter, comme d’ailleurs toutes les croyances religieuses.
Mais au même moment, des lectures du récit de la Genèse, autres que littérales ou religieuses, ont également commencé à se faire, des lectures symboliques notamment. Les exégètes bibliques ont également commencé à découvrir que la Genèse avait été recomposée à Jérusalem au retour d’exil précisément à Babylone. C’est pourquoi il n’y eut aucune surprise lorsque l’on découvrit sur les tablettes d’argile sumériennes que le récit du déluge de la Bible ressemble étonnamment à un récit babylonien beaucoup plus ancien.
Je vais lire quelques éléments traduits du texte sumérien, qui vont fortement vous rappeler les éléments que vous connaissez tous du récit biblique.
« Enlil le roi souverain des dieux supérieurs avait créé les hommes en façonnant 7 mâles et 7 femelles à partir d’argile humectée du sang d’un dieu inférieur. Les hommes se multiplièrent tant et si bien qu’à la fin ils se montrèrent bruyants et firent perdre le sommeil à Enlil, qui furieux décida de les exterminer.
« Ea, dieu supérieur proche d’Enlil, conseiller fort sage, était conscient qu’il ne fallait pas faire disparaître les hommes, qui nourrissaient les dieux. Il prévient alors le Supersage, homme ayant une grande autorité sur ses semblables. Il lui transmet comment venir à bout des épidémies puis de la Sécheresse. La stratégie consiste pour les hommes à réduire les dieux à la famine en ne consacrant les offrandes qu’au dieu responsable du fléau ; Enlil finit par céder le temps que l’humanité redevienne à nouveau trop nombreuse et nuise au sommeil des dieux. Les fléaux sont donc des moyens de réguler la population et la nuisance que la surpopulation peut générer…
Pour le déluge qui est le fléau ultime pour éliminer totalement les hommes, Ea dut user d’un stratagème pour prévenir le Supersage, et seuls, lui et les siens, purent être sauvés. D’où l’idée du bateau dessiné par Ea lui-même, qui permit au Supersage d’y embarquer ses réserves, mobiliers, richesses, épouse, proches et alliés, ses artisans (pour préserver les secrets des techniques acquises) ainsi qu’animaux domestiques et sauvages.
« Six jours et sept nuits, la tempête faisait rage. Lorsque le cataclysme eut bien écrasé la terre, le septième jour arrivé, la Bourrasque cessa : le Déluge était terminé ! ».
Alors raconte le héros, « j’ouvris l’écoutille, et l’air vif me sauta au visage, à l’horizon de l’Etendue d’eau : A quelques encablures, une langue de terre émergeait. La nef y accosta : c’était le Mont Nisir où elle fit relâche ! ».
Le Supersage fait alors sortir du bateau les passagers qu’il disperse aux quatre vents. Puis il prépare un banquet pour les dieux, qui affamés se pressent autour de lui. Enlil est néanmoins furieux d’avoir raté l’extermination ; Ea finit par le convaincre qu’il suffit de contrôler l’expansion humaine, en rendant stériles des femmes ou en leur ravissant les bébés au sein ou encore en les faisant religieuses.
Le récit du Supersage traite de la condition humaine. Pourquoi sommes-nous astreint à travailler sans fin et de façon pénible ? Pourquoi une multitude est-elle condamnée à servir une aristocratie ? Pourquoi, conscient de l’immortalité, sommes-nous condamné à mourir ? Pourquoi les fléaux et les catastrophes ?
Les dieux étaient pensés comme des hommes, et avec tous les besoins des hommes. Les hommes ont été créés par les dieux pour les servir, selon leur caprice. Les fléaux ne seraient utilisés par les dieux que pour les contenir et empêcher les hommes de prospérer au point de déranger la paix des dieux.
La connaissance des Dieux, par l’intermédiaire d’Ea, est confiée aux supersages. C’est la cité du savoir détenu par les supersages qui est le meilleur rempart contre les calamités et les caprices des dieux, la cité qui détient le savoir technologique, religieux et certainement aussi politique et économique.
La croissance non régulée de la cité, la conduit à sa perte. C’est une sorte de leçon écologique. On pourrait dire aujourd’hui que la nature se venge.
Les juifs de retour d’exil à Babylone, qui ont rédigé la Bible sous sa forme actuelle ont intégré le récit sumérien du déluge. La multitude des divinités est remplacée par Elohim, Dieu unique (que l’on traduit parfois comme Lui-les dieux) et, invention originale juive, les caprices des dieux sont remplacés par des exigences morales : si dieu envoie aux hommes des calamités, c’est à cause de leur corruption. L’alliance passée avec le peuple élu, appelé à respecter les commandements divins communiqués à Abraham et à Moïse, est déjà scellée avec Noé. Et il s’agit bien de contenter dieu finalement comme dans le récit sumérien.
On trouve aussi des récits de déluge dans d’autres civilisations, chez les grecs, mayas, aztèques, chinois etc. avec de remarquables points de correspondance, sans que l’on puisse évoquer une filiation quelconque entre un récit vers l’autre.
Dans la tradition védique, par exemple,Vishnu s’incarna dans un poisson et ordonna à un sage, de construire un bateau et d’y accueillir des spécimens de chaque espèce végétale et animale et quelques sages ; il lui remit un recueil de textes sacrés, les Védas, pour que l’humanité à venir, sur cette base, surpasse la précédente en sagesse, selon la loi des cycles universels. Le schéma est étonnamment proche de la transmission de la connaissance décrite dans le récit sumérien.
Le fait de telles correspondances dans les récits, indique peut-être que le récit du déluge appartient structurellement à la pensée humaine, qu’il s’agirait d’une expression d’un archétype de la psychologie humaine.
Dans le récit biblique du déluge, la transmission des connaissances transmises par Dieu aux hommes, n’est pas très explicite. C’est pourquoi des francs-maçons du début XVIIIème, soucieux de faire remonter la transmission de la connaissance des bâtisseurs jusqu’à l’origine du monde, ont repris un récit légendaire des bâtisseurs déjà présent dans le manuscrit Cook (écrit vers 1400) et ont développé un récit où l’art des bâtisseurs comme les sept arts libéraux sont gravés sur deux colonnes avant le déluge, et puis sont retrouvées après, permettant ainsi de préserver la connaissance des bâtisseurs.
Les récits légendaires que la franc-maçonnerie moderne produira, visent à compléter le récit biblique avec des histoires concernant les bâtisseurs sans jamais être en contradiction avec le récit biblique, lu de façon littérale ou non.
Cela n’empêche pas les francs-maçons ayant une lecture moins littérale mais plus symboliste, de chercher des significations dans le récit du déluge biblique, en trouvant des inspirations auprès des juifs de la Kabbale ou des sciences nouvelles comme la psychanalyse, puis l’anthropologie et maintenant les sciences cognitives. Les symbolistes ont pu ainsi définir l’arche de Noé, comme la Tradition, le lieu de mémoire et de la conscience.
Les eaux symbolisent l’Océan de Conscience recouvrant le monde apparent dans l’esprit du cherchant spirituel. Toutes les espèces se rendirent en l’asile mutuel de la Conscience pour « réaliser le miracle de l’Un » comme il est dit dans la Table d’émeraude, la prise de conscience de l’Unité dans ses formes innombrables.
Le Déluge serait la description de la signification originelle du baptême par immersion totale dans l’eau vive, où disparaissent les apparences. Nous dirions ici le lâcher des métaux.
C’est le Divin Lui-même qui met fin à l’immersion dans l’Océan de Conscience afin que l’Homme se réalise dans l’existence : « Et Dieu dit à Noé : « Sors de la Thebah, toi ! Et avec toi, ta volonté d’agir dans le monde et toute vie animale sous toutes les formes corporelles (…) qu’elles pullulent, y fructifient, y multiplient en abondance. ». L’ordre divin correspond au devoir de transmission de l’initié. On devrait ajouter, agir dans le monde en respectant les commandements divins, ou en tout cas la Loi Naturelle, précisément la loi de la religion naturelle, la fameuse religion noachique que l’on a hérité d’avant le déluge, c’est-à-dire l’enseignement délivré à Adam par le créateur lui-même et transmis par les survivants au déluge. Et c’est bien dans cet asile mutuel de la Conscience que le cherchant peut espérer retrouver cette Parole qui devrait le guider.
J’ai trouvé par ailleurs une analyse ésotérique des récits de Déluge qui assimile l’arche salvatrice au ventre maternel qui abrite le nouveau-né passant par tous les stades de la vie végétale puis animale et ayant en lui un sage qui possède la connaissance. La naissance fait du petit d’homme un sauvé des eaux, eaux perdues lors de l’accouchement. Il est intéressant de trouver là le concept du sauvé des eaux que l’on retrouve avec Moïse.
On peut aussi voir dans l’arche de Noé, un lieu d’accueil dans un monde en perdition, quand son propre monde est en perdition. On peut dire un ultime lieu de recueillement quand tout va mal. Il s’agit alors de réunir dans l’arche de Noé, tous les éléments de son être, tous les êtres nommés (animaux) par couple (pour se multiplier, se régénérer), pour se sauver et renaître dans un monde lavé, nouveau. Encore une fois, le thème de l’eau qui lave, répare, régénère, sauve… Pour conclure, on a vu plusieurs lectures possibles du récit du déluge. Celui-ci a sans doute fort peu d’intérêt en tant que récit historique mais il ouvre des perspectives multiples de réflexion, au-delà des mots, signification ontologique que l’on retrouve dans de nombreuses civilisations.
Source : Le Delta Lumineux