L’un des sujets les plus fréquents de contentieux et de procès divers, notamment au sein de la franc-maçonnerie française, est la question des brevets. On a vu, maintes fois, des Obédiences ou Juridictions de Degrés Supérieurs récemment créées – par division ou par enssaimage » – à l’initiative de membres « régulièrement » initiés dans les divers degrés que ces structures qu’elles prétendaient contrôler de manière indépendante, se mettent en quête, souvent douloureux et tumultueux, du « brevet » qui seul, selon eux, et selon d’autres, pouvait légitimer leur travail.
LE MYTHE DU BREVET MAÇONNIQUE – Publié par Victor Guerra Garcia sur son blog LA FRANC-MAÇONNERIE DU XXI SIÈCLE– Blog dédié à la réflexion maçonnique dans une perspective critique
Le sujet n’est pas nouveau et a donné lieu à certains des épisodes les plus pittoresques de l’histoire de la franc-maçonnerie, bien que parfois aussi les événements les plus déchirants, qui incluent la France, mais se produisent également sous d’autres latitudes.
Cependant, un rapide rappel historique éclaire d’emblée cette question, sur laquelle je voudrais donner ici quelques indications, en plus d’autres considérations que je me réserve de compléter de manière beaucoup plus approfondie dans un livre paru il y a quelque temps : MÉMOIRE ET AVENIR.
Qu’est-ce qu’un brevet ?
D’où vient cette idée qu’un document appelé Patent « Warrant » – en anglais – est indispensable pour que l’œuvre maçonnique soit parfaitement indiscutable, du moins devant la loi, sinon dans les faits ?
Il faudrait ici se référer à toute l’histoire de la notion juridique sur la notion de « brevet », car c’est de là que tout vient.
Dans le droit ancien, une lettre patente (Letters Patent) était un acte public (lat. patère : « être ouvert ») par lequel le roi conférait un droit, un statut ou un privilège à ceux qui dépendaient de son autorité. Ce document s’opposait à la Lettre fermée ou en français à la lettre de cachet (scellée !) qui n’était adressée qu’à son destinataire, et pas forcément pour l’emprisonner !
Comme vous l’aurez compris, le brevet était un instrument juridique par lequel une autorité civile permettait à une personne, un groupe de personnes ou une institution d’exercer une certaine activité, le bénéficiaire reconnaissant d’autre part la suprématie du brevet – et admettant , le cas échéant nécessaire, qu’il peut aussi décider de le retirer : on le voit, il ne s’agit que d’une procédure de soumission politique…
Le brevet maçonnique
Quand le brevet est-il apparu en franc-maçonnerie ? Une fois de plus, et comme à maintes reprises, c’est en Angleterre que tout a commencé.
À partir de 1721 et avec l’arrivée du premier noble comme Grand Maître de la Grande Loge de Londres, Jean 2e duc de Montagu, les loges étaient presque toujours dirigées par un haut aristocrate. La Grande Loge, soucieuse d’asseoir son autorité, qui reposait sur des bases traditionnelles, du moins pour les moins faibles, inventa en même temps la notion de « régularité », qui signifiait alors simplement : « être sous une autorité connue dont les règlements sont suivie ». , et le brevet en était la manifestation officielle. [1]
Ces mêmes coutumes et usages ont été suivis en France dès que la Grande Loge a commencé son voyage, bien plus tard, et non sans peine, elle a commencé à vouloir imposer son autorité aux loges du royaume.
En tout cas, le point le plus intéressant était que justement cette délivrance de brevets donnait lieu au paiement d’une chancellerie…
Aujourd’hui, toutes les loges anglaises ont des brevets… sauf ceux qui dérivent des quatre loges considérées comme fondatrices en 1717 (il n’en reste que trois), dont on dit qu’elles datent de temps immémoriaux !
La saga des faux brevets et les documents fondateurs apocryphes
On pourrait écrire un roman sur les brevets ornés par les fondateurs d’Obédiences ou de rites, avec l’idée de tenter d’établir – souvent contre toute évidence – qu’ils n’avaient rien inventé mais ne faisaient que transmettre « purement et simplement, une ancienne tradition ». dont ils avaient « régulièrement » reçu le dépôt, comme le montre précisément le « brevet », c’est-à-dire la « preuve publique » rapidement démontrée.
Après tout, l’exemple est venu d’en haut et de loin, c’est-à-dire qu’il a été établi sur les fondations sur lesquelles la Grande Loge de Londres a été établie en 1717 (ou plus précisément vers 1721, prétendant remonter à 1717), du moins selon à Anderson. , en fait, il n’avait été que « réveillé », bien que ses Constitutions soient le résultat d’une refonte et dotées d’un plan et, surtout, d’un contenu complètement nouveau au moins en 1723, étant le dernier maillon de la longue chaîne de textes connus sous le nom de Old Charges, dont l’origine s’est perdue dans la nuit des temps : George Payne, réputé avoir été Grand Maître en 1720, n’avait-il pas montré le Manuscrit Cooke , datant d’environ 1420 ? Cela n’en valait-il pas la peine dans le cadre du « dépôt de fondation »
Vient ensuite la longue liste des documents qui plus tard – bien qu’ils soient tous de faux manifestes, et parfois de manière éhontée, ou simplement des documents grossièrement altérés – ont servi de base et de justification originelle à de vénérables institutions ou rites d’aujourd’hui, assurant jalousement que rien ne devrait être fait ! sans brevet délivré, bien sûr par celui qui l’exprime ainsi !
Je vous présente ici une liste non exhaustive, mais suffisante pour donner une idée :
Le brevet Gerbier , réputé depuis 1721, apparu en 1785, est un faux manifeste comme Thory le pensait et l’affirmait déjà au début du 19ème siècle, cependant, le Chapitre du Dr Gerbier qui s’appuyait sur ce prétendu brevet en était pourtant un co-fondateur du Grand Chapitre Général du Grand Orient de France !
Le brevet de Martinès de Pasqually , daté de 1738, prétendument attribué par Charles Stuard, et qu’il exposa très tôt dans sa carrière pour ouvrir les portes des loges et imposer son Rite, qui devait avoir une influence décisive sur le RER, est d’une absolue invraisemblance, tant dans sa forme que dans son contenu.
Le brevet Morin (1761) Il existait, mais les pouvoirs attribués à son bénéficiaire furent révoqués cinq ans plus tard par l’autorité qui l’avait délivré, ce qui ne l’empêcha pas d’être l’un des documents fondateurs de ce qui allait devenir, après les aventures improbables , dans la REAA.
Les Grandes Constitutions, dites Grandes Constitutions de 1786, absurdement attribuées à Frédéric de Prusse, texte de référence de l’autorité de la REAA, sont un faux grossier inspiré d’un texte émis par la Grande Loge de France en 1763, scandaleusement plagié.
L’aventure se poursuit à l’époque contemporaine. Ainsi, nos amis anglais, si exigeants en matière de « régularité », c’est-à-dire dans le respect des règles qui sont les leurs, et pas les autres, n’ont cessé de créer purement et simplement de nouveaux systèmes Side Degree qui, au 20ème siècle, nous appelons les diplômes supérieurs
Et ceci pour ne citer que quelques notables, nous avons l’August Order of Light, créé en 1902, l’Ordre maçonnique des précepteurs de pèlerins en 1984, l’Ordre commémoratif de Saint Thomas d’Acre en 1998 et l’Ordre maçonnique d’Athelstan en 2005.
Ces créations sont clairement des créations contemporaines, au demeurant très intéressantes et très intelligemment construites, et donc dépourvues de « brevets immémoriaux », leurs auteurs ont néanmoins ressenti le besoin de revendiquer, également, un « document fondateur », même de manière très vague et indirecte, par exemple, en mentionnant les « archives anciennes » de ceux qui auraient fait la découverte providentielle.
Cependant, ces organisations ont été reconnues par la GLUA comme d’authentiques « Corps maçonniques » – car dans ce pays, ce sont elles qui donnent aux tribunaux le droit d’exister « régulièrement » – et, par exemple, on compte actuellement environ 5000 membres dans le « Tribunaux » (Cours) de l’Ordre d’Athelstan…
Le brevet maçonnique aujourd’hui en France
Le « brevet » en France, disons-le crûment, est souvent devenu un instrument pour gérer l’influence politique et le pouvoir affiché par une Obédience ou juridiction sur toutes les autres.
Cependant, en plus de toutes les considérations historiques évoquées plus haut, et qui relativisent largement la notion de brevet en franc-maçonnerie, certains cas conduisent tout simplement à différentes absurdités : par exemple, lorsqu’on demande – comme cela a été fait avec moi à plusieurs reprises, en les diverses responsabilités maçonniques que j’exerce ou ai exercées – un « Brevet d’émulation »
Ne semble-t-on pas mesurer à quel point une telle demande est grotesque ? D’abord parce que, à proprement parler, seul l’Emulation lodge à Londres pouvait le faire… et ils ne l’ont jamais fait. Cela lui attribue un « label », qui reconnaît en quelque sorte que telle ou telle loge suit le rituel défini par elle, mais si une loge, au sein de la GLUA, décide de travailler « Émulation avec quelques altérations » ( « Émulation avec quelques altérations ») ou tout autre travail (travail) , bien sûr vous recevrez un brevet de la GLUA pour travailler les Degrés de Métier , c’est-à-dire les trois degrés de la Profession) sous son autorité, mais certainement pas le brevet d’un Rite – cette Emulation est pas pas du tout, au sens français du mot « Rite »
Dès lors, de quel droit, en France, une quelconque autorité maçonnique attribuerait-elle un « Brevet d’émulation » ?
Mais allons plus loin. Lorsque René Guilly- (alias Désaguliers) et ses compagnons de route, en 1968, créent la LNF (Loge Nationale Française) rétablissant ainsi le Rite Traditionnel Français (RFT) selon les formes du XVIIIème siècle ; On peut se demander s’ils ont ressenti le besoin de déposer une demande de brevet GODF, qui n’aurait sans doute pas été accordée à cette époque, surtout pour une forme de Rite Français qu’ils n’avaient pas pratiquée depuis longtemps, et qui curieusement ira plus tard contre ses principes et pratiques les mieux établis, du GOdF.
Fallait-il donc que les Frères de la LNF soient interdits de leur refondation héroïque ?
Enfin, on pourrait étendre l’observation à tous les Rites : si les Frères – ou les Sœurs, évidemment – ayant été reçus dans un ou plusieurs degrés d’un Rite, rappelant que, pour diverses raisons, ils ne peuvent plus les pratiquer dans le cadre d’une Obédience ou d’une Juridiction déterminée, ils décident de s’en débarrasser et de refonder une nouvelle structure, plus à leur avis, à tort ou à raison, selon les définitions originelles, une telle matière doit-elle être interdite car personne ne leur donnera de Brevet ?
C’est alors admettre que tout titulaire d’un brevet « reconnu », mais par qui ? – dont les origines lointaines sont souvent infiniment douteuses ou obscures. Peuvent-ils décider que désormais il faudra passer par là pour en obtenir un à l’avenir ? On voit vite à quelles conséquences absurdes ce type de raisonnement nous amène…
Laissant de côté certains aventuriers maçonniques contemporains, qui dans le droit commun seraient appelés des escrocs , puisqu’ils vendent à bon prix des brevets « indiscutables », mais lorsqu’une juridiction bien établie l’exige, reconnaître une nouvelle structure maçonnique qui souhaite pratiquer un rite qu’il prétend détenir, obtenir un brevet dessus et stipuler que le nouveau titulaire ne pourra le concéder à d’autres, ce qui n’a plus rien à voir avec la « régularité initiatique » et relève simplement de la volonté de puissance et de l’arrogance politique.
J’entends tout de suite l’argument qu’on peut opposer à cette vision des choses : « Mais alors, désormais, tout le monde peut faire n’importe quoi et le transmettre à n’importe qui, sans brevet ?! »
On peut y répondre de plusieurs manières : Premièrement, et pour commencer avec le sourire, quand on pose un regard un peu distant sur les us et coutumes du paysage maçonnique français, on se demande souvent si on ne fait pas déjà un peu de rien. Discret et protégé par d’innombrables brevets !
Alors, et plus sérieusement, ce n’est pas ce que j’ai dit, mais je le maintiens d’un point de vue traditionnel, au sens presque guénonien du terme, une fois n’est pas coutume – un groupe de Frères et de Sœurs qui ont été reçus dans un certaine mesure dans des structures généralement considérées historiquement fondées pour la communiquer, sont légitimes pour la transmettre à leur tour, avec ou sans brevet.
Et si demain ils décidaient de fonder un nouveau Rite et de créer de nouveaux grades, comme cela s’est fait, surtout en France, tout au long du XVIIIe siècle et comme les Anglais l’ont toujours fait et continuent de le faire aujourd’hui. – nous pourrons les reconnaître ou non, admettre leur existence ou non, mais nous n’aurons pas à leur demander de détenir un quelconque brevet pour légitimer leur action – ni même leur demander de reprendre leur création si nous le souhaitons (sauf s’ils l’ont déposée auprès de INPI!).
Enfin, la liberté n’exclut évidemment ni la rigueur ni la raison. Ce n’est pas parce que vous pouvez tout faire que vous devez tout faire. Il faut toujours s’efforcer de faire preuve de discernement et de bon sens dans toutes ses actions : ce sont malheureusement des qualités qui manquent souvent à la franc-maçonnerie.
Le brevet a été introduit dans l’univers maçonnique dans le but de contrôler les actions des autres. Or, la possession d’un brevet dans ce domaine n’offre que de faibles garanties, mais en tout cas elle n’a pas d’autre finalité. Si par contre on considère comme un critère d’authenticité traditionnelle, de « légitimité spirituelle » de pratiquer tel ou tel degré de franc-maçonnerie, alors on se trompe de sujet et on se trompe complètement.
Tous ceux qui, souvent avec génie, ont créé l’essentiel des grades qui composent notre univers maçonnique entre 1725 et 1760, au-dessus des grades d’apprenti et de boursier, l’ont fait sans autorisation ni brevet. Leur travail est le patrimoine commun et le patrimoine indivisible de tous les francs-maçons de bonne volonté, même si certains jugent utile de s’octroyer des brevets de légitimité exclusive.
Ce qui garantit la pratique la plus juste de la franc-maçonnerie, ce ne sont pas les brevets. C’est la sincérité, l’esprit de vérité, l’humilité, le travail persévérant et l’étude attentive et sérieuse de l’immense et passionnant patrimoine symbolique et rituel accumulé par les francs-maçons depuis trois siècles.
« C’est par mes oeuvres que je montrerai ma foi. » Jacques, 2, 18 ans.
Tout un programme.
Jean-Pierre Duhal 5ème Ordre, Chevalier de la Sagesse, 9ème et dernier Degré du Rite Français des Modernes, Souverain Grand Inspecteur Général, 33ème du Rite Ecossais Ancien et Accepté. Fondateur du Sublime Conseil « Provence et Fidélité », Membre Fondateur du Cinquième Ordre et Ancien Très Sage et Parfait Grand Vénérable de la Chambre d’Administration du Grand Chapitre Général du Grand Orient de France. Membre de l’Académie Internationale du Cinquième Ordre de l’Union Maçonnique Universelle du Rite Moderne.
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Mon cher Jean-Pierre
Effectivement entre 1743* et 1771, sous la grande maîtrise indolente, mais peut-être avec sa discrète approbation, du comte de Clermont, les structures "écossaises" et hauts grades ont fleuri sans aucun contrôle de la GL, d'où la multiplication des fausses patentes et faux brevets. C'est le GODF, chargé de réunir ce qui était éparpillé, sous la GM du duc de Chartres (puis duc d'Orléans), qui préparait la Révolution constitutionnelle, qui a agrégé toutes ces structures en son sein et créé les ordres de sagesse à partir des 81 grades recensés par le Vème ordre.
J'ai relevé dans mon ouvrage "1717-1747" que la découverte du Dr Prescott (l'absence de relevé cadastrale en 1717 pour la taverne "Au pommier") n'était pas suffisante pour invalider la date de fondation de la GLL&W, alors que les Grandes Maîtrises de A. Sawyer, G. Payne et JT. Desaguliers, forcément antérieures à 1721, sont largement avérées.
Par ailleurs le manuscrit des "olds charges" montré à l'assemblée de la Grande Loge de 1721 par G. Payne, descendant de charge, n'est pas le "Cook". G. Payne a parlé d'un manuscrit vieux de 500 ans et donc daté environ de 1220. Je n'ai pas trouvé de texte de "olds charges" sur cette période.
Avec toute ma fraternité.
* La Grande Loge Anglaise du Royaume de France créé en 1738 avec le duc d'Antin comme GM est restée, jusqu'à l'élection du comte de Clermont très proche de l'orthodoxie des "Modernes", qui refusait les "hauts grades".