Selon certains ex-grands maîtres, comme Jean Michel Quillardet, la non présence des femmes serait un « anachronisme obsolète ».
Article du Figaro : Jean-Marie Guénois – 04/09/2009
Réunie à Lyon en convent, la première obédience maçonnique française doit voter vendredi une décision historique sur la mixité.
Le Grand Orient de France pourrait voter, vendredi à Lyon, une orientation historique : admettre que des femmes soient initiées en son sein. Non pas au titre de «visiteuses», comme il est d’usage, mais en tant que «sœurs». C’est-à-dire comme membres, à part entière, du Grand Orient. De masculine, cette obédience deviendrait alors «mixte».
Jusqu’à ce jour, la première obédience maçonnique française, fondée en 1772, a récusé cette possibilité. Elle n’est pas un cas unique. La Grande Loge nationale française et la Grande Loge de France sont, elles, strictement masculines : elles n’admettent pas de femmes, même comme visiteuses.
À Lyon, les 1 200 délégués du «convent» annuel (assemblée générale) du Grand Orient ne peuvent plus, cette fois, reporter la décision comme ils l’ont déjà fait en septembre 2008. Trop divisés sur ce débat, ils avaient préféré y réfléchir encore avant de poser un acte considéré comme historique pour cette organisation.
Ils avaient aussi refusé de décider sous la pression d’une crise interne : cinq loges du Grand Orient avaient initié six femmes, sans autorisation, au printemps 2008. Ce qui avait conduit, à l’automne dernier, la Chambre suprême de justice maçonnique à suspendre 169 maîtres maçons ayant assisté à ces initiations. La mesure a été finalement gelée ; elle pourrait être déliée avec le vote de ce jour.
«Anachronisme obsolète»
Selon plusieurs membres, l’ouverture à la mixité – si elle l’emportait – devrait se jouer «à quelques voix», car les avis restent tranchés. Le fait que la proportion des opposants à cette évolution ait tendance à baisser ces derniers temps (75 % des voix contre au convent de 2002 ; 58 % en 2007 ; 51 % en 2008) ne prouve rien car les délégués – un par loge -, avec droit de vote au convent, sont renouvelés chaque année.
Sans compter, c’est un point de procédure interne, que tous ne sont pas d’accord sur le fait que deux questions seront soumises au vote et non une seule : pour ou contre l’initiation de femmes ? Pour ou contre l’affiliation de sœurs ? (déjà initiées dans une autre obédience). Certains auraient préféré une question unique sur le principe de l’initiation des femmes au Grand Orient. Si elle passait, l’application de la mesure resterait de toute façon soumise à l’appréciation de chacune des 1 200 loges de l’obédience, dont beaucoup persisteront à ne pas initier de femmes.
L’actuel grand maître, Pierre Lambicchi, un cardiologue marseillais, dont le second mandat a été reconduit jeudi soir, refuse de livrer sa position personnelle en raison de sa charge. Celui qui publie la semaine prochaine Les Loges de la RépubliqueFigaro, le Conseil de l’ordre, appliquera la décision du convent» tout en insistant sur le fait que le Grand Orient accueille des femmes, comme invitées, depuis 1974. Il a aussi préparé une proposition pour sortir de ce débat : créer une «confédération» du Grand Orient qui accueillerait différentes branches, masculines, féminines, mixtes. Le modèle existe au Luxembourg. (Éditions du Moment) a été élu il y a un an et c’est sous sa responsabilité et celle du Conseil de l’ordre (organe de gouvernement de l’obédience, NDLR) que les 169 maîtres ont été inquiétés l’an passé. «De toute façon, confie-t-il au
Son prédécesseur, l’avocat Jean-Michel Quillardet, «descendu de charge» de grand maître, selon l’expression, il y a un an, à la fin de son mandat, n’a jamais caché son soutien à l’initiation des femmes. Si elle n’était pas adoptée, estime-t-il, cette fermeture pourrait provoquer des recours pour discrimination devant des tribunaux publics. Il redoute surtout que cet «anachronisme obsolète» ne finisse par nuire à la «crédibilité et donc à l’audience» du Grand Orient. «Comment prétendre, explique-t-il au Figaro , avoir de l’influence sur la société, si nous ne faisons pas le ménage devant notre porte ? Alors que nous défendons l’égalité, comment expliquer qu’une femme ne puisse pas entrer chez nous ?»
Observatrice, Yvette Nicolas, grande maîtresse de la Grande Loge féminine de France, conclut : «Il y a deux problèmes : celui du travail en mixité dans les loges et celui de l’initiation des femmes. Qui veut aujourd’hui partager les travaux avec les femmes dans une obédience comme la nôtre peut le faire. En revanche, la question de l’initiation des femmes, elle, pose un vrai problème ! Il tient à la façon d’appliquer les Constitutions d’Anderson, fondatrices de la maçonnerie, qui récusent l’ouverture des loges aux femmes. Le Grand Orient a donc le courage de se poser la vraie question de la mixité. D’autres obédiences, elles, ne veulent pas revenir sur ce prin cipe.»