Article de la revue « Point de Vue » sur Louis-Philippe d’Orléans, duc de Chartres, puis duc d’Orléans, dit Philippe Égalité Grand Maître général et perpétuel des maçons dans le royaume de France /
n ce 16 juin 1771, le temple est en deuil. Le comte de Clermont, grand maître de la franc-maçonnerie française, vient de s’éteindre. Les « fils de la Veuve », qui n’ont jamais aussi bien porté leur surnom, se cherchent un nouveau chef. Les successeurs ne manquent pas. Mais très vite, la nomination de Louis Philippe Joseph, duc de Chartres, s’impose aux dignitaires de la Grande Loge. Depuis sa création en 1738, la charge de « grand maître général et perpétuel des maçons dans le royaume de France » a été tenue par des membres éminents de la haute noblesse. Cependant les liens familiaux du duc de Chartres avec les dignitaires maçons n’expliquent pas entièrement son accession à la place suprême.
Louis Philippe Joseph d’Orléans adhère aux idées des Lumières, francs-maçons
À24 ans, Louis Philippe Joseph d’Orléans ne fait pas mystère de son attachement aux idées de Montesquieu, Voltaire, Helvétius et d’Alembert, quatre penseurs des Lumières initiés à la franc-maçonnerie. Aux yeux des Frères, celui-ci a donné publiquement des gages d’indépendance en prenant le parti des parlements, abolis en 1771, et en refusant de siéger au « parlement Maupeou ».
Prince du sang et proche parent du roi, il offre « une protection et une sorte de couverture idéale aux activités occultes des loges » comme l’écrira l’un de ses biographes. Dès 1832, Pierre Sébastien Laurentie diffusera à travers son Histoire des ducs d’Orléans cette théorie machiavélique: « Les francs-maçons, sachant que le duc de Chartres méditait des projets de vengeance qui devaient ou le mettre sur le rône ou perdre le roi régnant et renverser la monarchie le nommèrent grand maître. »
Cette idée d’un complot antimonarchique ne semble pas motiver le soutien « stratégique » d’Anne Charles Sigismond de Montmorency-Luxembourg (1737-1803), « premier baron chrétien », que l’on ne peut soupçonner d’esprit révolutionnaire. Aux yeux de cet administrateur général de l’Ordre, Louis Philippe Joseph a d’ailleurs reçu du défunt maître une sorte de legs maçonnique. Ainsi le rapporte-t-il le 1er mai 1772: « Revêtu par feu Son Altesse Sérénissime le comte de Clermont […] de toute plénitude de son pouvoir, non seulement pour régir et administrer tout l’Ordre, mais pour la fonction la plus brillante, celle d’initier à nos mystères le Très Respectable et Très Illustre Frère Louis Philippe d’Orléans, duc de Chartres, appelé ensuite par les voeux de la maçonnerie au suprême gouvernement. »
L’initiation du duc de Chartres a lieu le 24 juin 1771
L’initiation du duc de Chartres par Montmorency-Luxembourg a lieu par acclamation le 24 juin 1771, à l’occasion de la Saint-Jean d’été, fête de l’Ordre. Elle se conclut le jour-même par son élection comme grand maître de la Grande Loge, en présence du vénérable Montmorency-Luxembourg, du secrétaire Lauzun, de Fitz-James, Barbentane, Coigny, Durfort et Fronsac, les meilleurs amis du prince.
Celui-ci rejoint, dans cette maçonnerie très mondaine, des personnalités aussi importantes que le maréchal de Noailles, le duc de Stainville ou le prince de Ligne. Sa sæur Bathilde d’Orléans, duchesse de Bourbon, est également grande maîtresse d’une forme originale et mixte de la franc-maçonnerie, sous le nom de « maçonnerie d’adoption ». Plus tard, elle entretiendra une longue et passionnante correspondance avec l’officier républicain Ruffin. « Quelles qu’aient été les suites de la Révolution, je ne blâmerai jamais le but qu’on s’était proposé, mais les moyens qu’on a employés », écrira-t-elle dans l’une de ses lettres.
Le 28 février 1773, l’épouse du grand maître, la duchesse de Chartres, est initiée sous les trois couleurs –bleu, blanc et rouge– de la maison d’Orléans. La princesse, lors de la cérémonie, rue de Montreuil à Paris, dans la loge de la Folie-Titon, est « tout de blanc vêtues avec une avec une écharpe de moire bleue d’où pend un coeur enflammé ». Plus tard, elle disposera de sa loge dite Saint-Jean de la Candeur.
Le duc d’Orléans était-il un pion au service des ambitions de Montmorency-Luxembourg?
Sous l’autorité de Louis Philippe Joseph d’Orléans, et avec le soutien des loges de province contre l’hégémonie de celles de Paris, la Grande Loge de France est réorganisée et change de nom pour devenir en 1773 le Grand Orient de France, qui regroupe près de six cents loges.
Quelques vénérables –essentiellement parisiens– refuseront de ne plus être présidents à vie de leur loge. Ils résisteront jusqu’en mai 1799 en formant une maçon nerie dissidente appelée « Grande Loge de Clermont ». Ils refusent en fait de se plier à des élections, craignant de perdre des charges qu’ils avaient achetées, comme cela se prati quait sous l’Ancien Régime.
Le Grand Orient veut établir une autorité centralisatrice et instaurer une élection démocratique des représentants des loges. Pour ce grand cuvre, le duc de Chartres s’appuie complètement sur Montmorency-Luxembourg, qui fait bénéficier l’Ordre de son prestige, de ses idées et de ses relations.
Pour de nombreux spécialistes, Louis Philippe Joseph, devenu duc d’Orléans en 1785, n’est qu’un figurant. Un nom, une popularité, et une fortune –la première du royaume– au service des ambitions de Montmorency-Luxembourg. Pour preuve, le grand maître aurait attendu quatre ans avant de présider une réunion! Des statuts taillés à la mesure de l’indifférence de Louis Philippe Joseph d’Orléans permettent en effet à Montmorency-Luxembourg de régner en maître absolu sur le Grand Orient.
Dès lors, comment peut-on croire en la théorie d’une maçonnerie devenue machine de guerre du duc d’Orléans contre Louis XVI et Marie-Antoinette? Le duc de Piney Luxembourg n’est pas un révolutionnaire. Un incroyant, se battant contre l’intolérance et le despotisme, certainement. Mais pas au point d’abdiquer toutes prérogatives attachées à sa race et à son rang. Certes, il sera élu à la présidence de la noblesse aux états généraux. Mais dès juillet 1789, il choisira le chemin de l’exil à Londres.
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